En tant que Canadien qui a passé d’innombrables heures à analyser les tendances économiques, les derniers chiffres sur le magasinage transfrontalier ont immédiatement attiré mon attention. Il semble que notre passe-temps national de chasser les aubaines au sud de la frontière connaît un déclin important.
Les données révèlent une tendance préoccupante : les dépenses canadiennes aux États-Unis ont chuté considérablement. Ce changement représente plus qu’une simple modification des habitudes d’achat—c’est un miroir reflétant les pressions économiques plus larges auxquelles font face les Canadiens ordinaires.
Plusieurs facteurs convergent pour garder les portefeuilles canadiens plus près de chez nous. Le taux de change continue d’être un obstacle majeur. Avec notre dollar qui stagne autour de 73-74 cents américains, cette aubaine chez Target ne semble soudainement plus si avantageuse une fois la conversion de devise prise en compte.
Mais l’histoire va au-delà des taux de change défavorables. Le coût pour se rendre dans ces magasins américains a grimpé en flèche. Les prix de l’essence restent obstinément élevés, transformant ce qui aurait pu être une sortie économique en une excursion coûteuse. Pour de nombreuses familles dans les communautés frontalières qui traitaient autrefois le magasinage transfrontalier comme une activité régulière du week-end, les calculs ne fonctionnent tout simplement plus.
L’incertitude économique joue également un rôle significatif. Avec l’inflation qui continue de mettre la pression sur les budgets des ménages, les Canadiens deviennent plus sélectifs concernant leurs dépenses discrétionnaires. Un rapport de Statistique Canada indique que la confiance des consommateurs a fluctué tout au long de 2023, de nombreux ménages privilégiant les nécessités plutôt que les voyages de magasinage.
« Nous observons un changement fondamental dans le comportement de dépense, » explique Marvin Ryder, professeur de marketing à l’Université McMaster. « Quand l’anxiété économique augmente, les consommateurs ont tendance à consolider leurs achats en moins de déplacements, mais plus ciblés. L’époque du magasinage transfrontalier occasionnel pour des économies mineures est peut-être derrière nous pour l’instant. »
Ce déclin n’est pas passé inaperçu auprès des entreprises des deux côtés de la frontière. Les détaillants américains dans des états comme Washington, New York et Michigan—qui ont historiquement bénéficié du tourisme et du magasinage canadiens—signalent une diminution de l’achalandage en provenance du nord de la frontière. Pendant ce temps, les détaillants canadiens sont prudemment optimistes quant à la rétention des dollars des consommateurs au pays.
Le Conseil canadien du commerce de détail note que bien que cela puisse sembler positif pour les entreprises nationales, la réalité est plus complexe. De nombreux Canadiens ne redirigent pas simplement leur budget de magasinage américain vers les magasins canadiens—ils réduisent leurs dépenses globales face aux pressions économiques croissantes.
Fait intéressant, ce changement coïncide avec l’évolution du comportement des consommateurs après la pandémie. Le commerce électronique a définitivement modifié les habitudes d’achat, de nombreux consommateurs étant maintenant à l’aise pour commander des produits de partout dans le monde. La frontière physique importe moins lorsque les marchés numériques peuvent livrer des produits directement aux portes canadiennes, souvent avec des frais d’expédition inférieurs au coût d’un voyage transfrontalier.
Pour les communautés frontalières qui ont bâti leur économie autour du trafic transfrontalier, l’impact est particulièrement préoccupant. Des endroits comme Windsor, Ontario ou Niagara Falls ont traditionnellement bénéficié d’être des portes d’entrée vers le magasinage américain. Les entreprises locales de ces régions signalent qu’elles luttent contre le double défi de voir moins de visiteurs américains venir au nord et moins de Canadiens s’arrêter avant de se diriger vers le sud.
La réduction du magasinage transfrontalier a également des implications pour les recettes gouvernementales. L’Agence des services frontaliers du Canada perçoit des taxes et des droits sur les marchandises rapportées au pays au-delà de certains seuils d’exemption. Moins de voyages de magasinage signifient moins de revenus de cette source.
Pourtant, tout le trafic transfrontalier n’a pas disparu. Les articles à prix élevé où les économies l’emportent sur le désavantage du taux de change—comme les appareils électroménagers ou l’électronique—attirent toujours les Canadiens vers le sud. De même, les services comme les soins de santé (particulièrement les soins dentaires et les procédures électives) continuent d’attirer les Canadiens à la recherche de meilleurs prix malgré le taux de change.
En regardant vers l’avenir, les prévisionnistes économiques suggèrent que cette tendance pourrait se poursuivre bien en 2024. La politique monétaire de la Banque du Canada et la trajectoire de l’inflation seront des facteurs clés pour déterminer si les Canadiens reprendront leurs habitudes de magasinage transfrontalier. Les décisions récentes de la banque centrale de maintenir les taux d’intérêt stables plutôt que de les réduire suggèrent que la reprise économique reste fragile.
« Ce que nous observons fait partie d’un réajustement plus large du comportement des consommateurs en réponse aux pressions économiques, » dit Donna Ramirez, chercheuse en économie de la consommation à l’Université de Toronto. « Le déclin du magasinage transfrontalier est un symptôme visible des ménages qui font des choix difficiles concernant les dépenses discrétionnaires. »
Pour de nombreuses familles canadiennes, la décision d’acheter localement n’est pas seulement une question de patriotisme—c’est une question de gestion financière pratique en période difficile. Jusqu’à ce que l’équation économique change significativement, la tradition du magasinage transfrontalier pourrait rester plus un souvenir nostalgique qu’une réalité actuelle.
Et peut-être plus révélateur encore, la récente vague de campagnes « achetez local » à travers les communautés canadiennes semble résonner avec les consommateurs d’une manière qu’elles n’avaient pas auparavant. La nécessité économique renforce la proposition de valeur de soutenir les entreprises de quartier, créant ce qui pourrait être un changement durable dans la psychologie du consommateur.
La question reste de savoir s’il s’agit d’un ajustement temporaire ou d’un réalignement plus permanent des habitudes d’achat canadiennes. Ce qui est clair, c’est que l’époque simple où l’on traversait la frontière pour du lait et de l’essence moins chers a été remplacée par un calcul économique plus complexe—un calcul qui, pour l’instant, maintient plus de Canadiens du côté nord de la frontière.