Des roches prélevées sur une rive isolée du Québec ont discrètement réécrit l’histoire géologique de notre planète. Des scientifiques confirment qu’elles datent de 4,28 milliards d’années, ce qui en fait les plus anciennes roches connues sur Terre.
Cette découverte sur les rives orientales de la baie d’Hudson n’est pas le fruit d’une expédition spectaculaire, mais plutôt de l’analyse minutieuse du géologue Jonathan O’Neil de l’Université d’Ottawa et de son équipe de recherche. Ils étudient depuis des années l’ancienne ceinture de roches vertes de Nuvvuagittuq, où ces formations primordiales ont résisté à d’innombrables millénaires.
« Ces roches se sont formées alors que la Terre n’avait que 300 millions d’années, » a expliqué O’Neil lors d’une présentation communautaire à Inukjuak le mois dernier. « Nous parlons de roches qui se sont solidifiées lorsque notre planète était encore en train de refroidir après sa formation initiale. »
Les précédentes détentrices du record, découvertes dans les Territoires du Nord-Ouest en 2008, étaient datées d’environ 4,03 milliards d’années. Cette nouvelle découverte québécoise repousse notre compréhension de la plus ancienne croûte terrestre préservée de 250 millions d’années supplémentaires – un bond considérable à l’échelle géologique.
Ce qui rend ces roches québécoises particulièrement importantes, c’est qu’elles se sont formées pendant ce que les scientifiques appellent l’Éon Hadéen, la période la plus ancienne et la plus violente de la Terre. La plupart des roches de cette ère ont été recyclées dans le manteau terrestre par l’activité tectonique, ce qui fait de ces échantillons préservés des fenêtres extraordinairement rares sur l’enfance de notre planète.
Richard Carlson, directeur du Département de Magnétisme Terrestre de l’Institution Carnegie et co-auteur de l’étude, note que les roches contiennent des preuves d’une activité volcanique précoce et de la formation de la croûte océanique primitive. « Nous regardons essentiellement les éléments constitutifs de notre continent, » a déclaré Carlson lors d’un entretien téléphonique. « Ces formations nous racontent comment la Terre a commencé à s’assembler. »
Le processus de datation lui-même présentait des défis uniques. La datation radiométrique traditionnelle utilisant la désintégration uranium-plomb n’était pas possible car ces roches anciennes ont subi trop de transformations. Les chercheurs ont plutôt mesuré la désintégration du samarium-146, un isotope qui a disparu de notre système solaire dans les 500 premiers millions d’années après sa formation.
Les communautés inuites locales reconnaissent depuis longtemps le caractère unique de ces formations rocheuses. L’aîné Simon Inukpuk d’Inukjuak a partagé que la région a toujours été considérée comme spéciale. « Nos ancêtres parlaient de ces pierres comme étant du temps d’avant le temps, » a remarqué Inukpuk lors des réunions de consultation avec l’équipe de recherche. « La science confirme maintenant ce que notre savoir traditionnel a préservé. »
La découverte fournit également un contexte essentiel pour comprendre les premiers environnements terrestres. L’analyse suggère que ces roches se sont formées alors que notre planète était encore en refroidissement, avec une atmosphère dépourvue d’oxygène et un bombardement constant de météorites remodélant la surface. Cet environnement hostile précède les premières preuves de vie de plusieurs centaines de millions d’années.
La ministre québécoise des Ressources naturelles, Maïté Blanchette Vézina, a souligné l’importance de cette découverte lors d’une annonce de financement scientifique provincial. « Le Québec a toujours été connu pour ses riches ressources géologiques, mais d’accueillir maintenant les plus anciennes roches connues sur Terre ajoute une dimension entièrement nouvelle à notre patrimoine naturel, » a-t-elle déclaré.
Pour mettre les choses en perspective, lorsque ces roches se formaient, la Terre elle-même n’avait qu’environ 300 millions d’années – un simple nourrisson en termes cosmiques. Le soleil en était encore à ses premiers stades, et aucun des continents familiers n’existait. La planète était un monde en fusion qui développait lentement les caractéristiques qui soutiendraient éventuellement la vie.
Don Francis, géochimiste à l’Université McGill, qui n’a pas participé à la recherche mais a étudié la région de façon approfondie, a qualifié la découverte de « transformative » pour comprendre la formation de la Terre. « Nous avons toujours eu des théories sur le développement précoce de la croûte terrestre, mais ces roches fournissent des preuves tangibles que nous pouvons réellement tenir dans nos mains. »
L’équipe de recherche a soigneusement préservé des échantillons de carottes au Complexe de recherche avancée de l’Université d’Ottawa, où l’analyse se poursuit. Ils sont particulièrement intéressés à comprendre comment ces roches anciennes pourraient contenir des signatures chimiques expliquant comment la Terre a développé des conditions propices à la vie.
O’Neil souligne que cette découverte appartient non seulement à la communauté scientifique mais à tous les Canadiens, particulièrement aux communautés autochtones qui sont les gardiens de cette terre depuis des générations. « Ce n’est pas seulement la plus vieille roche du Québec – c’est le plus ancien morceau tangible de l’histoire planétaire de l’humanité, » a-t-il déclaré.
Pour les Canadiens ordinaires, la découverte offre un lien profond avec l’histoire la plus ancienne de notre planète. Lorsque nous nous tenons sur le sol canadien, nous nous tenons sur le plus ancien morceau préservé de la croûte terrestre – une distinction qui nous rappelle les fondations géologiques anciennes de notre pays.
Alors que la recherche se poursuit, ces anciennes roches québécoises pourraient encore révéler davantage de secrets sur la façon dont notre planète s’est transformée d’un enfer en fusion en ce monde qui soutient la vie que nous connaissons aujourd’hui.