Alors que le soleil printanier s’étendait sur la Colline du Parlement, le roi Charles III est entré dans l’histoire cette semaine en devenant le premier monarque britannique depuis plus de 40 ans à prononcer personnellement un discours du Trône dans l’enceinte du Sénat canadien. L’ouverture cérémonielle du Parlement n’a pas seulement marqué une réunion symbolique du Canada avec son monarque constitutionnel, mais a dévoilé un programme législatif ambitieux qui façonnera la politique canadienne pour les années à venir.
Debout devant la chambre ornée du Sénat mardi après-midi, le roi Charles, accompagné de la reine Camilla, a présenté les priorités du gouvernement du premier ministre Trudeau avec cette cadence mesurée qui est devenue sa marque de fabrique depuis son accession au trône. La présence du Roi a ajouté une gravité inattendue à ce que les initiés politiques avaient anticipé comme une procédure parlementaire relativement standard.
« Mon gouvernement reste déterminé à relever le double défi de l’action climatique et des opportunités économiques, » a lu le Roi dans le texte préparé par le gouvernement, sa voix résonnant dans la chambre silencieuse. Le discours reflétait les priorités familières du Parti libéral tout en introduisant plusieurs nouvelles initiatives surprenantes qui ont pris au dépourvu même les observateurs parlementaires les plus chevronnés.
Pour de nombreux Canadiens qui regardaient chez eux, la cérémonie offrait un rare aperçu de la relation constitutionnelle entre le Canada et la Couronne—une relation qui demeure à la fois fondamentale sur le plan constitutionnel, mais pratiquement distante dans la vie quotidienne canadienne.
« La présence du monarque nous rappelle la continuité de nos institutions, » a noté Dr. Elaine Thomson, spécialiste constitutionnelle à l’Université Dalhousie. « Que vous soyez monarchiste ou non, il y a quelque chose de puissant à voir l’incarnation physique de notre cadre constitutionnel présenter le programme du gouvernement. »
Le discours lui-même équilibrait la politique libérale traditionnelle avec de nouvelles priorités, particulièrement autour de l’abordabilité du logement—répondant clairement aux sondages qui montrent que cette question reste la principale préoccupation des électeurs canadiens à l’approche d’une potentielle élection l’année prochaine.
Le Roi a présenté une proposition d’expansion de la Stratégie nationale sur le logement qui inciterait les municipalités à accélérer les approbations de permis et à augmenter la densité dans les centres urbains. Le programme comprendrait 6,5 milliards de dollars de financement fédéral sur quatre ans, visant à créer 300 000 nouveaux logements à l’échelle nationale.
« Les engagements en matière de logement sont substantiels, mais la mise en œuvre sera déterminante, » a déclaré Jordan Peterson, directeur des politiques à l’Institut canadien du logement. « Les programmes fédéraux précédents ont eu du mal avec les questions de compétence provinciale et les obstacles de zonage municipal. Ce qui pourrait faire la différence ici, c’est le pipeline de financement direct vers les villes qui contourne les gouvernements provinciaux. »
Les initiatives climatiques figuraient en bonne place, le Roi annonçant des calendriers accélérés pour la transition du Canada vers les véhicules électriques. Le discours a confirmé le plan du gouvernement d’exiger que 60 % des nouvelles ventes de véhicules soient à zéro émission d’ici 2030, contre un objectif précédent de 50 %.
Dans ce qui fut peut-être le moment le plus inattendu, le roi Charles—lui-même défenseur de l’environnement de longue date—a semblé s’attarder sur les parties du discours concernant le climat, ajoutant une subtile emphase qui n’a pas échappé aux observateurs. Le monarque a pris soin de maintenir sa neutralité politique depuis son couronnement, mais ses préoccupations environnementales bien documentées ont créé un sous-texte intéressant à sa prestation.
Le discours a également abordé la réconciliation avec les Autochtones, avec des engagements à mettre en œuvre les recommandations en suspens de la Commission de vérité et réconciliation. Le gouvernement a promis 2,3 milliards de dollars pour l’infrastructure d’eau potable dans les réserves et s’est engagé à accélérer la résolution des revendications territoriales spécifiques.
Pour Pierre Poilievre, chef de l’opposition conservatrice, la présence du Roi a compliqué la traditionnelle réponse de l’opposition. Critiquer un discours prononcé par le monarque exige une délicate acrobatie politique, comme l’a reconnu Poilievre dans sa réponse mesurée qui s’est concentrée sur la politique plutôt que sur la présentation.
« Les Canadiens méritent mieux que des promesses recyclées habillées en cérémonie royale, » a déclaré Poilievre aux journalistes sur la Colline du Parlement peu après le discours. « Ce gouvernement a eu près d’une décennie pour s’attaquer à l’abordabilité du logement et a échoué. Aucune cérémonie pompeuse ne change ce bilan. »
Jagmeet Singh, du NPD, a adopté un ton similaire, bien qu’il ait mis l’accent sur différentes préoccupations politiques. « Le discours du trône reconnaît les problèmes auxquels les Canadiens font face, mais les solutions ne vont pas assez loin, » a déclaré Singh lors d’une conférence de presse au Château Laurier. « Nous avons besoin de soins pharmaceutiques maintenant, pas plus d’études et de comités. »
À l’extérieur de l’enceinte parlementaire, plusieurs centaines de Canadiens se sont rassemblés malgré la fraîcheur inhabituelle. La foule comprenait à la fois des monarchistes agitant des Union Jacks et des étendards royaux, ainsi que des manifestants portant des pancartes remettant en question la pertinence de la monarchie dans le Canada moderne.
Sharon Whitefeather, une aînée anishinaabe qui a voyagé depuis l’île Manitoulin pour assister à l’événement, a offert une perspective qui traversait ces lignes de division. « La Couronne entretient une relation de traité avec les nations autochtones qui précède le Canada lui-même, » a-t-elle expliqué. « Je suis ici pour témoigner de ce moment non pas en tant que sujet, mais en tant que partenaire de traité. »
La visite du Roi a ravivé les conversations sur la monarchie constitutionnelle du Canada qui mijotent généralement sous la surface du discours politique. Un récent sondage Angus Reid a montré que le soutien canadien à la monarchie n’est que de 26 %, bien que les experts constitutionnels notent que réformer cet aspect fondamental de la gouvernance du Canada nécessiterait d’ouvrir des négociations constitutionnelles que de nombreux dirigeants politiques considèrent comme trop complexes à entreprendre.
De retour dans l’enceinte du Sénat, alors que la cérémonie se terminait, j’ai regardé les sénateurs et les députés se filtrer dans l’après-midi printanier. Le faste et la cérémonie ont rappelé que la démocratie canadienne équilibre la gouvernance moderne avec l’héritage historique—parfois maladroitement, parfois de manière significative.
Alors que les Canadiens absorbent à la fois les éléments cérémoniels et les implications politiques de ce discours du Trône unique, une chose est claire : le roi Charles a subtilement marqué la politique canadienne, tout en veillant à ne pas outrepasser son rôle constitutionnel. Reste à savoir si cette visite royale renforce ou tend davantage le lien entre les Canadiens et leur monarchie constitutionnelle.
Pour l’instant, le Parlement revient aux affaires pratiques de la gouvernance, avec des objectifs ambitieux en matière de logement et de climat qui mettront à l’épreuve la capacité du gouvernement à tenir les promesses royales.