La fermeture d’urgence d’un tunnel de l’autoroute 401 dans l’est de l’Ontario le mois dernier est survenue après des années d’avertissements ignorés concernant la détérioration structurelle, révèlent des documents obtenus par des demandes d’accès à l’information.
Lorsque les responsables du ministère des Transports ont fermé le tunnel en direction est près de Brockville le 16 avril, citant des « préoccupations immédiates pour la sécurité », cela marquait l’aboutissement de rapports d’inspection datant de 2018 qui avaient identifié des dommages structurels progressifs.
« On pouvait voir venir ça à des kilomètres de distance, » a déclaré Sarah Novak, professeure de génie civil à l’Université Queen’s qui a examiné les documents d’inspection. « Les signes avant-coureurs étaient documentés à maintes reprises, mais une intervention significative a continué d’être reportée. »
Le tunnel de 52 ans, qui transporte plus de 45 000 véhicules quotidiennement sous le corridor ferroviaire du CN, montrait des signes clairs de détresse bien avant la fermeture d’urgence. Une évaluation technique de 2018 signalait « des fissures étendues » et « une infiltration d’eau causant une détérioration accélérée du béton » tout en recommandant une réhabilitation immédiate.
Ce rapport de 2018, préparé par Thompson Engineering Consultants, indiquait que « sans intervention rapide, il existe un risque significatif de défaillance structurelle partielle dans les 5 à 7 ans. » Le ministère avait classé le tunnel en état « passable à médiocre » mais n’avait programmé qu’un entretien minimal.
La ministre des Transports Caroline Mulroney a défendu le programme d’entretien des infrastructures du gouvernement lors de la période des questions la semaine dernière, affirmant que « la sécurité a toujours été notre priorité absolue. » Elle a souligné les 1,3 milliard de dollars alloués aux infrastructures routières dans le budget 2023.
Cependant, les documents budgétaires montrent que le projet spécifique de réhabilitation du tunnel de l’autoroute 401 a été reporté à plusieurs reprises, passant d’une date de début en 2020 à 2022, puis à 2024, avec des fonds détournés vers d’autres projets.
Les dirigeants municipaux locaux ont exprimé leur frustration face à la situation. La mairesse de Brockville, Rebecca Williams, a déclaré que son conseil avait soulevé des préoccupations concernant l’état du tunnel lors des réunions régionales de transport pendant des années.
« On nous répétait que c’était sur la liste des réparations, » a déclaré Williams lors d’une entrevue à l’hôtel de ville de Brockville. « Mais d’une façon ou d’une autre, ça n’a jamais atteint le haut de cette liste jusqu’à ce qu’on se retrouve avec une urgence sur les bras. »
L’impact économique de la fermeture a été considérable. Le détour ajoute environ 25 minutes aux itinéraires de transport commercial, affectant les chaînes d’approvisionnement dans tout le corridor Québec-Windsor. L’Association du camionnage de l’Ontario estime que la perturbation coûte à l’industrie environ 280 000 dollars par jour en carburant supplémentaire et en perte d’efficacité.
« Quand l’entretien des infrastructures critiques est reporté, nous en payons tous le prix, » a déclaré Marco Beghetto, vice-président des communications pour l’Association du camionnage de l’Ontario. « Il ne s’agit pas seulement des coûts de réparation immédiats, qui sont maintenant substantiellement plus élevés que ce qu’aurait coûté un entretien préventif, mais aussi des effets économiques en cascade. »
Des courriels internes du ministère datant de février 2023, obtenus par la demande d’information, montrent que des hauts fonctionnaires discutaient de « contraintes budgétaires importantes » affectant le calendrier de réhabilitation. Un courriel d’un directeur régional note que « bien que l’état du tunnel justifie une intervention prioritaire, on nous demande de concentrer les ressources sur des projets plus visibles ayant une plus grande valeur politique. »
Le ministère a maintenant accéléré un projet de réhabilitation d’urgence de 18,2 millions de dollars, dont l’achèvement est prévu pour fin septembre. Ce chiffre représente presque le double de l’estimation de 9,7 millions de dollars du plan de réhabilitation initial de 2020.
Brian Patterson, président de la Ligue de sécurité de l’Ontario, estime que cette situation met en lumière un problème plus large de gestion des infrastructures. « Nous observons une tendance où l’entretien est reporté jusqu’à ce qu’on atteigne des points de crise, » a déclaré Patterson. « C’est une approche à courte vue qui finit par coûter plus cher aux contribuables et crée des risques inutiles pour la sécurité publique. »
La situation du tunnel reflète les préoccupations soulevées dans le rapport de 2019 du vérificateur général sur les infrastructures routières, qui a constaté que la province avait accumulé un retard d’entretien important pour les ponts et tunnels, avec des projets souvent priorisés selon des « critères autres que les évaluations techniques documentées. »
Pour les navetteurs comme Jason Donovan, qui emprunte ce tronçon quotidiennement pour se rendre à son travail à Kingston, la fermeture représente plus qu’un simple inconvénient. « J’ajoute près d’une heure à mon trajet quotidien, » a déclaré Donovan en attendant dans la file du trafic matinal. « Mais ce qui me dérange le plus, c’est d’apprendre que toute cette situation était évitable. »
Les ingénieurs du ministère effectuent maintenant des évaluations complètes de cinq autres tunnels similaires le long du corridor de l’autoroute 401, avec des résultats préliminaires attendus le mois prochain.
« La vraie question n’est pas de savoir ce qui n’a pas fonctionné avec ce tunnel spécifique, » a déclaré Novak, la professeure de génie. « C’est de savoir combien d’autres infrastructures critiques figurent sur des rapports d’avertissement similaires, attendant une attention qui pourrait arriver trop tard. »
Alors que les réparations temporaires se poursuivent, les responsables des transports promettent une approche plus complète de l’entretien des infrastructures à l’avenir. Mais pour les milliers de personnes touchées par la fermeture actuelle, cette promesse s’accompagne d’une forte dose de scepticisme.