Je franchis les portes coulissantes de l’Hôpital communautaire des Sœurs Grises à Edmonton par une fraîche matinée de novembre. La salle d’attente bourdonnait de cette anxiété familière qui semble universelle dans les hôpitaux canadiens. Une mère berçait un bambin agité sur ses genoux; un homme âgé consultait sa montre pour la troisième fois en cinq minutes. Cette scène se répète quotidiennement dans les établissements de santé du pays, mais en Alberta, le paysage évolue d’une manière qui pourrait transformer ces salles d’attente—pour le meilleur ou pour le pire.
La nouvelle politique de pratique mixte pour les chirurgiens en Alberta a déclenché un débat intense à travers la province. Annoncée le mois dernier par la ministre de la Santé Adriana LaGrange, cette politique permet aux chirurgiens de partager leur temps entre le système de santé public et les établissements privés—une mesure que le gouvernement présente comme solution pour réduire les temps d’attente qui ont explosé depuis la pandémie.
« Mon remplacement du genou était prévu pour février prochain, mais mon chirurgien vient de m’annoncer que cela pourrait se faire plus tôt dans une clinique privée, » m’explique Robert Cavanagh, 67 ans, que j’ai rencontré à la cafétéria de l’hôpital. « Je suis soulagé, mais confus quant à ce que je vais devoir payer et ce qui reste couvert. »
Cette confusion résonne dans toute la province alors que les Albertains tentent de comprendre ce que cette politique signifie pour leurs soins de santé. Le nouveau cadre permet aux chirurgiens de maintenir leurs privilèges dans les hôpitaux publics tout en effectuant des interventions dans des établissements privés qui peuvent facturer à la province les services assurés. Auparavant, les médecins faisaient face à davantage de restrictions lorsqu’ils travaillaient dans les deux systèmes.
Dr Vesta Singh, chirurgienne orthopédique avec qui j’ai parlé dans son cabinet d’Edmonton, y voit des avantages potentiels. « Je réalise actuellement environ huit remplacements du genou par semaine dans le système public. Avec l’accès aux établissements privés, je pourrais potentiellement augmenter ce nombre à douze ou treize, voyant plus de patients sans sacrifier la qualité des soins. »
Alberta Health Services rapporte que plus de 20 000 patients attendent actuellement des interventions orthopédiques, avec des temps d’attente moyens dépassant 40 semaines—bien au-delà des 16 semaines recommandées cliniquement. Ces statistiques ne racontent qu’une partie de l’histoire; derrière chaque chiffre se trouve une personne vivant avec la douleur, une mobilité limitée et souvent la dépression.
Mais les critiques, notamment le groupe de défense Protect Our Province Alberta, avertissent que cette politique crée un système à deux vitesses qui pourrait drainer les ressources des soins de santé publics. « Quand nous permettons aux médecins de chevaucher les deux systèmes, l’histoire montre que les ressources—particulièrement les ressources humaines—tendent à s’orienter vers les établissements privés où les conditions peuvent être plus favorables, » explique Diana Gibson, analyste en politique de santé que j’ai interviewée pour cet article.
Gibson cite des recherches publiées dans le Journal de l’Association médicale canadienne suggérant que la pratique mixte peut créer des incitations perverses, y compris le risque d’allongement des listes d’attente publiques si la pratique privée devient plus lucrative pour les médecins.
Le lendemain, en parcourant le service d’orthopédie de l’Hôpital Royal Alexandra, j’ai parlé avec l’infirmière-chef Belinda Montrose, qui a connu trois décennies de changements de politique. « Nous sommes déjà à bout de souffle. Si nos chirurgiens commencent à partager leur temps, qui comblera ces lacunes? Ce n’est pas comme si nous avions des professionnels de la santé de rechange qui attendent. »
Cette politique arrive au milieu d’une transformation plus large du système de santé provincial. Le gouvernement de la première ministre Danielle Smith a fait de la réduction des temps d’attente chirurgicaux une priorité, allouant 1,7 milliard de dollars sur trois ans à cet effort. La politique de pratique mixte représente un élément de cette stratégie, parallèlement à un financement accru pour les établissements chirurgicaux agréés qui effectuent des procédures financées par le public.
Selon Alberta Health, la province a réalisé environ 290 000 chirurgies au cours du dernier exercice financier—mais cela n’a pas suffi à suivre le rythme de la demande. Les responsables prévoient que la politique de pratique mixte pourrait augmenter la capacité de 15 % sans nécessiter d’infrastructure publique supplémentaire.
Dr Parker Vandermeer, président de l’Association médicale de l’Alberta, offre une perspective mesurée. « De nombreux médecins soutiennent une flexibilité accrue, mais la mise en œuvre doit être soigneusement surveillée pour garantir que les soins publics restent la priorité, » m’a-t-il confié lors de notre conversation téléphonique. « Le diable est toujours dans les détails. »
Ces détails comprennent la façon dont les médecins répartiront leur temps, les mécanismes qui empêcheront de sélectionner les patients les plus sains et les moins complexes pour les établissements privés, et comment la couverture d’urgence sera maintenue lorsque les chirurgiens travailleront dans plusieurs milieux.
Pour les communautés autochtones qui font déjà face à d’importantes barrières d’accès aux soins de santé, ces complexités supplémentaires soulèvent des inquiétudes. « Nos membres voyagent souvent pendant des heures pour des rendez-vous avec des spécialistes, » explique Marlene Eagle Child du Conseil de santé de la Nation Kainai. « Nous avons besoin de clarté sur la façon dont cette politique aborde l’équité, pas seulement l’efficacité. »
L’histoire de politiques similaires dans d’autres provinces offre des mises en garde. L’expérience du Québec avec la pratique mixte a montré des améliorations initiales dans le volume global des chirurgies, mais a finalement conduit à d’importants défis de main-d’œuvre dans les hôpitaux publics.
En quittant le Royal Alexandra cet après-midi-là, j’ai croisé un tableau d’affichage couvert d’horaires du personnel—déjà un casse-tête complexe que les administrateurs de soins de santé assemblent quotidiennement. C’est un rappel visuel que les politiques ne sont pas seulement des cadres abstraits, mais des systèmes qui affectent la vie et les moyens de subsistance des gens.
De retour dans ma chambre d’hôtel du centre-ville d’Edmonton, j’ai revu mes notes et réfléchi aux nombreuses voix que j’avais entendues. La politique de pratique mixte de l’Alberta représente un changement significatif dans la structure de prestation des soins de santé dans la province—un changement qui porte à la fois promesse et péril.
Ce qui est devenu clair à travers ces conversations, c’est que le succès dépendra non seulement de la politique elle-même, mais d’une surveillance robuste, d’une évaluation continue et d’une volonté de corriger le tir si des conséquences imprévues surgissent. Pour les Albertains qui attendent dans la douleur pour des chirurgies, le temps presse, et l’espoir de soins plus rapides est puissant. La question demeure de savoir si cette approche tiendra sa promesse sans compromettre l’équité et l’universalité que les Canadiens considèrent depuis longtemps comme fondamentales pour leur système de santé.