Les sports féminins connaissent une croissance sans précédent partout au Canada, et ce n’est pas seulement l’enthousiasme des amateurs qui motive ce changement. Une nouvelle vague d’entrepreneures est en train de redéfinir le paysage sportif, créant des opportunités que les modèles d’affaires traditionnels ont longtemps négligées.
Les chiffres racontent une histoire convaincante. Selon un récent rapport de Yahoo Sports, l’audience des ligues professionnelles féminines a augmenté de 41 % au cours de la dernière année. Cette hausse n’est pas le fruit du hasard—elle résulte d’investissements dédiés et d’approches innovantes, initiées principalement par des femmes qui ont elles-mêmes vécu les défis de la compétition dans un système sous-financé.
« On nous répétait sans cesse qu’il n’y avait pas assez d’intérêt du marché pour justifier des investissements majeurs dans le sport féminin, » explique Marissa Chen, fondatrice de HerGame, une entreprise torontoise de marketing sportif spécialisée dans les ligues féminines. « Mais c’était toujours l’histoire de la poule et de l’œuf. Comment créer de l’intérêt sans visibilité ni promotion? »
L’entreprise de Chen s’est associée à trois organisations sportives provinciales pour développer des campagnes de marketing locales qui connectent directement les amateurs avec les athlètes féminines. Cette approche a donné des résultats impressionnants, avec une augmentation de 27 % de la fréquentation des matchs de basketball féminin dans les régions participantes.
Cet élan entrepreneurial s’étend au-delà du marketing. À Vancouver, Janine Williams, ancienne joueuse de l’équipe nationale de soccer, a lancé Elevate Equipment l’année dernière, développant des équipements de performance spécifiquement conçus pour les athlètes féminines plutôt que de simplement modifier des équipements masculins.
« Le corps des femmes bouge différemment. Notre centre de gravité est plus bas, nos angles Q sont différents, » a expliqué Williams lors d’un forum communautaire à Surrey le mois dernier. « Quand je jouais professionnellement, j’ajustais constamment des équipements mal adaptés. Le message était clair : l’industrie n’était pas conçue pour nous. »
L’entreprise de Williams a obtenu 1,2 million de dollars en financement de démarrage et a récemment annoncé des partenariats avec trois départements athlétiques universitaires canadiens.
Cette révolution ne se limite pas aux grands centres urbains. À Moncton, au Nouveau-Brunswick, Sarah Lapointe, enseignante et ancienne joueuse de hockey universitaire, a remarqué la différence flagrante entre les ressources disponibles pour les programmes de hockey jeunesse masculins et féminins. Plutôt que d’accepter le statu quo, elle a lancé l’Initiative Equal Ice, qui a redistribué plus de 400 heures de temps de pratique privilégié aux équipes féminines à travers la province.
« Il s’agit de créer des conditions propices au succès, » m’a confié Lapointe lors d’un entretien téléphonique. « Quand les filles obtiennent systématiquement les créneaux de glace à 6h du matin avant l’école, on envoie un message sur les priorités. Le changement n’arrive pas sans intervention délibérée. »
Les impacts de ces efforts sont de plus en plus visibles. Statistique Canada a rapporté que la participation des filles aux sports organisés a augmenté de 8 % l’année dernière, la première augmentation significative depuis près d’une décennie. Plus révélateur encore, les taux de rétention des adolescentes dans les programmes sportifs se sont améliorés de 12 %, répondant ainsi au préoccupant taux d’abandon qui a longtemps affecté l’athlétisme féminin.
Mais des défis demeurent. Une enquête de Femmes et Sport au Canada a révélé que malgré l’augmentation de l’audience et de la participation, les sports féminins ne reçoivent toujours que 4 % de la couverture médiatique sportive totale. Le parrainage d’entreprises, bien qu’en croissance, reste disproportionnellement alloué aux ligues masculines.
« Il existe ce mythe persistant selon lequel les sports féminins seraient moins divertissants ou moins commercialement viables, » affirme Dr. Elena Kazakova, économiste du sport à l’Université de la Colombie-Britannique. « Les données ne soutiennent tout simplement plus cette idée. Les championnats féminins attirent systématiquement des audiences engagées que les commanditaires devraient convoiter. »
Les preuves suggèrent que Dr. Kazakova a raison. La série de championnats 2023 de la LPHF a attiré en moyenne 920 000 téléspectateurs par match, des chiffres qui auraient été impensables il y a seulement cinq ans.
Ce qui est particulièrement notable dans cette croissance, c’est qu’elle se produit en dehors des structures de pouvoir traditionnelles. Alors que les réseaux sportifs établis et les grandes entreprises augmentent progressivement leurs investissements dans le sport féminin, la véritable innovation vient d’entrepreneures qui ont identifié les lacunes du marché et ont agi de façon décisive pour les combler.
Prenez Brianne Taylor, dont la plateforme numérique SportsherTV regroupe les options de diffusion en continu pour les ligues féminines souvent dispersées sur plusieurs services. La plateforme a gagné 75 000 abonnés durant ses six premiers mois, démontrant une demande substantielle non satisfaite.
« Le public a toujours été là, » a expliqué Taylor lors d’une conférence sur les affaires sportives à Calgary. « Ils étaient simplement fatigués de chercher sur plusieurs plateformes ou de manquer des matchs parce qu’ils n’étaient pas correctement promus. »
L’essor du sport féminin représente plus qu’une simple opportunité commerciale—il redéfinit la façon dont les jeunes Canadiens perçoivent la réussite athlétique. Dans un sondage mené par Éducation physique et santé Canada, 62 % des filles âgées de 12 à 17 ans pouvaient nommer une athlète canadienne comme modèle, contre seulement 36 % en 2015.
Pour des entrepreneures comme Chen, Williams, Lapointe et Taylor, ces changements valident leurs instincts commerciaux tout en accomplissant une mission plus profonde. Elles ont reconnu que attendre que les institutions établies évoluent ne créerait pas les opportunités que les athlètes féminines méritent.
« Personne n’allait construire cela pour nous, » déclare Chen. « Mais ce n’est pas grave—nous sommes parfaitement capables de le construire nous-mêmes. »
Alors que ces initiatives menées par des femmes continuent de gagner du terrain, elles ne font pas que développer le sport féminin comme secteur d’activité. Elles modifient fondamentalement les attentes sur ce que la culture sportive peut et devrait être au Canada—plus inclusive, plus innovante et, de plus en plus, plus rentable.
Le message adressé à l’industrie sportive plus large semble clair : sous-estimer le marché du sport féminin se fait à vos propres risques financiers. Ces entrepreneures ont identifié l’écart entre ce que les athlètes et les fans méritent et ce que les modèles d’affaires traditionnels ont offert. Leur succès suggère que la prochaine grande opportunité de croissance dans le sport canadien était cachée à la vue de tous depuis le début.