Avec l’ouverture officielle du 46e Parlement canadien, les députés se réuniront mardi pour leur première tâche : choisir un nouveau Président de la Chambre. Cette nécessité procédurale revêt une importance particulière après la victoire serrée des Conservateurs le mois dernier qui a accordé à Pierre Poilievre un mandat de gouvernement minoritaire.
Dans l’imposante chambre de style néogothique, les parlementaires de tous les partis déposeront des bulletins préférentiels pour déterminer qui présidera ce qui s’annonce comme un Parlement contesté et délicatement équilibré. Le rôle exige non seulement une expertise procédurale, mais aussi une finesse diplomatique pour gérer les débats houleux entre les Conservateurs au pouvoir et les partis d’opposition déterminés à influencer l’agenda législatif.
« Le fauteuil du Président ne sert pas uniquement à maintenir l’ordre—il s’agit de préserver la dignité du débat parlementaire dans ce qui sera probablement une situation gouvernementale minoritaire difficile », a déclaré Lori Turnbull, directrice de l’École d’administration publique de l’Université Dalhousie. « Celui qui l’emportera aura besoin à la fois de connaissances techniques et d’une autorité personnelle pour commander le respect au-delà des lignes partisanes. »
Cinq candidats ont officiellement déclaré leur intention de se présenter, dont le député libéral chevronné Anthony Rota, qui occupait précédemment ce poste mais a démissionné en 2023 suite à une controverse concernant la reconnaissance d’un vétéran ukrainien ayant des liens nazis lors de la visite du président Zelensky. Le député conservateur Chris d’Entremont, qui a servi comme vice-président dans le précédent Parlement, se présente comme favori avec un soutien transpartisan.
Carol Hughes du NPD et Elizabeth May du Parti vert, toutes deux parlementaires respectées et expérimentées, se sont également lancées dans la course, faisant valoir que leur expérience à travers plusieurs législatures servirait bien la Chambre. Une entrée surprise de dernière minute est venue de Marie-Claude Savard, nouvelle députée conservatrice et ancienne animatrice de Québec, qui s’est positionnée comme une voix fraîche.
« Le processus de sélection du Président est l’un des rares moments de véritable imprévisibilité au Parlement », a expliqué Emmanuelle Latraverse, analyste politique et correspondante parlementaire chevronnée. « Avec les bulletins préférentiels et un vote secret, la discipline de parti se dissout temporairement, et les députés considèrent qui peut le mieux gérer les débats difficiles à venir. »
Cette sélection survient alors que le gouvernement de Poilievre s’apprête à dévoiler mercredi son premier discours du Trône, qui exposera l’agenda conservateur axé sur l’abordabilité du logement, les mesures concernant le coût de la vie et la réduction de la criminalité. Avec 175 sièges dans une Chambre de 338 places, le gouvernement aura besoin du soutien d’au moins un parti d’opposition pour faire adopter des lois.
Les mathématiques parlementaires rendent les décisions procédurales du Président potentiellement décisives lors de votes serrés. Par convention, le Président ne vote qu’en cas d’égalité et vote traditionnellement pour poursuivre le débat plutôt que pour décider des résultats définitifs. Selon les données de la Bibliothèque du Parlement, le Président précédent a dû trancher sept fois—le nombre le plus élevé de l’histoire canadienne récente.
Derrière les aspects cérémoniels se cache un rôle essentiel qui façonne le fonctionnement du Parlement. Le Président gère le temps de débat, donne la parole aux députés, statue sur les rappels au règlement et représente le Parlement auprès de la Couronne et à l’international. Le poste s’accompagne d’une augmentation de salaire (à 274 500 $) et d’une résidence à Kingsmere dans les collines de la Gatineau.
« Beaucoup de Canadiens ne réalisent pas que l’influence du Président s’étend bien au-delà de la chambre », a déclaré Penny Collenette, ancienne organisatrice libérale et professeure adjointe à l’Université d’Ottawa. « Il contrôle les ressources parlementaires, les opérations de sécurité et prend des décisions cruciales sur les motions de l’opposition qui seront débattues et les questions jugées recevables pendant la période des questions. »
Le vote se déroule par un système de bulletin secret préférentiel où les députés indiquent leurs préférences. Le candidat ayant obtenu le moins de voix est éliminé après chaque tour jusqu’à ce que quelqu’un obtienne un soutien majoritaire. Les députés « traînent » traditionnellement le gagnant vers le fauteuil—un clin d’œil symbolique aux temps historiques où les Présidents risquaient le mécontentement royal en transmettant les messages du Parlement au monarque.
Dans les couloirs de la Colline du Parlement, où j’ai parlé avec plusieurs députés sous couvert d’anonymat, des stratégies de vote transpartisanes se dessinent déjà. Plusieurs députés libéraux ont indiqué qu’ils pourraient soutenir d’Entremont comme voix conservatrice modérée, tandis que certains conservateurs se sont montrés ouverts à Hughes comme quelqu’un qui comprend parfaitement la procédure parlementaire.
« Nous avons besoin de quelqu’un qui peut faire baisser la température de quelques degrés », a déclaré un député libéral de troisième mandat qui a demandé l’anonymat pour parler franchement. « Le dernier Parlement était toxique. Quiconque s’assoit dans ce fauteuil doit favoriser le respect tout en maintenant l’ordre. »
Un récent sondage d’Abacus Data suggère que 64% des Canadiens croient que l’amélioration du décorum au Parlement devrait être une priorité—un sentiment partagé par des députés de tous les partis lors de conversations privées.
Une fois le Président choisi, l’attention se tournera rapidement vers le discours du Trône de mercredi et les priorités législatives du gouvernement. Le NPD a déjà signalé qu’il pourrait soutenir les initiatives conservatrices sur le coût de la vie tout en s’opposant aux changements des réglementations environnementales. Le Bloc Québécois, quant à lui, a exigé une plus grande autonomie pour le Québec en matière d’immigration comme prix de sa coopération.
Pour les Canadiens ordinaires qui observent ces débuts procéduraux, la sélection du Président offre un premier aperçu du fonctionnement possible de ce Parlement. Les divisions partisanes domineront-elles, ou l’institution pourra-t-elle trouver des moyens de relever les défis nationaux pressants par la collaboration?
Alors que les députés se rassemblent mardi matin, ils prendront leur première décision conséquente de ce Parlement—une décision qui façonnera le fonctionnement de notre démocratie pour les années à venir.