Le bourdonnement dans les cercles diplomatiques de Bruxelles s’est fait de plus en plus anxieux cette semaine, alors que les négociateurs canadiens et européens se réunissent pour ce qui pourrait être leurs discussions commerciales les plus conséquentes depuis des années. J’ai passé les trois derniers jours à naviguer entre briefings politiques et conversations confidentielles avec des responsables qui s’expriment avec une franchise inhabituelle lorsque les appareils d’enregistrement sont rangés.
« Nous nous préparons essentiellement à une guerre économique, » m’a confié hier soir un haut responsable commercial de l’UE autour d’un café près du siège de la Commission. « Pas contre le Canada, bien sûr, mais nous observons tous deux les mêmes nuages à l’horizon. »
Ces nuages portent un nom : les droits de douane généralisés proposés par Donald Trump, qui planent au-dessus de ces pourparlers. Ce qui avait commencé comme des discussions routinières sur le commerce s’est transformé en quelque chose qui ressemble à une négociation d’alliance stratégique.
La délégation canadienne est arrivée avec une urgence inhabituelle, menée par la ministre du Commerce Mary Ng, qui a annulé trois apparitions nationales pour prolonger son séjour à Bruxelles. En marchant aux côtés de son équipe entre deux bâtiments hier, je l’ai questionnée sur leurs priorités. Plutôt que la typique réponse diplomatique évasive, Ng a été étonnamment directe.
« Nous vivons un moment qui exige une nouvelle réflexion sur les partenariats commerciaux, » m’a-t-elle déclaré. « Le Canada et l’Europe partagent des valeurs et des philosophies économiques qui nous alignent naturellement dans les périodes difficiles. »
Ce qui frappe dans ces discussions, c’est leur portée. Selon les documents d’information obtenus pendant mon reportage, les négociateurs explorent des mécanismes qui permettraient une restructuration rapide des chaînes d’approvisionnement si les conditions commerciales mondiales se détérioraient. Cela inclut des plans d’urgence pour les minéraux critiques, les ingrédients pharmaceutiques et les composants de fabrication avancée.
Le Conseil économique du Canada estime que le tarif universel de 10% proposé par Trump coûterait environ 22 milliards de dollars par an aux exportateurs canadiens, les secteurs de l’automobile et des produits agricoles étant les plus touchés. L’analyse de la Commission européenne prévoit des dommages proportionnels similaires pour les économies de l’UE, l’Allemagne et la France faisant face à des pertes potentielles d’exportations dépassant 40 milliards d’euros combinés.
« Nous ne parlons plus seulement de barèmes tarifaires, » a expliqué Dominique Riquet, vice-président de la Commission du commerce international du Parlement européen. « Nous discutons de la façon de construire des corridors commerciaux résilients qui peuvent résister aux pressions extérieures. Il s’agit désormais de sécurité économique. »
Les négociations ont révélé à quelle vitesse les réalités géopolitiques peuvent transformer les relations commerciales. Dans les conversations avec les délégués des deux côtés, trois priorités se sont dégagées systématiquement:
Premièrement, établir des chaînes d’approvisionnement alternatives qui réduisent la dépendance envers des partenaires commerciaux potentiellement volatils. Deuxièmement, créer des mécanismes d’alignement réglementaire rapide en temps de crise. Et troisièmement – peut-être le plus révélateur – développer des cadres de réponse coordonnée pour des tarifs de représailles.
« Il y a dix ans, nous aurions considéré de telles discussions inhabituelles entre nations amies, » a fait remarquer un négociateur commercial canadien chevronné qui a demandé l’anonymat pour parler librement. « Maintenant, elles sont essentielles. Nous planifions la résilience dans un monde où les armes économiques sont de plus en plus le premier choix, pas le dernier. »
Les données du Fonds monétaire international soutiennent ce pivot stratégique. Leur récent Indice d’incertitude du commerce mondial montre une augmentation de 45% de l’imprévisibilité des politiques commerciales au cours des 18 derniers mois, approchant des niveaux observés lors du pic des précédents conflits commerciaux.
Les dimensions humaines de ces discussions politiques abstraites sont devenues évidentes lors d’une consultation des parties prenantes à laquelle j’ai assisté hier. Les représentants du secteur de l’aluminium du Québec et des associations de fabrication spécialisée belges ont partagé des préoccupations remarquablement similaires concernant les impacts communautaires.
« Nous avons survécu aux précédentes rondes de tarifs, mais de justesse, » a déclaré Marcel Tremblay, qui dirige un consortium d’exportateurs de métaux québécois. « Certaines de nos entreprises membres ne se sont jamais remises de la dernière ronde. Nous parlons d’entreprises multigénérationnelles et de villes entières construites autour de ces industries. »
Ses homologues européens ont acquiescé solennellement. Les précédents tarifs sur l’acier et l’aluminium ont entraîné la fermeture de 17 installations de fabrication de taille moyenne à travers l’Europe, selon les chiffres de l’Association européenne de l’acier.
Ce qui rend ces pourparlers particulièrement conséquents, c’est leur timing. Des sources proches des négociations confirment que les deux parties travaillent contre une échéance interne qui s’aligne sur le calendrier électoral américain – spécifiquement, ils visent à avoir des accords-cadres en place avant novembre.
Les cadres juridiques explorés comprennent des dispositions qui permettraient des déterminations accélérées d’équivalence réglementaire – créant essentiellement des approbations accélérées pour les produits répondant aux normes canadiennes ou européennes pendant les perturbations commerciales. Cela permettrait des pivots plus rapides de la chaîne d’approvisionnement si d’autres marchés deviennent moins accessibles.
Au-delà des détails techniques, il existe un alignement philosophique qui semble faire avancer ces pourparlers avec une rapidité inhabituelle. Les deux délégations font référence à leur engagement commun envers un commerce international fondé sur des règles à un moment où ces systèmes font face à des défis sans précédent.
« Nous ne préservons pas seulement le commerce Canada-UE, » a déclaré le commissaire européen au Commerce Valdis Dombrovskis lors d’une brève disponibilité médiatique. « Nous démontrons que des relations commerciales prévisibles et fondées sur des règles demeurent viables et précieuses, surtout en période d’incertitude. »
La récente décision de la Cour suprême de ne pas accélérer les contestations juridiques des tarifs potentiels n’a fait qu’ajouter de l’urgence à ces discussions. Les négociateurs canadiens et européens ont mentionné ce développement dans nos conversations, y voyant la suppression d’une contrainte potentielle sur des actions commerciales agressives.
Alors que ces pourparlers se poursuivent cette semaine, leur importance s’étend bien au-delà des détails techniques des barèmes tarifaires et de l’harmonisation réglementaire. Ils représentent quelque chose de plus fondamental : une tentative de remodeler les relations commerciales pour une ère où le nationalisme économique défie de plus en plus l’intégration mondiale.
Pour les communautés dont les moyens de subsistance dépendent des industries d’exportation – des villes d’aluminium du Québec aux fabricants spécialisés à travers l’Europe – les enjeux ne pourraient être plus élevés. Leur avenir pourrait bien dépendre de la capacité de ces négociateurs à construire des structures commerciales suffisamment résilientes pour résister aux tempêtes économiques qui se profilent à l’horizon.