Le secteur des arts au Canada se transforme discrètement en une véritable force économique, avec une croissance presque deux fois supérieure à celle de l’économie générale. Selon un nouveau rapport de la Chambre de commerce du Canada publié mardi, les industries artistiques et culturelles ont connu une expansion remarquable de 8,3 % en 2022, dépassant largement la croissance économique globale du pays qui s’établit à 4,5 %.
En tant qu’observateur de différents secteurs de notre économie depuis des années, ces chiffres ont attiré mon attention. Nous parlons souvent des startups technologiques et des ressources naturelles lorsque nous évoquons les moteurs économiques, mais les industries créatives canadiennes prouvent leur puissance financière d’une manière qui mérite davantage de reconnaissance.
Le rapport révèle que les arts et la culture ont contribué à hauteur de 58,8 milliards de dollars au PIB canadien l’an dernier. Ce n’est pas simplement un chiffre impressionnant isolé — il représente une véritable reprise et une expansion au-delà des niveaux d’avant la pandémie. Alors que de nombreux secteurs peinent encore à retrouver leurs résultats de 2019, le secteur artistique a déjà dépassé ses performances d’avant la COVID.
« Le discours autour des arts et de la culture au Canada s’est généralement centré sur leur valeur culturelle et sociale », explique Stephen Higham, vice-président des politiques à la Chambre. « Mais ces chiffres racontent une histoire économique convaincante qui ne peut être ignorée par les décideurs ou les investisseurs. »
Ce qui est particulièrement remarquable dans cette croissance, c’est sa distribution. Le rapport montre que plusieurs sous-secteurs spécifiques stimulent cette expansion, avec la production cinématographique et télévisuelle, les médias numériques et les arts de la scène affichant des gains particulièrement robustes. L’industrie cinématographique a contribué à elle seule à hauteur de 12,9 milliards de dollars à l’économie, bénéficiant à la fois des productions internationales qui choisissent des lieux canadiens et du contenu local qui trouve un public mondial.
Les chiffres de l’emploi renforcent davantage cette tendance. Le secteur emploie désormais environ 726 600 personnes à travers le Canada, soit une augmentation de 8,7 % par rapport à 2021. Cela dépasse le taux de croissance national de l’emploi de 3,7 % pendant la même période.
Derrière ces chiffres se cache un réseau complexe de facteurs. Les crédits d’impôt fédéraux et provinciaux ont certainement joué un rôle dans l’attraction des productions et des investissements, particulièrement dans le domaine du cinéma et de la télévision. Le Fonds des médias du Canada rapporte que pour chaque dollar de crédit d’impôt offert, environ 6 dollars d’activité économique sont générés.
Pourtant, tout n’est pas rose dans cette histoire de croissance. Le rapport souligne également d’importantes disparités régionales, l’Ontario et la Colombie-Britannique s’accaparant près de 70 % du PIB des arts et de la culture. Cette concentration soulève des questions sur le développement équitable et les opportunités pour les professionnels créatifs à travers le pays.
« Nous observons le développement d’une économie créative à deux vitesses », explique Claire Patterson, économiste à la Banque Royale du Canada. « Les grands centres urbains connaissent une croissance explosive des industries créatives, tandis que de nombreuses petites communautés et provinces luttent pour retenir les talents et attirer les investissements. »
La pandémie a également accéléré la transformation numérique dans les arts, créant des gagnants et des perdants. Alors que les services de streaming et les créateurs de contenu numérique ont prospéré, les lieux traditionnels comme les théâtres et les salles de concert ont fait face à des défis de reprise plus importants. Les données de Statistique Canada montrent que la fréquentation en personne des événements d’arts de la scène reste environ 15 % en dessous des niveaux de 2019, malgré la croissance globale du secteur.
Ce qui rend ces chiffres particulièrement impressionnants, c’est qu’ils surviennent dans un contexte de défis significatifs. Les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, l’inflation et les pénuries de main-d’œuvre ont affecté les arts tout comme les autres industries. Les coûts de production dans le cinéma et la télévision ont augmenté d’environ 25 % depuis 2019, selon l’Association canadienne des producteurs médiatiques.
La dimension internationale ne doit pas être négligée non plus. Le contenu canadien trouve de plus en plus un public mondial grâce aux plateformes de streaming. « Emily à Paris » attire peut-être toute l’attention, mais des émissions comme « Schitt’s Creek » et des films comme « The Whale » ont démontré la capacité du Canada à créer du contenu internationalement reconnu tout en générant des bénéfices économiques nationaux.
Pour les décideurs politiques, ces chiffres présentent à la fois une validation et des défis. L’impact économique suggère que le soutien aux arts ne devrait pas être considéré simplement comme des subventions culturelles, mais comme des investissements avec des rendements mesurables. Parallèlement, assurer que cette croissance profite à toutes les régions et disciplines créatives nécessitera des approches politiques réfléchies.
Comme le secteur technologique il y a une décennie, les arts et la culture pourraient approcher un point d’inflexion où ils sont de plus en plus reconnus comme d’importants moteurs économiques plutôt que comme de simples commodités culturelles. Les parallèles ne s’arrêtent pas là — les deux secteurs sont confrontés à des questions de concentration du pouvoir, d’accessibilité des opportunités et d’équilibre entre succès commercial et intégrité créative.
La question maintenant est de savoir si cette croissance est durable. Certains vents contraires économiques s’intensifient, avec l’inflation et les taux d’intérêt qui pourraient affecter à la fois les budgets de production et les dépenses des consommateurs en divertissement. Le prochain budget fédéral sera un indicateur clé pour savoir si le gouvernement reconnaît cette trajectoire de croissance et prévoit de la soutenir.
Ce qui est clair, c’est que le secteur artistique canadien a démontré une résilience et une adaptabilité remarquables. Dans une économie souvent caractérisée par sa dépendance aux ressources naturelles et sa proximité avec les États-Unis, les industries créatives créent leur propre histoire de réussite distincte — une histoire qui combine importance culturelle et véritable impact économique.
C’est un récit qui mérite d’être célébré et scruté alors que nous envisageons l’avenir économique du Canada.