J’ai passé la dernière semaine dans des salles de classe à travers l’Ontario, observant des enseignants qui s’épuisent à soutenir un nombre croissant d’élèves avec des ressources en diminution. Dans une classe de 3e année à Hamilton, j’ai observé une enseignante dévouée qui tentait d’offrir une attention personnalisée à 32 élèves, dont quatre avec des troubles d’apprentissage identifiés et deux apprenants de français langue seconde.
« Nous faisons de notre mieux, mais on a l’impression qu’on nous prépare à l’échec, » confie l’enseignante, qui a demandé l’anonymat par crainte de répercussions professionnelles. « Il y a cinq ans, j’avais 24 élèves et le soutien d’une aide-enseignante trois jours par semaine. Maintenant, j’ai plus d’élèves avec des besoins plus importants et le soutien d’une AE seulement un jour par semaine. »
Cette réalité se joue dans les salles de classe à l’échelle nationale alors que le système d’éducation publique du Canada fait face à des pressions sans précédent. De la Colombie-Britannique à la Nouvelle-Écosse, un modèle préoccupant émerge: privatisation croissante, contraintes de financement et changements de politiques qui, selon les éducateurs, minent les fondements de l’éducation publique.
Selon les données de Statistique Canada publiées en septembre, le financement par élève n’a pas suivi l’inflation dans six provinces au cours de la dernière décennie, après ajustement pour les augmentations du coût de la vie. Pendant ce temps, la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants rapporte que 87% des éducateurs ont observé une augmentation de la taille des classes dans leurs écoles depuis 2019.
Les parents le remarquent aussi. Un récent sondage Angus Reid a révélé que 72% des parents canadiens ayant des enfants d’âge scolaire estiment que la qualité de l’éducation publique s’est détériorée dans leur province au cours des cinq dernières années. Cette perception pousse certaines familles vers des options d’éducation privée – une tendance qui risque de créer un système à deux vitesses où l’éducation de qualité devient de plus en plus liée aux moyens financiers.
« Nous assistons à un démantèlement au ralenti de l’éducation publique, » explique Dr. Nina Thompson, chercheuse en politique éducative à l’Université Ryerson. « Cela se produit par des contraintes budgétaires, des changements de programme qui n’ont pas été correctement dotés en ressources, et la normalisation progressive des collectes de fonds parentales pour des besoins éducatifs de base. »
Les impacts sont plus graves dans les communautés déjà vulnérables. Dans le North End de Winnipeg, le directeur Robert Chalmers décrit les défis auxquels fait face son école primaire, où environ 40% des élèves proviennent de ménages sous le seuil de pauvreté.
« Quand les ressources sont limitées, les inégalités deviennent plus prononcées, » note Chalmers. « Notre conseil de parents récolte peut-être 3 000 $ par an, alors que les écoles des quartiers plus aisés peuvent récolter 30 000 $. Cela crée des environnements d’apprentissage très différents au sein du même système public. »
La dépendance croissante aux collectes de fonds parentales représente un changement fondamental par rapport au principe selon lequel tous les enfants méritent un accès équitable à une éducation de qualité, quel que soit leur code postal ou le revenu familial.
En Alberta, les récents changements de programme ont ajouté une autre couche de complexité. L’enseignante du primaire Maria Gonzalez exprime sa frustration quant à la mise en œuvre de nouveaux cadres d’apprentissage sans soutien adéquat. « Nous avons reçu de nouveaux programmes de mathématiques et de langues avec à peine de perfectionnement professionnel ou de nouvelles ressources. Les parents sont confus, les enseignants sont débordés, et les élèves sont pris au milieu. »
Les défis s’étendent au-delà de l’éducation primaire et secondaire. Le financement provincial des établissements postsecondaires a généralement diminué en pourcentage des budgets de fonctionnement au cours des deux dernières décennies, selon l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. Cela a entraîné des frais de scolarité plus élevés, une dépendance accrue aux frais des étudiants internationaux et une plus grande influence des entreprises dans les décisions sur les campus.
Les défenseurs de l’éducation soutiennent que ces développements menacent collectivement la fonction démocratisante de l’éducation publique – sa capacité à assurer la mobilité sociale et à préparer une citoyenneté informée, quel que soit le milieu socio-économique.
« L’éducation publique, c’est plus que l’apprentissage académique; c’est créer une société où chacun a une chance équitable, » affirme Jean Beauchamp, président de l’Association provinciale des enseignantes et enseignants du Québec. « Quand nous fragilisons ce système, nous faisons une déclaration sur le type de pays que nous voulons que le Canada soit. »
La pandémie a amplifié les inégalités existantes tout en en créant de nouvelles. L’apprentissage à distance a révélé de profondes fractures numériques, les élèves de ménages à faible revenu manquant souvent d’un accès Internet fiable ou d’espaces d’apprentissage dédiés. Le personnel de soutien scolaire signale voir plus d’élèves aux prises avec des problèmes de santé mentale et des lacunes académiques qui n’ont pas été adéquatement traitées en raison des contraintes de ressources.
Certains gouvernements provinciaux ont répondu aux défis éducatifs en explorant des partenariats avec des entités privées. En Ontario, des millions en contrats ont été accordés à des entreprises de tutorat privées pour remédier aux pertes d’apprentissage liées à la pandémie, plutôt que de renforcer les soutiens scolaires. Les critiques y voient un détournement supplémentaire de fonds du système public tout en introduisant des motifs de profit dans le redressement éducatif.
L’essor des technologies éducatives, accéléré pendant la pandémie, a également suscité des inquiétudes quant à l’influence croissante des entreprises technologiques dans les salles de classe. « Nous devons nous demander qui bénéficie le plus de ces plateformes d’apprentissage numérique, » suggère Dr. Thompson. « Est-ce nos élèves, ou les entreprises qui collectent leurs données et créent de futurs clients? »
Malgré ces défis, il y a des raisons d’espérer. Dans les communautés à travers le Canada, parents, éducateurs et élèves s’organisent pour défendre l’éducation publique. À Vancouver, une coalition de groupes de parents a réussi à convaincre leur commission scolaire de rejeter une proposition qui aurait fermé trois écoles de quartier. À Halifax, des manifestations menées par des élèves ont abouti à la restauration de programmes artistiques précédemment supprimés.
« Ce qui me donne de l’optimisme, c’est de voir les communautés reconnaître ce qui est en jeu et se mobiliser, » déclare Megan Lawrence, une organisatrice parentale à Saskatoon. « L’éducation publique appartient à nous tous, et de plus en plus de gens réalisent qu’ils ont à la fois le droit et la responsabilité de façonner son avenir. »
Pour que tout changement significatif se produise, les Canadiens doivent reconnaître l’éducation publique comme un bien commun qui mérite d’être défendu – pas seulement pour les familles avec des enfants d’âge scolaire, mais pour la société dans son ensemble.
Les données suggèrent que des systèmes d’éducation publique solides sont corrélés à des démocraties plus saines, à une réduction des inégalités et à une plus forte cohésion sociale. Alors que nous naviguons à travers des défis mondiaux complexes, du changement climatique aux perturbations technologiques, ces résultats deviennent plus cruciaux, pas moins.
L’enseignante que j’ai rencontrée à Hamilton l’a résumé avec force alors que ses élèves sortaient à la fin de la journée: « Chaque matin, j’accueille 32 avenirs différents dans ma classe. Ce que nous décidons aujourd’hui concernant l’éducation publique détermine les possibilités que portent ces avenirs. »
La question qui se pose maintenant aux Canadiens est de savoir si nous choisirons d’investir dans ces possibilités ou si nous permettrons qu’elles soient diminuées par négligence ou par des choix politiques délibérés qui sous-évaluent notre système d’éducation publique et la promesse démocratique qu’il représente.