Les récentes opérations de démantèlement des campements de sans-abri à Montréal se poursuivent malgré un rapport accablant démontrant que ces interventions ne s’attaquent pas aux causes profondes de l’itinérance tout en violant les droits des résidents, selon plusieurs intervenants.
La semaine dernière, des employés municipaux ont démantelé un petit regroupement de tentes près de la station de métro Berri-UQAM, la cinquième opération de ce genre cette année. Cette intervention est survenue quelques jours seulement après la publication d’une étude de chercheurs de l’Université McGill révélant que ces démantèlements dispersent souvent les populations vulnérables sans offrir d’alternatives adéquates.
« Ils prennent tout ce que tu possèdes, et après? Où est-ce qu’on est censés aller? » demande Marcel Lapierre, 54 ans, qui a perdu son appartement l’hiver dernier suite à une augmentation de loyer qu’il ne pouvait pas se permettre. Lapierre vivait dans le campement depuis trois mois avant l’arrivée des autorités, avec très peu de préavis.
Le rapport de McGill, rédigé par Dre Hannah Richardson et une équipe de l’École d’urbanisme, a documenté 37 démantèlements de campements à travers Montréal depuis 2020. Leur recherche révèle que moins de 40 pour cent des résidents déplacés ont réussi à trouver un logement stable, la plupart se réinstallant simplement dans des zones moins visibles de la ville.
Selon le plus récent dénombrement ponctuel, la population itinérante de Montréal a augmenté d’environ 35 pour cent depuis 2018, avec des taux d’inoccupation de logements abordables inférieurs à 1 pour cent. La pandémie de COVID-19 a exacerbé ces tendances, poussant davantage de personnes à la rue alors que les refuges réduisaient leur capacité pour maintenir la distanciation sociale.
L’administration de la mairesse Valérie Plante défend ces démantèlements comme étant nécessaires pour la santé et la sécurité publiques. « Ces opérations sont toujours menées avec compassion et respect, » a déclaré Catherine Cadotte, porte-parole de la ville, dans un courriel. « Des travailleurs de proximité accompagnent nos équipes pour offrir des hébergements alternatifs et des services de soutien. »
Mais les intervenants de première ligne dressent un portrait différent. Martin Pagé, qui coordonne le travail de rue pour Le Refuge, affirme que l’approche de la ville cause plus de tort que de bien.
« Ces personnes construisent des communautés pour assurer leur sécurité et leur survie, » explique Pagé en distribuant du café près de la Place Émilie-Gamelin. « Quand on démantèle ces espaces sans offrir de véritables options de logement, on brise la confiance et on rend plus difficile la connexion des personnes avec les services dont elles ont besoin. »
La Commission des droits de la personne du Québec a exprimé son inquiétude face à cette pratique. Le commissaire Philippe-André Tessier a souligné que les démantèlements de campements violent potentiellement plusieurs droits protégés, notamment la sécurité de la personne et la dignité.
Pour des résidents comme Jeanne Morin, qui a traversé trois campements cette année, les déplacements constants ont des effets profonds. « Chaque fois que je déménage, je perds quelque chose—des médicaments, des pièces d’identité, des photos de mes enfants, » dit-elle. « Comment puis-je postuler à des programmes de logement quand je perds constamment mes papiers? »
La ministre provinciale de l’Habitation France-Élaine Duranceau a annoncé 12 millions de dollars en financement d’urgence pour les services aux itinérants le mois dernier, mais les intervenants affirment que cela est loin d’être suffisant. Sam Watts, PDG de la Mission Bon Accueil, estime que Montréal a besoin d’au moins 3 000 unités de logement supervisé supplémentaires pour s’attaquer significativement à la crise.
« On applique des pansements alors que le patient a besoin d’une chirurgie, » affirme Watts. « Tant qu’on ne traitera pas le logement comme un droit plutôt qu’une marchandise, on continuera de voir des gens sous des tentes. »
Le rapport de McGill recommande plusieurs alternatives aux démantèlements, notamment des zones de campement désignées avec installations sanitaires, des programmes de supplément au loyer élargis, et la conversion de bâtiments vacants en logements transitoires.
Certaines villes ont adopté des approches différentes. Victoria, en Colombie-Britannique, a établi des campements autorisés pendant la pandémie, tandis que Toronto a instauré un moratoire sur la plupart des démantèlements pendant les mois d’hiver. Montréal n’a pas encore adopté de mesures similaires malgré les appels des organismes communautaires.
Le conseiller municipal Craig Sauvé, qui représente l’arrondissement du Sud-Ouest, plaide pour une stratégie plus compatissante. « On ne peut pas régler une crise du logement à coups de mesures policières, » a-t-il déclaré lors d’une récente réunion du conseil. « Chaque démantèlement coûte de l’argent aux contribuables et pousse les personnes vulnérables davantage vers la marge. »
La question a suscité un débat parmi les résidents de Montréal. Un récent sondage Léger a révélé que les Montréalais sont divisés, avec 48 pour cent qui soutiennent l’approche de la ville concernant les campements et 43 pour cent qui s’opposent aux méthodes actuelles. Le soutien aux démantèlements était plus élevé chez les propriétaires et plus faible chez les locataires et les moins de 35 ans.
À l’approche de l’hiver, les préoccupations grandissent pour ceux qui se retrouvent sans options. Le réseau de refuges de Montréal fonctionne généralement à pleine capacité pendant les mois froids, et l’hiver dernier, des centres de réchauffement d’urgence ont dû refuser des personnes lors des nuits particulièrement froides.
Pour Marcel Lapierre, l’avenir demeure incertain. Après le démantèlement, il a trouvé une place temporaire dans un refuge, mais devra partir dans deux semaines lorsque sa période allouée expirera.
« Les politiciens parlent de solutions, mais je ne les vois pas, » dit-il en remballant ses affaires dans un sac à dos usé. « Pendant ce temps, j’essaie simplement de survivre un jour de plus. »