Dans une décision historique qui transforme fondamentalement l’approche canadienne en matière de détermination de la peine dans les affaires de pornographie juvénile, la Cour suprême du Canada a statué hier que les peines minimales obligatoires pour ces infractions violent la Charte des droits et libertés. Cette décision de 6 contre 3 conclut une bataille juridique de cinq ans qui a divisé les experts juridiques, les défenseurs des victimes et les réformateurs de la justice pénale.
L’affaire a débuté lorsque le défendeur Martin Schulz a contesté la constitutionnalité de sa peine minimale obligatoire d’un an après avoir plaidé coupable à la possession de pornographie juvénile en 2019. Les avocats de Schulz ont fait valoir que la peine violait l’article 12 de la Charte, qui protège contre « les peines ou traitements cruels et inusités ».
« Cette décision ne vise pas à minimiser la gravité de ces crimes », a écrit la juge en chef Abigail Wagner dans l’opinion majoritaire. « Il s’agit de préserver le pouvoir discrétionnaire des juges pour garantir que les peines correspondent à la fois au crime et aux circonstances de l’accusé. »
La décision de 87 pages souligne à plusieurs reprises que la pornographie juvénile demeure parmi les infractions les plus graves du Code criminel. La Cour a noté que la plupart des condamnations continueraient à entraîner des peines d’emprisonnement importantes, mais a conclu que les peines minimales obligatoires créaient des scénarios où des sentences disproportionnées devenaient inévitables.
La procureure de la Couronne Eleanor Sheppard a exprimé sa profonde déception face à cette décision. « Ces peines minimales obligatoires ont été mises en œuvre pour protéger nos citoyens les plus vulnérables », a-t-elle déclaré aux journalistes devant le palais de justice. « La décision d’aujourd’hui affaiblit potentiellement cette protection. »
Cette décision marque le scepticisme continu de la Cour envers les peines minimales obligatoires. Depuis 2015, la Cour a invalidé des dispositions similaires pour les infractions liées aux drogues et aux armes à feu, privilégiant systématiquement les peines individualisées plutôt que les approches uniformisées.
Le ministre de la Justice David Lametti a déclaré que son bureau « examine attentivement la décision », mais n’a pas indiqué si le gouvernement rédigerait une législation de remplacement. « Nous restons déterminés à protéger les enfants tout en veillant à ce que nos lois respectent les exigences de la Charte », a déclaré Lametti lors d’une conférence de presse.
L’Association canadienne des libertés civiles, qui est intervenue dans l’affaire, a salué la décision comme « une victoire pour une justice proportionnée ». Selon la directrice juridique de l’ACLC, Catherine Latimer, « Les peines minimales obligatoires n’ont jamais réussi à dissuader le crime tout en créant de profondes injustices dans des cas individuels. »
La décision fait référence à l’étude du Citizen Lab de 2023 sur les tendances en matière de détermination de la peine, qui a révélé que les juges imposent déjà des peines substantielles dans les affaires de pornographie juvénile, dépassant généralement les minimums obligatoires. La peine moyenne pour les infractions de possession était de 18 mois, bien supérieure au minimum d’un an qui a été invalidé.
Les groupes de défense des droits des victimes ont exprimé leur préoccupation quant aux impacts potentiels. « Ces crimes causent des traumatismes à vie », a déclaré Monique Johnston de la Coalition pour la sécurité des enfants. « Chaque image représente un abus réel, et les peines devraient refléter cette réalité. »
L’avocat de la défense James Chen a expliqué que la décision n’empêche pas les peines sévères dans les cas graves. « Les juges peuvent et continueront d’imposer des peines d’emprisonnement importantes », a déclaré Chen. « Mais ils ont maintenant la flexibilité de prendre en compte les facteurs atténuants dans des cas exceptionnels. »
La décision a spécifiquement cité des scénarios rares mais préoccupants où les peines minimales obligatoires créaient des problèmes constitutionnels. Il s’agit notamment de cas impliquant des délinquants ayant des déficiences cognitives, des personnes qui ont accédé à du matériel interdit sans le savoir, ou de jeunes adultes partageant des images d’adolescents légèrement plus jeunes.
Les juristes notent que cette décision poursuit la tendance de la Cour à restaurer le pouvoir discrétionnaire des juges en matière de détermination de la peine. Le professeur Emmett Mitchell du Centre des droits de la personne de l’Université McGill a déclaré: « La Cour signale que le Parlement ne peut pas supprimer la capacité des juges à prendre en compte les circonstances individuelles, même pour les infractions les plus réprouvées. »
L’impact pratique de la décision reste incertain. Selon les données de Statistique Canada, les taux de condamnation pour les infractions de pornographie juvénile ont augmenté de 62% au cours de la dernière décennie, tandis que les peines moyennes se sont allongées de près de sept mois.
Le Parlement fait maintenant face à la pression de rédiger de nouvelles lignes directrices sur la détermination de la peine qui puissent résister à l’examen constitutionnel. L’opinion du juge Wagner a offert une feuille de route pour une législation potentielle, suggérant que des dispositions permettant un pouvoir discrétionnaire judiciaire dans des cas exceptionnels pourraient survivre aux contestations fondées sur la Charte.
L’Association des avocats criminalistes a exhorté le gouvernement à adopter des approches fondées sur des preuves pour la réforme de la détermination de la peine plutôt que de précipiter une législation de remplacement. « C’est l’occasion de créer un cadre plus efficace axé à la fois sur la punition et la réhabilitation », a déclaré la présidente de l’Association, Danielle Rodriguez.
Alors que les tribunaux s’adaptent à ce nouveau paysage juridique, le débat se poursuit sur la meilleure façon d’équilibrer la punition, la dissuasion et la réhabilitation dans le traitement de ces crimes graves. Ce qui reste clair, c’est que la Cour suprême a réaffirmé un principe fondamental: que la justice exige une évaluation individuelle, même dans les cas impliquant les infractions les plus condamnées par la société.


 
			 
                                
                              
		 
		 
		