J’ai passé trois jours la semaine dernière dans un tribunal bondé de la Colombie-Britannique à observer ce que les experts juridiques appellent la plus importante affaire de titre foncier autochtone depuis des décennies. L’atmosphère était tendue mais digne alors que les Tribus Cowichan affrontaient des propriétaires fonciers à Richmond, en C.-B., dans un litige qui pourrait fondamentalement redéfinir les droits de propriété à travers le Canada.
« Cette affaire déterminera si les transferts de terres de l’époque coloniale peuvent être invalidés lorsqu’ils violaient les droits autochtones qui existaient avant la confédération, » a expliqué Sarah Reynolds, avocate constitutionnelle à l’Association des libertés civiles de la C.-B., lors d’une entrevue au palais de justice.
Le litige porte sur environ 200 acres dans ce qui est maintenant Richmond – des terres que les Tribus Cowichan affirment avoir été prises illégalement dans les années 1860, lorsque les responsables coloniaux ont transféré le territoire sans consultation ou compensation adéquate. Les propriétaires actuels, y compris des propriétaires de maisons, des entreprises et la ville de Richmond elle-même, soutiennent qu’ils possèdent des titres légitimes à travers des décennies de transactions juridiques documentées.
Les documents judiciaires que j’ai examinés montrent que la demande des Cowichan souligne que leurs ancêtres n’ont jamais cédé leur territoire traditionnel. Leur revendication cite des preuves d’occupation continue remontant à des siècles, incluant des sites villageois, des stations de pêche et des lieux de sépulture confirmés par des évaluations archéologiques menées en 2018.
Pendant les procédures, la Cheffe Lydia Hwitsum a témoigné: « Notre lien avec cette terre a été rompu sans notre consentement. Cette affaire vise à reconnaître ce tort historique et à établir un cadre juridique pour y remédier. »
L’affaire repose sur les interprétations de l’article 35 de la Loi constitutionnelle, qui reconnaît et affirme les droits autochtones, y compris les revendications territoriales basées sur l’occupation antérieure. Ce qui rend cette affaire particulièrement significative, c’est que contrairement aux revendications précédentes concernant les terres de la Couronne, ce litige englobe des propriétés privées où des familles ont vécu pendant des générations.
« Nous ne cherchons pas à expulser les résidents actuels, » a précisé l’avocat des Cowichan, Robert Morrison. « Nous demandons au tribunal de reconnaître notre titre et de créer un processus de gouvernance partagée et de compensation équitable pour les pertes historiques. »
Le représentant des propriétaires, James Chen, a répliqué: « Bien que nous respections les droits autochtones, les propriétaires ont acheté ces propriétés en toute bonne foi. Il doit y avoir un équilibre qui ne compromet pas le système d’enregistrement foncier du Canada. »
J’ai parlé avec la juge à la retraite Mary Williams, qui a décrit la complexité à laquelle le tribunal est confronté: « Ils doivent peser les préoccupations légitimes des propriétaires actuels contre les obligations constitutionnelles de remédier aux injustices historiques envers les Premières Nations. Il n’y a pas de modèle facile pour cela. »
L’affaire s’appuie sur la décision historique Tsilhqot’in de 2014, où la Cour suprême du Canada a reconnu pour la première fois le titre autochtone sur des terres hors réserve. Cependant, cette décision concernait principalement les terres de la Couronne, pas les propriétés privées.
Selon des documents de l’Unité de recherche en droit autochtone de l’Université de Victoria, les revendications de titre autochtone réussies nécessitent de prouver l’occupation exclusive des terres avant l’affirmation de la souveraineté européenne. L’équipe juridique des Cowichan a présenté des histoires orales, des cartes datant des années 1850, et des études anthropologiques soutenant leur lien historique avec la zone contestée.
Les procédures ont pris une tournure émotionnelle lorsque l’aîné Joseph Campbell a décrit comment le déplacement a affecté des générations de sa famille. « Notre peuple porte cette blessure depuis plus de 150 ans, » a-t-il témoigné. « Notre lien avec cette terre n’a pas disparu parce que des papiers ont changé de mains à Victoria. »
Les valeurs immobilières potentiellement en jeu dépassent 350 millions de dollars selon les registres d’évaluation municipale que j’ai obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information. Cette réalité financière a créé une tension palpable dans la communauté.
J’ai visité la zone contestée – maintenant occupée par des lotissements résidentiels, plusieurs bâtiments commerciaux et une partie de la zone industrielle de Richmond. En marchant dans ces rues, on ne pourrait jamais deviner qu’elles sont au centre d’une confrontation constitutionnelle qui pourrait remodeler les droits de propriété à l’échelle nationale.
Linda Zhao, dont la famille possède leur maison à Richmond depuis 40 ans, a exprimé son inquiétude à l’extérieur du palais de justice: « Nous respectons les droits autochtones, mais comment les propriétaires ordinaires peuvent-ils se protéger contre des revendications qui remontent à avant l’existence du Canada? Nous avons aussi besoin de certitude. »
Les juristes qui suivent l’affaire croient que la décision du tribunal pourrait établir un nouveau précédent pour concilier les droits de propriété avec le titre autochtone. Le professeur Alan Richardson de l’Université de la Colombie-Britannique m’a dit: « Le tribunal doit élaborer un remède qui reconnaît les torts historiques sans en créer de nouveaux. Cela pourrait signifier une gouvernance partagée, une compensation financière ou d’autres solutions créatives. »
Le gouvernement fédéral, intervenant dans l’affaire, a fait valoir que la stabilité du système d’enregistrement foncier sert un intérêt public plus large. Leur soumission écrite note: « Bien que la réconciliation soit un impératif constitutionnel, la certitude dans la propriété foncière sous-tend l’ordre économique et social. »
Après avoir examiné six boîtes de documents et assisté à des jours de témoignages, il est clair que cette affaire présente un défi profond pour le système juridique canadien: comment remédier aux injustices historiques tout en respectant les droits des propriétaires actuels qui ont acheté leurs terres en toute bonne foi.
La décision du tribunal, attendue plus tard cette année, sera probablement portée en appel devant la Cour suprême du Canada, quel que soit le résultat. Pour l’instant, tant les Tribus Cowichan que les propriétaires de Richmond attendent avec anxiété une décision qui pourrait fondamentalement redéfinir la façon dont les Canadiens comprennent les droits de propriété en relation avec les revendications de titre autochtone.