Alors que le vent du début d’automne balayait les côtes rocheuses de la péninsule gaspésienne, le député du Bloc Québécois Alexis Deschênes s’est présenté devant une foule d’environ 150 résidents à Chandler, au Québec. Derrière lui, la voie ferrée inactive qui reliait autrefois cette région éloignée de l’est du Québec au reste du Canada semblait souligner son message.
« Depuis trop longtemps, les Gaspésiens sont traités comme s’ils vivaient sur une île, » a déclaré Deschênes à la foule qui approuvait. « Mais nous ne sommes pas une île. Nous sommes des Québécois qui méritent des options de transport fiables que le reste de la province tient pour acquises. »
Cette assemblée publique passionnée de la semaine dernière a marqué le lancement public du plan ambitieux d’infrastructure de transport de Deschênes pour la péninsule gaspésienne. La proposition à trois volets vise à revitaliser le service ferroviaire, améliorer les connexions routières et renforcer le service aérien régional – une approche globale qu’il appelle « La Connexion gaspésienne. »
Le moment n’est pas accidentel. Avec les discussions budgétaires fédérales qui approchent et le gouvernement provincial du Québec qui a récemment annoncé ses propres priorités en matière d’infrastructure, Deschênes voit une opportunité d’obtenir un soutien fédéral indispensable pour sa région.
« On nous promet des améliorations depuis des décennies, » a déclaré Marie-Claude Savoie, propriétaire d’une entreprise touristique à Percé. « À chaque élection, les politiciens viennent avec de grandes promesses, puis nous sommes oubliés une fois les votes comptés. »
La frustration est palpable dans toute la région. Le service ferroviaire autrefois fiable le long des 325 kilomètres de voie entre Matapédia et Gaspé est suspendu depuis 2013 en raison de la détérioration des infrastructures. Le service passager de VIA Rail qui reliait la péninsule à Montréal a été interrompu encore plus tôt.
L’évaluation la plus récente de Transports Canada a estimé les coûts de restauration à 235 millions de dollars, bien que les responsables provinciaux suggèrent que le chiffre réel pourrait être considérablement plus élevé. La Société du chemin de fer de la Gaspésie (SCFG) a complété des réparations sur de petites sections de voie, mais la restauration complète reste à des années de distance.
La route 132, principale artère qui encercle la péninsule, présente un autre défi. Des sections de cette route côtière font régulièrement face à des fermetures en raison de l’érosion et des glissements de terrain, particulièrement alors que les changements climatiques intensifient les tempêtes côtières. Une étude de 2023 du ministère des Transports du Québec a révélé que 76 kilomètres de la route 132 nécessiteront des renforcements majeurs ou des déviations au cours de la prochaine décennie en raison des vulnérabilités climatiques.
« Quand la route ferme, des communautés entières peuvent se retrouver isolées, » explique Dr. Pascal Bernatchez, géomorphologue côtier à l’Université du Québec à Rimouski. « Ce n’est pas seulement un inconvénient – c’est un problème de sécurité publique lorsque les ambulances et les services d’urgence ne peuvent pas passer. »
L’aéroport régional de Gaspé offre actuellement un service commercial limité, avec seulement des vols saisonniers vers Québec et aucune liaison directe avec Montréal. Pour de nombreux résidents, accéder à des soins médicaux spécialisés ou assister à des réunions d’affaires nécessite souvent un voyage épuisant de 10 heures en voiture.
Le plan de Deschênes demande 450 millions de dollars de financement fédéral sur cinq ans, avec des contributions provinciales équivalentes. La proposition rétablirait complètement le service ferroviaire, renforcerait les sections routières vulnérables et subventionnerait des vols commerciaux à l’année vers Québec et Montréal.
Les critiques, cependant, se demandent si un tel investissement a un sens économique pour une région comptant à peine plus de 90 000 résidents. Le député conservateur Pierre Paul-Hus a qualifié le plan « d’irresponsable sur le plan fiscal » lors d’un échange parlementaire le mois dernier, suggérant que le Bloc « fait de la politique avec des promesses irréalistes. »
Mais Deschênes souligne le potentiel économique étranglé par une mauvaise connectivité. « La Gaspésie reçoit plus de 800 000 touristes annuellement malgré ces défis de transport, » a-t-il noté, citant les chiffres de Tourisme Québec. « Imaginez ce que nous pourrions réaliser avec une infrastructure fiable. »
Les leaders d’entreprises locales sont d’accord. « Nous avons des entreprises ici qui ne peuvent pas acheminer leurs produits au marché efficacement, » a expliqué Claude Côté, président de la Chambre de commerce de Gaspé. « Les coûts de transport engloutissent des profits qui pourraient être réinvestis dans des emplois. »
La proposition a trouvé des alliés surprenants. Des groupes environnementaux ont appuyé l’aspect de restauration ferroviaire, notant qu’un service ferroviaire passager amélioré pourrait réduire les émissions de carbone liées aux déplacements automobiles longue distance. Le Conseil régional de l’environnement estime que le rétablissement du service ferroviaire pourrait éliminer environ 5 600 tonnes d’émissions de carbone annuellement.
La démographie ajoute de l’urgence à la question des infrastructures. La population de la région a vieilli plus rapidement que la moyenne provinciale, avec 27% des résidents maintenant âgés de plus de 65 ans, selon les dernières données de Statistique Canada. « Beaucoup d’aînés ne peuvent plus faire le long trajet vers leurs rendez-vous médicaux, » a expliqué Johanne Bérubé, directrice du Réseau de défense des aînés de Gaspé. « Ils sont forcés de déménager ou de se passer de soins. »
Les communautés autochtones pourraient également en bénéficier. Les Mi’gmaq de Listuguj, Gesgapegiag et Gespeg ont exprimé leur soutien pour des options de transport améliorées. « Une meilleure connectivité aiderait nos jeunes à accéder aux opportunités éducatives tout en maintenant des liens avec leurs communautés, » a déclaré le Chef Darcy Gray de Listuguj.
Le ministre des Transports Pablo Rodriguez est jusqu’à présent resté vague concernant le soutien fédéral au plan gaspésien. Son bureau a publié une déclaration accusant réception de la proposition de Deschênes, notant que « la connectivité régionale demeure une priorité, et toutes les propositions sérieuses d’infrastructure reçoivent un examen attentif. »
La ministre provinciale des Transports Geneviève Guilbault s’est montrée plus réceptive, confirmant que le Québec a prévu 150 millions de dollars pour des améliorations ferroviaires en Gaspésie dans son budget d’infrastructure 2025. Cependant, cela reste bien en deçà du financement total requis.
En terminant sa présentation à Chandler, Deschênes a souligné qu’il ne s’agit pas seulement de commodité. « C’est une question de justice économique et d’équité régionale, » a-t-il dit à la foule. « Les Gaspésiens méritent les mêmes options de transport que ceux de Montréal ou de Québec. »
Pour des résidents comme le pêcheur Jean-François Lemieux, la question transcende la politique. « Peu m’importe si c’est le Bloc, les Libéraux ou les Conservateurs qui y parviennent, » a-t-il déclaré après la réunion. « Nous avons juste besoin que quelqu’un comprenne enfin que sans transport, notre région ne peut pas survivre, et encore moins prospérer. »
Alors que la saison budgétaire fédérale approche, tous les regards en Gaspésie seront tournés pour voir si Deschênes peut transformer son plan ambitieux de proposition à réalité, ou s’il rejoindra la longue liste des améliorations promises qui ne se sont jamais matérialisées pour ce magnifique mais isolé coin du Québec.