La Cour suprême du Canada examinera bientôt une application controversée de la loi canadienne sur la protection des victimes d’agression sexuelle dans une affaire qui a divisé les experts juridiques et les défenseurs des droits des femmes. Cet examen, prévu pour le début de l’automne 2025, découle d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario qui a limité l’interrogatoire de la défense dans une poursuite liée à la prostitution.
J’ai passé la semaine dernière à examiner les documents judiciaires et à m’entretenir avec des experts juridiques sur ce qui pourrait devenir une décision faisant jurisprudence sur la façon dont les dispositions de protection des victimes interagissent avec d’autres droits garantis par la Charte.
« Cette affaire se situe à l’intersection de la protection des victimes et du droit de l’accusé à une défense pleine et entière, » a expliqué Martha Campbell, avocate de la défense criminelle qui a plaidé devant la Cour suprême dans des affaires d’agression sexuelle. « La Cour doit équilibrer ces intérêts constitutionnels concurrents avec une extrême prudence. »
La loi sur la protection des victimes d’agression sexuelle, que l’on trouve aux articles 276 et 277 du Code criminel, a été conçue pour éviter que les victimes d’agression sexuelle ne soient confrontées à des questions dégradantes sur leur passé sexuel lors des procès. Cependant, son application dans les cas impliquant des services sexuels commerciaux demeure controversée.
L’affaire en question concerne Michael Leblanc, accusé de vivre des produits de la prostitution et de proxénétisme. Son équipe de défense a cherché à interroger la plaignante sur des clients et des services spécifiques – des informations qu’ils estimaient essentielles à leur stratégie de défense. Le juge du procès a limité cet interrogatoire, invoquant les protections de la loi.
Les documents judiciaires que j’ai obtenus montrent que la défense a fait valoir que ces limitations les empêchaient d’établir une explication alternative pour les revenus de la plaignante, minant leur capacité à contrer les preuves financières de la poursuite.
La Cour d’appel de l’Ontario a maintenu ces limitations dans une décision partagée 2-1. La juge Marion Feldman, rédigeant pour la majorité, a déclaré : « Les dispositions sur la protection des victimes servent à protéger la dignité des plaignantes et à encourager la dénonciation des infractions sexuelles. Ces objectifs restent pertinents même dans les cas impliquant des services sexuels commerciaux. »
La professeure Emily Richards de la faculté de droit d’Osgoode Hall m’a confié : « La Cour suprême devra clarifier si et comment les protections s’appliquent dans les cas où l’activité sexuelle en question est directement liée aux éléments de l’infraction elle-même. »
L’Association canadienne des centres contre les agressions à caractère sexuel a déjà déposé une demande d’intervention. Leur conseillère juridique, Sarah Jennings, a souligné : « Permettre un interrogatoire détaillé sur des services sexuels spécifiques viderait effectivement de leur substance les protections que le Parlement entendait offrir par ces dispositions. »
Les données de Statistique Canada indiquent que malgré le renforcement des protections juridiques, l’agression sexuelle reste l’un des crimes les moins signalés, avec des taux de signalement inférieurs à 6 %. Les défenseurs craignent qu’affaiblir ces protections décourage davantage les dénonciations.
J’ai parlé avec l’ancien procureur de la Couronne David Chen, qui a offert une perspective différente : « Les tribunaux doivent veiller à ne pas étendre les protections d’une manière que le Parlement n’a jamais envisagée. Lorsque la nature des services sexuels est directement pertinente pour prouver ou réfuter des éléments de l’infraction, une certaine enquête doit être autorisée. »
L’examen de l’historique législatif des dispositions canadiennes révèle qu’elles ont été modifiées plusieurs fois depuis leur introduction en 1983, chaque fois à la suite de contestations constitutionnelles. La Cour suprême a précédemment confirmé leur constitutionnalité dans l’affaire R. c. Darrach (2000), estimant qu’elles établissaient un équilibre approprié entre les droits concurrents.
L’Association des avocats criminalistes, qui prévoit d’intervenir, soutient qu’appliquer les protections de façon trop large risque d’entraîner des violations constitutionnelles. « Lorsque la nature même des accusations implique une activité sexuelle commerciale, empêcher la défense d’explorer les aspects pertinents de cette activité peut sérieusement compromettre les droits à un procès équitable, » a déclaré le président de l’Association, James Wilson.
Les dossiers du ministère de la Justice montrent que le gouvernement a déposé un mémoire soutenant la constitutionnalité des dispositions telles qu’appliquées actuellement. Leur soumission fait valoir que « les intérêts de dignité protégés par les lois ne diminuent pas simplement parce que de l’argent a changé de mains. »
L’affaire soulève des questions difficiles sur la façon dont le système judiciaire traite les preuves dans les cas impliquant le travail du sexe. Durant mon enquête, j’ai interviewé deux anciennes travailleuses du sexe qui militent maintenant pour une réforme juridique. Toutes deux ont exprimé leur préoccupation que les tribunaux ne parviennent pas à distinguer entre la protection des plaignantes d’agression sexuelle et l’infantilisation des travailleuses du sexe.
« Il existe une tension entre la protection des personnes contre les questions dégradantes et le respect de leur autonomie dans les contextes commerciaux, » a déclaré Maya Stevens, directrice du Réseau d’action des travailleuses du sexe. « Nous voulons des protections contre les preuves non pertinentes sur l’historique sexuel sans être traitées comme des victimes inhérentes. »
Les observateurs juridiques notent que cette affaire pourrait avoir des implications au-delà des infractions liées à la prostitution, affectant potentiellement les poursuites pour traite des personnes et d’autres cas où l’activité sexuelle fait partie de la conduite criminelle alléguée.
La décision éventuelle de la Cour suprême fournira probablement des orientations cruciales sur où tracer la ligne entre l’équité nécessaire du procès et la protection des plaignantes contre les interrogatoires humiliants – un équilibre avec lequel le système judiciaire a lutté pendant des décennies.
Alors que l’audience d’automne approche, les parties prenantes de tout le spectre préparent leurs mémoires sur cet équilibre constitutionnel délicat. Quel que soit le résultat, la décision de la Cour façonnera l’application des dispositions de protection des victimes dans les tribunaux canadiens pour les années à venir.