Le vent glacial de janvier fouettait l’étendue de béton de la station Kennedy de Scarborough tandis que j’attendais Roy Ratnavel. À son arrivée, son sourire chaleureux contrastait avec la grisaille de ce matin d’hiver. Nous avons trouvé un coin tranquille dans un café voisin, la vapeur de nos tasses de café créant une barrière momentanée entre nous alors qu’il commençait à partager son parcours, de réfugié sri-lankais à philanthrope canadien.
« Les services de santé mentale m’ont sauvé la vie, » m’a confié Ratnavel, sa voix posée mais chargée de souvenirs. « Quand je suis arrivé au Canada à 17 ans, je n’avais rien. J’avais perdu mes parents dans la guerre civile au Sri Lanka. Le traumatisme m’a suivi jusqu’ici. »
La semaine dernière, Ratnavel et son épouse Sue Nathan ont annoncé un don d’un million de dollars aux programmes de santé mentale du Réseau de santé de Scarborough—un cadeau qui, selon les prestataires de soins, arrive à un moment crucial pour cette banlieue diversifiée de Toronto.
« Nous constatons une demande sans précédent, » explique Dr. Yvonne Linton, directrice clinique des services de santé mentale à Scarborough Health. « Nos urgences ont enregistré une augmentation de 35% des visites liées à la santé mentale depuis 2019. La pandémie a intensifié les défis existants dans des communautés déjà confrontées à des obstacles systémiques aux soins. »
Scarborough, qui abrite plus de 650 000 résidents, représente l’une des communautés les plus diversifiées du Canada, avec plus de 60% des résidents nés à l’étranger. Cette diversité crée des défis uniques pour les prestataires de santé mentale.
« La compréhension culturelle n’est pas optionnelle dans les soins de santé mentale—elle est essentielle, » affirme Linton. « Différentes communautés entretiennent des relations variées avec des concepts comme la thérapie, les médicaments, ou même la simple discussion sur la détresse émotionnelle. Nos programmes doivent refléter ces réalités. »
Le don financera trois initiatives clés : des services de consultation multilingues élargis, un centre de santé mentale pour les jeunes conçu avec la participation de la communauté, et une formation améliorée pour les prestataires de soins sur des approches culturellement adaptées.
En finissant notre café, Ratnavel m’emmène sur le site du futur centre de santé mentale pour jeunes—actuellement un bâtiment quelconque près du Scarborough Town Centre. À l’intérieur, il parcourt l’espace vide, indiquant où les salles de méditation, les espaces de consultation sans rendez-vous et les zones de réunion familiale transformeront l’établissement.
« Quand j’ai eu besoin d’aide pour la première fois, je ne savais pas comment la demander, » dit-il. « Les problèmes de santé mentale étaient source de honte dans ma communauté. Je veux que les jeunes d’ici aient ce que je n’ai pas eu—des soins qui parlent leur langue, comprennent leur contexte culturel et les rejoignent là où ils sont. »
Ce don représente bien plus que des programmes financés. Il défie la stigmatisation persistante autour des soins de santé mentale dans de nombreuses communautés immigrantes. Selon Statistique Canada, les Canadiens de première génération accèdent aux services de santé mentale à des taux significativement plus bas que les résidents nés au Canada, malgré des taux similaires ou plus élevés de problèmes de santé mentale.
Les recherches de la Commission de la santé mentale du Canada montrent que des facteurs tels que les barrières linguistiques, la stigmatisation culturelle et le manque de représentation parmi les prestataires de soins contribuent à cet écart. Pour de nombreux nouveaux arrivants, le stress de la migration, les traumatismes potentiels de leurs pays d’origine et les défis de l’adaptation culturelle créent des besoins complexes en matière de santé mentale.
« L’un des aspects les plus puissants de ce don est sa visibilité, » explique Aruna Mahalingam, une organisatrice communautaire basée à Scarborough qui travaille avec les jeunes Tamouls. « Quand des membres respectés de notre communauté soutiennent ouvertement les soins de santé mentale, cela envoie un message fort que chercher de l’aide n’est pas seulement acceptable—c’est admirable. »
Les impacts de l’amélioration des services de santé mentale s’étendent au-delà du bien-être individuel. Une étude de 2020 du Centre de toxicomanie et de santé mentale a démontré que chaque dollar investi dans les interventions de santé mentale rapporte près de quatre dollars en réduction des coûts de santé et en amélioration de la productivité.
Pour les communautés en croissance de Scarborough, ces services représentent une infrastructure essentielle. La Commission de la santé mentale du Canada note que les problèmes de santé mentale non traités coûtent à l’économie canadienne environ 51 milliards de dollars annuellement en perte de productivité et en dépenses de soins de santé.
Alors que la lumière de l’après-midi diminue, Ratnavel et moi marchons à travers le quartier multiculturel entourant le futur centre de santé mentale. Il s’arrête pour bavarder en tamoul, sa langue maternelle, avec des commerçants et des résidents.
« Quand je suis arrivé au Canada, je me sentais invisible, » dit-il. « Le système de santé semblait conçu pour quelqu’un d’autre. Maintenant, je vois ces jeunes familles, ces étudiants, ces aînés—tous méritant des soins qui reconnaissent leur pleine humanité. »
Le Réseau de santé de Scarborough prévoit de lancer les services élargis d’ici début 2024, avec des consultations communautaires qui débuteront le mois prochain pour s’assurer que les programmes répondent aux besoins locaux.
En nous séparant à la station Kennedy, Ratnavel semble énergisé malgré nos heures de conversation. « Ce n’est pas de la charité, » insiste-t-il. « C’est un investissement dans la communauté qui m’a donné une seconde chance. Chaque personne mérite cette même opportunité de guérir. »
En traversant la station, je remarque les visages divers des résidents de Scarborough qui se précipitent pour attraper trains et autobus—étudiants, professionnels de la santé, familles. Le don de Ratnavel touchera d’innombrables vies ici, mais son impact le plus important sera peut-être de changer la conversation autour de la santé mentale dans des communautés où le silence a trop souvent été le traitement prescrit.