Le déclin du commerce de détail intermédiaire au Canada n’est pas un effondrement soudain, mais plutôt une transformation lente et douloureuse qui se prépare depuis des années. Lorsque la Compagnie de la Baie d’Hudson a annoncé son intention de fermer son magasin du centre-ville de Winnipeg après 97 ans d’activité, cela ne marquait pas un incident isolé, mais un nouveau chapitre dans la restructuration plus large du commerce de détail qui touche les communautés à l’échelle nationale.
« Nous assistons à un évidement du milieu, » explique Marty Weintraub, responsable national de la pratique du commerce de détail chez Deloitte Canada. « Les détaillants qui servaient autrefois les Canadiens de la classe moyenne avec des prix moyens se retrouvent comprimés des deux côtés. »
Cette compression du commerce de détail suit un modèle bien connu des économistes qui suivent le pouvoir d’achat de la classe moyenne. Alors que le revenu disponible stagne pour de nombreux ménages, les dépenses de consommation se sont polarisées vers les détaillants à rabais ou les expériences de luxe haut de gamme, laissant les grands magasins traditionnels et les chaînes de milieu de gamme en difficulté pour définir leur pertinence.
Les chiffres racontent une histoire sobre. Selon Statistique Canada, le volume des ventes au détail a chuté de 2,2 % au premier semestre 2023, les grands magasins connaissant des baisses encore plus importantes. Par ailleurs, les données récentes de la Banque du Canada montrent que les ratios d’endettement des ménages par rapport au revenu atteignent 180,5 % – un niveau historiquement élevé qui limite davantage les dépenses discrétionnaires des familles à revenu moyen.
Pour des communautés comme le centre-ville de Winnipeg, ces fermetures représentent plus qu’un inconvénient. « Les grands magasins étaient autrefois des piliers communautaires, » note l’urbaniste Susan Richardson, qui étudie les environnements commerciaux. « Quand ils partent, cela crée un effet cascade sur les entreprises environnantes et les espaces publics. »
La fermeture de La Baie à Winnipeg fait suite à des fermetures similaires à Edmonton, Calgary et d’autres villes canadiennes. D’autres chaînes établies, notamment Reitmans, Le Château et Aldo, ont soit considérablement réduit leur présence, soit complètement disparu des centres commerciaux canadiens ces dernières années.
Qu’est-ce qui a provoqué cet effondrement du marché intermédiaire? Plusieurs facteurs convergent pour créer une tempête parfaite pour les détaillants traditionnels.
D’abord, le commerce électronique a fondamentalement modifié les habitudes d’achat. Le commerce en ligne a capté 14,5 % du total des ventes au détail canadiennes l’an dernier, soit plus du double de sa part pré-pandémique. Le réseau de livraison rapide d’Amazon Prime atteint maintenant 95 % des codes postaux canadiens, créant des pressions concurrentielles auxquelles les magasins physiques ont du mal à faire face.
Ensuite, la hausse des coûts de l’immobilier commercial a rendu les magasins de grand format de plus en plus insoutenables. « Exploiter un grand magasin de 300 000 pieds carrés dans le marché actuel, c’est comme entretenir un manoir qu’on n’a pas les moyens de chauffer, » affirme l’analyste en immobilier commercial David Tartaglia.
Troisièmement, les valeurs des consommateurs ont changé. Les jeunes acheteurs font preuve de moins de fidélité aux marques et désirent davantage soit des produits de base fortement réduits, soit des expériences hautement personnalisées – deux domaines où les grands magasins traditionnels n’excellent pas.
« Les détaillants de milieu de gamme se sont retrouvés à essayer d’être tout pour tout le monde, » observe la stratège en commerce de détail Cassandra Williams. « Dans le marché fragmenté d’aujourd’hui, c’est une recette pour l’insignifiance. »
La transformation se manifeste différemment à travers le Canada. Alors que certains centres urbains voient le commerce de luxe s’épanouir dans des quartiers concentrés, les zones suburbaines ont connu une croissance explosive des magasins à prix modiques comme Dollarama, qui a ouvert son 1 400e emplacement canadien cette année.
Ce n’est pas simplement un phénomène canadien. Des tendances similaires sont apparues dans toute l’Amérique du Nord, avec des détaillants autrefois dominants comme JCPenney, Sears et Kohl’s confrontés à des défis existentiels aux États-Unis.
Pour les consommateurs, l’impact varie selon la géographie et le niveau de revenu. Alors que les consommateurs à revenu élevé dans les grands centres urbains bénéficient d’options premium élargies, de nombreux Canadiens de la classe moyenne dans les petites communautés font face à une sélection et à une commodité réduites.
« Nous voyons des déserts commerciaux se former dans certaines régions, » avertit le défenseur des consommateurs Michael Sanderson. « Quand le commerce de détail abordable et de qualité disparaît d’une communauté, cela affecte de manière disproportionnée ceux qui ont des options de transport limitées ou une littératie numérique réduite. »
Certains détaillants ont trouvé des moyens de naviguer dans ce paysage difficile. Simons, le grand magasin québécois, a investi massivement dans les expériences en magasin et l’intégration numérique. Indigo Livres & Musique s’est orienté vers les marchandises de style de vie tout en maintenant son identité de détaillant culturel. Canadian Tire a tiré parti de sa marque de confiance et de ses catégories de produits essentiels pour rester pertinent.
Ce que ces survivants partagent, c’est la clarté concernant leur proposition de valeur – un élément qui manque à de nombreuses chaînes de milieu de gamme en difficulté.
« Les détaillants qui survivront ne sont pas nécessairement les plus grands ou les moins chers, » dit Weintraub. « Ce sont ceux qui comprennent exactement pourquoi les clients devraient les choisir plutôt que les alternatives. »
Pour les communautés confrontées à d’importantes fermetures de commerces, la voie à suivre implique souvent de réimaginer complètement les espaces commerciaux. D’anciens grands magasins à travers le Canada se sont transformés en campus universitaires, centres médicaux, pôles technologiques et développements à usage mixte combinant logements et surfaces commerciales plus petites.
Alors que Bay Street observe ces transformations du commerce de détail, les investisseurs distinguent de plus en plus entre les types de propriétés. Tandis que les centres commerciaux ancrés par des épiceries et des détaillants essentiels maintiennent des évaluations stables, les centres commerciaux traditionnels fermés ancrés par des grands magasins font face à une pression significative de réévaluation et de réaménagement.
Pour les consommateurs canadiens, cette restructuration du commerce de détail exige une adaptation. La comparaison des prix en ligne, l’augmentation des déplacements vers les pôles commerciaux et une plus grande dépendance aux magasins spécialisés remplacent souvent l’expérience du grand magasin unique des générations précédentes.
Le futur paysage commercial comportera probablement moins de magasins physiques mais plus ciblés, complétés par des options numériques sophistiquées. Le milieu de gamme ne disparaîtra pas entièrement, mais il sera radicalement différent du modèle de grand magasin qui a façonné le commerce canadien tout au long du 20e siècle.
« Nous n’assistons pas à la fin du commerce de détail, » conclut Williams. « Nous voyons la fin du commerce de détail indifférencié. Pour que les magasins méritent leur présence physique dans les communautés, ils doivent offrir quelque chose de vraiment distinct – que ce soit une valeur extraordinaire, un service exceptionnel ou des expériences qu’on ne peut simplement pas reproduire en ligne. »
Dans cette transformation résident à la fois des défis et des opportunités pour les détaillants, les communautés et les consommateurs à travers le Canada.