La démission de Steven Guilbeault de son poste de ministre de l’Environnement a provoqué une onde de choc à Ottawa hier, marquant l’un des départs les plus significatifs du Cabinet depuis longtemps. Des sources proches de la situation confirment que la rupture découle de désaccords fondamentaux sur l’orientation de la politique énergétique, particulièrement concernant les approbations de pipelines soutenues par Mark Carney, nouvellement nommé président du Conseil du Trésor.
« Je ne peux pas, en bonne conscience, continuer à servir dans un gouvernement qui semble s’éloigner des engagements climatiques que nous avons pris envers les Canadiens, » a déclaré Guilbeault aux journalistes lors d’une conférence de presse organisée à la hâte devant son bureau de circonscription à Montréal.
Ce départ crée non seulement une vacance au Cabinet mais expose des fissures grandissantes au sein des rangs libéraux concernant le calendrier de transition énergétique du Canada. Ayant couvert quatre cycles électoraux fédéraux, j’ai rarement été témoin d’une telle manifestation publique de discorde politique de la part de ce gouvernement.
Ce qui rend cette démission particulièrement frappante, c’est le pedigree environnemental de Guilbeault. Avant d’entrer en politique, il a cofondé Équiterre et travaillé comme directeur québécois pour Greenpeace – des références qui ont apporté une crédibilité significative aux promesses climatiques libérales. Son départ soulève des questions sur l’engagement du gouvernement envers ses objectifs de réduction des émissions de 40-45% sous les niveaux de 2005 d’ici 2030.
Lors de ma conversation avec Kathryn Harrison, politologue à l’UBC, elle a souligné le poids symbolique de cette démission. « Guilbeault n’était pas un ministre comme les autres. Il représentait la conscience environnementale de ce gouvernement. Son départ suggère un changement significatif de priorité ou un désaccord politique irréconciliable. »
Le timing ne pourrait être plus problématique pour le premier ministre Trudeau, qui fait face à des sondages en baisse et une pression croissante pour répondre aux préoccupations d’abordabilité. Selon le dernier sondage d’Abacus Data, les Libéraux sont derrière les Conservateurs de près de 10 points à l’échelle nationale, avec des chiffres particulièrement préoccupants en Colombie-Britannique – une province où la politique des pipelines reste un sujet divisif.
Des sources internes révèlent que le point de rupture est survenu lors des discussions du cabinet sur l’accélération de l’approbation du projet d’extension Northern Gateway. Mark Carney, qui trouve encore ses marques dans la politique partisane après sa transition du monde bancaire, aurait défendu une approche plus pragmatique des infrastructures énergétiques dans le cadre de la stratégie de compétitivité économique du Canada.
« Il y a toujours eu une tension entre nos objectifs climatiques et nos priorités économiques, » a expliqué un haut responsable libéral qui a demandé l’anonymat. « La démission de Guilbeault représente le moment où cette tension est devenue insoutenable. »
À Vancouver le mois dernier, j’ai parlé avec plusieurs militants environnementaux qui avaient prévu exactement ce scénario. « Dès que Carney est entré au Cabinet avec sa perspective de Bay Street, nous savions que cela pourrait poser problème pour les engagements climatiques, » a déclaré Jamie Hartford de Climate Action Now.
La démission a déjà déclenché des réactions à travers l’échiquier politique. Le chef conservateur Pierre Poilievre n’a pas tardé à capitaliser sur le moment, le qualifiant de « preuve supplémentaire d’un gouvernement en désarroi sans plan économique ou environnemental cohérent. »
Le chef du NPD, Jagmeet Singh, a caractérisé la situation comme la preuve que les Libéraux « n’ont jamais été sérieux concernant l’action climatique, » menaçant potentiellement l’accord de confiance qui a maintenu le gouvernement minoritaire à flot.
Ce qui se passera ensuite reste incertain. Les initiés de la Colline du Parlement suggèrent que le ministre de l’Énergie Jonathan Wilkinson pourrait assumer temporairement le portefeuille de l’environnement, bien que trouver quelqu’un avec la crédibilité environnementale de Guilbeault s’avérera difficile.
Pour les communautés situées le long des tracés de pipelines proposés, ce drame politique à Ottawa a des implications concrètes. À Kitimat, en C.-B., que j’ai visitée lors d’un reportage l’automne dernier, les résidents restent divisés concernant l’augmentation du trafic de pétroliers et les risques environnementaux.
« Nous avons déjà connu ce cycle de promesses et de déceptions, » a déclaré Ron Mitchell, membre de la Nation Haisla impliqué dans les consultations sur le développement des ressources. « Ce qui importe n’est pas qui occupe quel poste à Ottawa, mais si les droits autochtones et les protections environnementales sont vraiment respectés dans le processus. »
La démission révèle également les pressions contradictoires auxquelles fait face le gouvernement Trudeau. Avec l’inflation qui continue de peser sur les budgets des ménages à travers le pays et l’abordabilité du logement atteignant des niveaux de crise, les arguments en faveur de la croissance économique ont un poids politique significatif. Pourtant, les revirements de politique climatique risquent d’aliéner un segment clé de l’électorat libéral, particulièrement dans les circonscriptions urbaines où les préoccupations environnementales sont prioritaires.
Comme me l’a dit Dave Sawyer, ancien économiste d’Environnement et Changement climatique Canada, « Le défi fondamental n’a pas changé – équilibrer la transition économique avec l’action climatique. Mais perdre votre porte-étendard environnemental rend cet exercice d’équilibre beaucoup plus difficile à communiquer de façon convaincante. »
Ce qui est clair, c’est que le départ de Guilbeault a créé à la fois un défi politique et de communication pour le gouvernement à l’approche d’une période pré-électorale difficile. Reste à voir si cela représente un revers temporaire ou un changement plus fondamental dans les priorités de la politique climatique libérale.
Pour les Canadiens préoccupés tant par la stabilité économique que par l’action climatique, la démission force une question difficile : ces objectifs peuvent-ils vraiment coexister dans notre cadre politique actuel, ou sommes-nous destinés à un perpétuel va-et-vient politique alors que les gouvernements naviguent entre ces priorités concurrentes?
La réponse pourrait bien déterminer non seulement l’avenir des engagements climatiques du Canada, mais aussi le sort électoral d’un gouvernement libéral de plus en plus pris entre les promesses faites et la politique pratique.