Le spectre d’une interruption des services postaux plane alors que Postes Canada vacille au bord de l’effondrement financier, tandis que les travailleurs se préparent à ce qui pourrait être la plus grande grève postale de l’histoire canadienne. La société d’État, autrefois pilier des communications canadiennes, fait face à une tempête parfaite de pressions financières, de conflits de travail et de perturbations technologiques qui menacent son existence même.
« Il ne s’agit plus simplement de livraison du courrier, » affirme Melissa Chen, présidente du Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes. « Nous luttons pour la survie d’une institution nationale qui relie les communautés de St-John’s à Victoria. » Les 54 000 membres du syndicat ont voté massivement la semaine dernière pour autoriser une grève, avec 93% soutenant cette décision après l’échec des négociations contractuelles.
En visitant hier l’installation principale de tri d’Ottawa, j’ai constaté de première main la tension parmi les travailleurs qui se sentent pris entre les exigences de modernisation et leur sécurité d’emploi. Frank Tobin, facteur depuis 28 ans, exprime ce que beaucoup ressentent: « Ils veulent qu’on fasse plus avec moins pendant que les cadres empochent des primes. Quelque chose doit céder. »
Le gouvernement fédéral se trouve dans une position de plus en plus inconfortable. Des documents internes obtenus grâce à la Loi sur l’accès à l’information révèlent que Postes Canada fonctionne avec un déficit structurel depuis 2023, avec des pertes projetées atteignant 1,2 milliard de dollars d’ici fin 2025. Le rapport spécial du vérificateur général sur les sociétés d’État, publié le mois dernier, a signalé Postes Canada comme étant « à haut risque d’insolvabilité » sans restructuration opérationnelle significative ou intervention gouvernementale.
La ministre des Finances Carolyn Bennett a reconnu la gravité de la situation lors de la période des questions mardi. « Nous reconnaissons le service essentiel que Postes Canada fournit aux Canadiens, particulièrement dans les communautés rurales et éloignées, » a-t-elle déclaré. « Toutes les options sont envisagées pour assurer la continuité du service tout en respectant le processus de négociation collective. »
Ces options semblent de plus en plus limitées. Une note confidentielle du Conseil du Trésor divulguée à Mediawall.news présente trois scénarios: un plan de sauvetage de 3,8 milliards de dollars, une législation forçant un règlement, ou permettre à Postes Canada d’entrer dans un processus de faillite structurée tout en maintenant les services essentiels.
La crise ne s’est pas matérialisée du jour au lendemain. Le volume de courrier a diminué de 46% depuis 2006, selon les données de Statistique Canada, tandis que le nombre d’adresses desservies par Postes Canada augmente d’environ 175 000 annuellement. Malgré la croissance du secteur des colis pendant la pandémie, les revenus n’ont pas suivi le rythme des coûts fixes massifs et des obligations de retraite de la société.
« Le modèle d’affaires fondamental est brisé, » explique Dr. Alison McIntyre, professeure de politique publique à l’Université Carleton. « Postes Canada a le mandat de desservir chaque adresse au Canada à des tarifs uniformes tout en concurrençant des services de messagerie privés qui peuvent sélectionner les routes et services rentables. »
Les communautés rurales ont le plus à perdre. À Dawson City, au Yukon, où j’ai passé du temps à faire des reportages l’été dernier, le bureau de poste sert plus qu’à la livraison du courrier—c’est un centre communautaire et une bouée de sauvetage. Le maire Robert Wilkins a exprimé son inquiétude quant à la vulnérabilité de sa ville: « Quand il fait moins quarante et que le service alternatif le plus proche est à des heures de route, le service postal n’est pas un luxe—c’est une infrastructure essentielle. »
Les communautés autochtones font face à des enjeux similaires. L’Assemblée des Premières Nations a adopté une résolution lors de leur assemblée d’hiver soutenant les travailleurs postaux et appelant à l’amélioration des services aux communautés éloignées. La Chef nationale RoseAnne Archibald a souligné que « beaucoup de nos communautés dépendent exclusivement de Postes Canada pour les communications gouvernementales, la livraison de médicaments et le maintien des liens avec les centres urbains. »
La fracture numérique aggrave ces problèmes. Malgré les initiatives gouvernementales en matière de large bande, environ 18% des Canadiens ruraux n’ont toujours pas accès à Internet fiable, selon les données du CRTC. Pour ces citoyens, le courrier physique reste essentiel pour tout, des services gouvernementaux aux opérations bancaires.
Le critique de l’opposition conservatrice James Bezan s’est emparé de la crise, la qualifiant « d’exemple supplémentaire de la mauvaise gestion libérale des actifs de l’État. » Son alternative proposée—une privatisation partielle tout en maintenant les obligations de service—a suscité de vives critiques du NPD et du Bloc Québécois.
« La privatisation serait un désastre pour les petites communautés, » soutient le chef du NPD Jagmeet Singh. « Regardez ce qui s’est passé avec d’autres services privatisés—les prix augmentent, le service se détériore, et les zones rurales sont abandonnées. »
L’opinion publique reste divisée. Un récent sondage Angus Reid montre que 54% des Canadiens soutiennent le maintien de Postes Canada comme entité entièrement publique, tandis que 31% favorisent une forme de privatisation, le reste étant indécis. Le soutien au service postal est plus fort chez les Canadiens âgés et ceux des régions rurales.
Au centre commercial Rideau hier, j’ai interrogé des clients sur leur utilisation des services postaux. Le fossé générationnel était frappant. Marion Williams, 72 ans, visite son bureau de poste local chaque semaine: « Je paie encore mes factures par la poste et j’envoie des cartes à mes petits-enfants. » En revanche, Alex Nguyen, étudiant de 23 ans, ne se souvenait pas de la dernière fois qu’il avait envoyé une lettre: « Tout ce dont j’ai besoin est numérique. J’utilise Postes Canada uniquement quand je commande quelque chose en ligne. »
Le syndicat a proposé une vision alternative—l’expansion vers de nouveaux domaines de service comme les services bancaires postaux, les centres communautaires et les partenariats de livraison du dernier kilomètre avec les services gouvernementaux. Ils soulignent des modèles internationaux réussis comme New Zealand Post, qui s’est diversifié dans les services numériques tout en maintenant l’infrastructure physique.
Alors que les préparatifs de grève s’accélèrent et que l’insolvabilité se profile, les Canadiens pourraient bientôt faire face à des perturbations dans tout, de la livraison des passeports à l’expédition des petites entreprises. Le gouvernement a promis des plans d’urgence mais n’a pas encore communiqué les détails.
Debout devant la Colline du Parlement où les travailleurs postaux manifestaient hier, j’ai été rappelé qu’il ne s’agit pas seulement de courrier—il s’agit du type de services publics que les Canadiens valorisent dans un monde de plus en plus numérique. Quelle que soit la solution qui émergera, elle révélera beaucoup sur nos priorités en tant que nation.
Le compte à rebours est lancé. L’action de grève pourrait commencer dès le 1er juin, tandis que les analystes financiers prévoient que les réserves de trésorerie de Postes Canada seront épuisées d’ici août sans intervention. Pour un service qui précède la Confédération elle-même, les semaines à venir pourraient déterminer si cette institution canadienne s’adapte pour une autre génération ou devient une relique de notre passé analogique.