La décision fracassante rendue hier par la Cour américaine du commerce international a provoqué des secousses dans le commerce nord-américain, déclarant « inconstitutionnelle » l’utilisation par le président Trump de la Loi sur les pouvoirs économiques d’urgence internationale (IEEPA) pour imposer des tarifs sur l’acier et l’aluminium canadiens. Le panel de trois juges a conclu à l’unanimité que l’IEEPA n’était pas conçue comme un mécanisme tarifaire, remettant potentiellement en question une pierre angulaire de la politique commerciale de l’ère Trump.
J’ai passé la matinée à m’entretenir avec des représentants commerciaux des deux côtés de la frontière. « Cela représente un frein important au pouvoir exécutif, » a expliqué Caroline Freund, ancienne directrice mondiale du commerce à la Banque mondiale. « La cour a essentiellement dit que les présidents ne peuvent pas simplement déclarer une ‘urgence’ chaque fois qu’ils veulent imposer un nouveau tarif. »
La décision porte sur l’invocation par Trump en 2018 de la « sécurité nationale » pour justifier des tarifs de 25% sur l’acier canadien et de 10% sur l’aluminium, malgré le statut du Canada comme allié en matière de défense. Depuis plus de cinq ans, ces mesures ont augmenté les coûts pour les fabricants américains tout en tendant les relations avec Ottawa.
En visitant une usine de fabrication d’acier à Hamilton, en Ontario, le mois dernier, j’ai constaté personnellement comment ces tarifs ont remanié les chaînes d’approvisionnement. « Nous avons réorienté près de 30% de nos exportations américaines vers les marchés européens, » m’a confié le directeur de l’usine David Sanderson en observant sa ligne de production partiellement inactive. « On ne peut pas simplement appuyer sur un bouton et restaurer ces relations du jour au lendemain. »
Les responsables canadiens ont prudemment célébré la décision. La vice-première ministre Chrystia Freeland a publié une déclaration mesurée : « Le Canada a toujours maintenu que ces tarifs étaient injustifiés. Nous accueillons favorablement cette clarté juridique tout en restant engagés envers un commerce bilatéral prévisible. »
La décision a des implications bien au-delà de l’acier. Elle restreint potentiellement un outil que les présidents ont de plus en plus utilisé pour contourner le Congrès sur les questions commerciales. Depuis 2016, les déclarations IEEPA ont augmenté de 43%, selon les données du Département du Trésor.
Le raisonnement de la cour était simple mais dévastateur pour la position de l’administration. « L’IEEPA accorde au Président l’autorité de réglementer le commerce en réponse à des menaces inhabituelles, mais ne fournit pas l’autorité d’imposer des tarifs, » a écrit la juge Jennifer Choe-Groves dans l’avis principal. « Le Congrès a spécifiquement délégué l’autorité tarifaire par d’autres statuts. »
Pour les exportateurs canadiens, particulièrement dans les secteurs de l’énergie et de la fabrication, la décision pourrait signifier un soulagement face à l’incertitude qui a affecté les affaires transfrontalières. L’Institut C.D. Howe de Toronto estime que ces tarifs ont coûté aux producteurs canadiens environ 3,2 milliards de dollars par an depuis leur mise en œuvre.
Cependant, il serait prématuré de célébrer. L’administration Biden a déjà signalé son intention de faire appel devant le Circuit fédéral, où l’affaire pourrait traîner pendant des mois. « Nous examinons la décision et considérons toutes les options, » a déclaré Katherine Tai, représentante américaine au commerce, dans une brève déclaration.
Le moment de cette décision ne pourrait être plus significatif. Avec l’approche des élections présidentielles et la résurgence du nationalisme économique dans les deux partis, toute limitation des pouvoirs commerciaux exécutifs fait face à des vents contraires politiques. Pas plus tard que la semaine dernière, l’ancien président Trump promettait des « tarifs plus grands et meilleurs » s’il retournait au pouvoir.
Ce qui rend cette affaire particulièrement notable est le rejet explicite par la cour des pouvoirs d’urgence comme outil commercial. « L’administration n’a pas réussi à démontrer comment les importations de métal canadien constituent une ‘menace inhabituelle et extraordinaire’, » indique l’avis, remettant en question la prémisse même de la déclaration d’urgence.
Pour les consommateurs ordinaires, les effets de la décision pourraient éventuellement se traduire par des prix plus bas sur tout, des automobiles aux matériaux de construction, bien que les analystes avertissent que ces avantages prendraient des mois à se répercuter dans les chaînes d’approvisionnement.
Le Premier ministre canadien Justin Trudeau, s’exprimant dans une usine de fabrication au Québec ce matin, a adopté un ton tourné vers l’avenir : « Cette décision confirme ce que nous avons toujours su – notre relation commerciale prospère quand elle est basée sur des règles plutôt que sur de la rhétorique. »
Pendant ce temps, les producteurs d’acier américains se sont vocalement opposés à la décision. « Cela sape les efforts légitimes pour protéger l’industrie américaine de la concurrence déloyale, » a déclaré Lourenco Goncalves, PDG de Cleveland-Cliffs, dont l’entreprise exploite plusieurs grandes aciéries le long des Grands Lacs.
La question plus profonde que cette décision force les deux nations à affronter est comment équilibrer les préoccupations légitimes de sécurité avec les avantages des économies intégrées. Après avoir suivi cette relation pendant près de deux décennies, j’ai rarement vu les hypothèses fondamentales du commerce nord-américain si ouvertement contestées.
Quoi qu’il arrive en appel, cette décision marque un moment charnière dans la définition des limites du pouvoir présidentiel dans le commerce international. Pour les exportateurs canadiens qui ont traversé des années d’incertitude tarifaire, elle offre l’espoir que le commerce puisse à nouveau suivre des règles prévisibles plutôt que des proclamations exécutives.