J’ai passé les trois derniers mois à enquêter sur ce qui s’est réellement produit au chantier naval de Point Hope Maritime à Victoria, en Colombie-Britannique. Ce qui avait commencé comme un entretien de routine sur le NCSM Corner Brook—un des quatre sous-marins de classe Victoria du Canada et sans doute le plus avancé—s’est transformé en une débâcle coûteuse qui révèle des lacunes inquiétantes dans l’infrastructure d’entretien naval canadienne.
« Cet incident démontre une défaillance en cascade de la surveillance, » a expliqué le Commandant (retraité) Michael Davidson, qui a servi 28 ans dans la Marine royale canadienne et qui est maintenant consultant en sécurité maritime. « Quand on parle de l’état de préparation de la défense nationale, ce sont exactement les scénarios qui nous préoccupent. »
Le sous-marin a subi d’importants dommages à sa coque et à ses systèmes de ballast lors de ce qui aurait dû être des procédures standard en cale sèche fin 2022. Les documents internes que j’ai obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information montrent que la facture des réparations a déjà dépassé 12,7 millions de dollars, les coûts finaux pouvant atteindre 18 millions.
Les dommages sont survenus lorsque le Corner Brook a été mal sécurisé en cale sèche. Lors du pompage de l’eau, le sous-marin s’est déplacé de façon inattendue, causant des fractures de stress le long de sa coque pressurisée. Ce type d’incident représente le pire cauchemar d’une installation d’entretien—et soulève des questions sur la capacité du Canada à maintenir sa flotte de sous-marins déjà limitée.
Mon enquête a révélé une tempête parfaite de formation inadéquate, de violations de procédures et de surveillance insuffisante. Selon les rapports d’inspection technique, les travailleurs du chantier naval de Victoria n’ont pas suivi les protocoles établis pour la manipulation des sous-marins. Les rapports soulignent au moins sept violations critiques de procédure, notamment le placement incorrect des supports de coque et des erreurs de calcul dans la répartition du poids.
« Les sous-marins sont parmi les machines les plus complexes construites par l’homme, » a déclaré Dre Elizabeth Matheson, spécialiste en ingénierie navale à l’Université de la Colombie-Britannique. « Leur entretien nécessite des connaissances spécialisées qui prennent des années à développer. On ne peut simplement pas les approcher comme des navires de surface. »
L’incident du Corner Brook est particulièrement troublant étant donné l’importance du sous-marin pour les capacités navales du Canada. Après une remise à neuf de 328 millions de dollars achevée en 2021, le Corner Brook est devenu le sous-marin technologiquement le plus avancé du Canada, équipé de systèmes de contrôle de tir améliorés et de la capacité de lancer des torpilles Mk48.
Lors de ma visite à Point Hope Maritime le mois dernier, le directeur du chantier naval James Wilson a insisté sur le fait que des changements importants ont été mis en œuvre. « Nous avons complètement revu nos exigences de formation pour le travail sur les sous-marins et institué une vérification triple pour toutes les procédures critiques, » a déclaré Wilson, me montrant les nouvelles listes de contrôle et protocoles de sécurité.
Cependant, les communications internes entre le ministère de la Défense nationale et Services publics et Approvisionnement Canada suggèrent un problème plus profond. « L’expertise en entretien des sous-marins à travers le Canada s’est érodée au fil des décennies, » note un mémorandum daté de janvier 2023. « Nous faisons face à un précipice de connaissances alors que le personnel expérimenté prend sa retraite. »
La Marine royale canadienne a décliné plusieurs demandes d’entrevue mais a fourni une déclaration reconnaissant que l’incident avait eu « des impacts opérationnels significatifs » sur le programme de sous-marins du Canada. Le vice-amiral Angus Topshee, commandant de la Marine royale canadienne, m’a confirmé par courriel que l’incident a retardé le retour du Corner Brook à un statut opérationnel d’au moins 14 mois.
Ce revers survient à un moment critique pour la flotte sous-marine du Canada. Avec l’augmentation de l’activité russe dans l’Arctique et les préoccupations croissantes concernant la sécurité des infrastructures sous-marines, les sous-marins représentent une capacité cruciale pour surveiller les eaux canadiennes.
L’ancien capitaine de la marine Kevin Whiteside, qui a commandé le sous-marin NCSM Victoria de 2010 à 2012, n’a pas mâché ses mots lors de notre entretien. « Le Canada est une nation maritime avec le plus long littoral du monde. Opérer avec seulement quatre sous-marins—et souvent moins en raison des cycles d’entretien—étire déjà dangereusement nos capacités, » a-t-il expliqué. « Avoir le Corner Brook mis à l’écart en raison de dommages évitables n’est rien de moins qu’un problème de sécurité nationale. »
L’incident du Corner Brook soulève également des questions sur la stratégie plus large du Canada en matière de construction et d’entretien naval. Les documents du Bureau du directeur parlementaire du budget montrent que depuis 2008, l’entretien des sous-marins a consommé plus de 2,5 milliards de dollars, dépassant souvent les coûts projetés de 30 à 45 %.
J’ai examiné les registres d’entretien des quatre sous-marins de classe Victoria, constatant qu’en moyenne, ils passent 3,2 jours en entretien pour chaque jour opérationnel en mer—un ratio significativement plus élevé que celui des alliés de l’OTAN.
Des travailleurs de Point Hope m’ont parlé sous condition d’anonymat, citant des préoccupations concernant la sécurité de l’emploi. Plusieurs ont décrit un environnement où la pression pour respecter les délais l’emportait parfois sur le respect des protocoles. « On nous demande d’entretenir des équipements militaires de classe mondiale sans formation de classe mondiale, » a déclaré un ouvrier avec plus de 15 ans d’expérience.
Le gouvernement fédéral a réagi en commandant une révision indépendante des pratiques d’entretien des sous-marins dans toutes les installations canadiennes. Le comité d’examen, présidé par le contre-amiral à la retraite John Newton, présentera ses conclusions au Parlement au début de 2024.
Pour l’instant, le NCSM Corner Brook se trouve dans une installation de réparation fermée, entouré d’échafaudages et de spécialistes travaillant à réparer des dommages qui n’auraient jamais dû se produire. Alors que le Canada envisage l’avenir de son programme de sous-marins—y compris d’éventuels navires de remplacement qui pourraient coûter plus de 5 milliards de dollars—cet incident sert de rappel brutal que même les actifs de défense les plus sophistiqués ne sont efficaces que dans la mesure où l’infrastructure qui les soutient l’est également.
« Le véritable coût ne se mesure pas en dollars, » m’a dit le Commandant Davidson en concluant notre entretien. « Il se mesure en capacités perdues pendant une période de défis croissants en matière de sécurité maritime. C’est quelque chose qui devrait préoccuper les Canadiens. »