Le consommateur canadien moyen devrait dépenser environ 1 350 $ pour les fêtes cette année – un chiffre qui masque une réalité économique bien plus complexe à travers le pays. Après avoir suivi le sentiment des consommateurs et les habitudes de dépenses au cours du dernier trimestre, il devient de plus en plus évident que les achats des fêtes reflètent la divergence économique en forme de K qui redessine le paysage financier du Canada.
J’ai récemment parlé avec Mélanie Richardson, une gestionnaire de projet de 42 ans de Mississauga, qui illustre parfaitement un côté de cette division économique. « Nous prévoyons dépenser plus cette année. Mon entreprise a connu une bonne année, et les promotions ont finalement été accordées, » m’a-t-elle confié alors qu’elle magasinait au Centre Eaton. Richardson représente la branche ascendante de l’économie en K – ces Canadiens qui ont réussi à bâtir leur richesse malgré l’inflation, souvent grâce à la propriété immobilière, aux investissements, ou à des emplois spécialisés qui ont résisté aux turbulences économiques.
À l’opposé, dans le même centre commercial, le serveur Alex Nguyen offre un contraste frappant : « Je dis à mes amis que je saute les cadeaux cette année. Entre le loyer et l’épicerie, il ne reste plus rien. » L’expérience de Nguyen reflète la branche inférieure du K – ceux qui font face à des difficultés financières persistantes sans espoir d’amélioration à l’horizon.
Les récentes enquêtes de la Banque du Canada auprès des consommateurs confirment cette bifurcation. Les ménages dans les 40 % supérieurs des revenus prévoient dépenser environ 7 % de plus pour les fêtes par rapport à l’année dernière, tandis que ceux dans les 40 % inférieurs s’attendent à réduire leurs dépenses de 11 à 15 % d’une année à l’autre. Il ne s’agit pas simplement d’une question de riches et de pauvres – mais de changements fondamentaux dans la sécurité économique.
« Ce que nous observons, c’est l’effet du stress financier cumulatif sur les Canadiens à revenus faibles et moyens, » explique Armine Yalnizyan, économiste et boursière Atkinson. « Trois ans d’inflation élevée, particulièrement dans les produits essentiels comme l’alimentation et le logement, ont épuisé les réserves d’épargne de nombreux ménages, alors que d’autres ont réussi à maintenir ou améliorer leur situation. »
L’industrie du commerce de détail s’est adaptée à cette réalité avec une précision remarquable. La Baie d’Hudson et Nordstrom ont élargi leurs offres haut de gamme tout en renforçant leurs sections à rabais. Même Walmart Canada a reconfiguré l’aménagement de ses magasins pour répondre aux besoins des consommateurs soucieux de leur budget et de ceux prêts à dépenser pour des marques premium.
« Nous gérons effectivement deux entreprises différentes sous un même toit, » m’a confié un directeur régional de Walmart sous couvert d’anonymat. « Un groupe de clients est extrêmement sensible aux prix et compte chaque dollar, tandis qu’un autre segment est relativement protégé de l’inflation et prêt à payer pour la commodité et la qualité. »
Les données soutiennent cette approche de double marché. Le processeur de paiement Moneris rapporte que les transactions inférieures à 25 $ ont augmenté de 18 % par rapport à l’année dernière, indiquant plus de petits achats nécessaires. Parallèlement, les détaillants de luxe comme Holt Renfrew indiquent que leur valeur moyenne de transaction a augmenté de près de 12 % sur la même période.
Cette divergence s’étend au-delà du commerce de détail. L’industrie du tourisme connaît des tendances similaires, avec des hébergements économiques en difficulté tandis que les hôtels de luxe affichent des réservations record. Via Rail a vu ses réservations en classe économique diminuer alors que la classe affaires reste stable. Même le marché immobilier reflète ce modèle – les maisons d’entrée de gamme subissent une pression sur les prix tandis que les propriétés de luxe continuent de s’apprécier dans les grands marchés.
Craig Patterson, analyste du commerce de détail et rédacteur en chef de Retail Insider, souligne la composante géographique de cette division. « La reprise en K ne concerne pas seulement les tranches de revenus – elle se manifeste aussi régionalement. Les provinces riches en ressources comme l’Alberta connaissent des dépenses de consommation plus résilientes, tandis que les régions dépendantes de la fabrication ou du tourisme continuent de lutter. »
Les facteurs sous-jacents de cette économie en K sont complexes mais de plus en plus clairs. La pandémie a accéléré les tendances existantes vers le télétravail, l’automatisation et le commerce numérique, bénéficiant aux travailleurs du savoir tout en perturbant les postes de service et de salaire horaire. La hausse des taux d’intérêt a protégé ceux avec des actifs importants tout en pénalisant ceux avec des hypothèques à taux variable ou des dettes à la consommation élevées.
Les données gouvernementales montrent que les ratios du service de la dette des ménages ont atteint des niveaux record pour les 60 % d’individus à revenus inférieurs, alors que les 20 % supérieurs ont en fait diminué leur endettement depuis 2021. Cela crée des réalités financières fondamentalement différentes pour les Canadiens qui abordent la même période des fêtes.
« En termes économiques, nous observons une contrainte de liquidité pour un large segment de consommateurs, » explique Sohaib Shahid, économiste principal à la Banque TD. « Même si les prix se stabilisent ou diminuent légèrement, de nombreux ménages manquent de liquidités pour profiter des offres ou maintenir leurs niveaux de dépenses antérieurs. »
Les implications s’étendent au-delà de cette période des fêtes. La mobilité économique – la capacité d’améliorer sa situation financière – semble stagner pour de nombreux Canadiens. Le suivi des dépenses des consommateurs de RBC montre que les ménages du quartile de revenu le plus bas consacrent plus de 80 % de leurs revenus aux nécessités comme le logement, la nourriture et le transport, laissant peu d’opportunités pour constituer une épargne ou un patrimoine.
En me promenant dans le Centre commercial Yorkdale bondé le week-end dernier, cette ségrégation économique était visible dans les sacs d’achats, les choix de magasins, et même les sélections de l’aire de restauration. Lorsque j’ai mentionné cette observation à une employée, elle a acquiescé avec lucidité : « Le centre commercial semble occupé, mais la moitié des gens ne font que regarder. L’autre moitié fait vivre notre commerce. »
Pour les détaillants, cette période des fêtes représente non seulement les profits annuels mais aussi un indicateur du côté de la division économique que leur modèle d’affaires dessert. Ceux qui s’adressent aux deux extrémités du spectre – comme Amazon, qui sert à la fois les acheteurs économes et premium – pourraient émerger comme gagnants à long terme alors que cette bifurcation économique se poursuit.
Pour les consommateurs canadiens, cette économie en K exige différentes stratégies. Ceux sur la branche supérieure pourraient envisager de soutenir les entreprises locales ou de contribuer aux initiatives communautaires, tandis que ceux confrontés à des contraintes financières devraient éviter les produits de crédit prédateurs qui peuvent prolonger les difficultés financières bien au-delà de la période des fêtes.
Comme le dit Yalnizyan : « Nous ne sommes plus tous dans le même bateau économique – nous ne naviguons même plus sur la même mer. Les décideurs politiques et les entreprises doivent faire face à cette réalité plutôt que de s’appuyer sur des indicateurs économiques généraux qui masquent cette division croissante. »
La question demeure de savoir si cette divergence en forme de K représente une phase temporaire ou une restructuration fondamentale de l’économie canadienne. Quoi qu’il en soit, cette saison des fêtes pourrait être moins mémorable pour ce que les Canadiens ont acheté que pour ce que leurs habitudes de dépenses ont révélé sur l’avenir économique du pays.