Alors que le soleil se levait sur Ottawa cette semaine, les producteurs laitiers canadiens ont reçu une nouvelle peu réjouissante en provenance de l’autre côté de la frontière. La Commission américaine du commerce international (ITC) a annoncé une enquête préliminaire pour déterminer si les exportations canadiennes de protéines laitières sont « bradées » sur les marchés américains à des prix artificiellement bas.
L’ironie n’a échappé à personne dans le milieu. Pendant des années, les producteurs américains ont critiqué le système canadien de gestion de l’offre comme étant trop protectionniste. Maintenant, ils affirment que certaines exportations laitières canadiennes sont trop compétitives.
« On est passé de l’accusation de se cacher derrière des barrières tarifaires à celle de pratiquer des prix agressifs sur les marchés d’exportation, » explique David Wiens, vice-président des Producteurs laitiers du Canada. « La réalité est bien plus complexe que ces deux versions ne le suggèrent. »
Au cœur de cette tension commerciale se trouvent les isolats et concentrés de protéines de lait—des ingrédients à haute valeur ajoutée utilisés dans tout, des boissons protéinées aux préparations pour nourrissons. Le Conseil américain d’exportation des produits laitiers affirme que ces exportations canadiennes ont augmenté de façon spectaculaire, menaçant les producteurs américains qui ne peuvent pas s’aligner sur ces prix.
Le moment est particulièrement délicat. À peine trois ans après la mise en œuvre de l’accord commercial ACEUM, qui a accordé aux producteurs américains un accès accru au marché laitier canadien, les relations s’aigrissent à nouveau. L’enquête pourrait potentiellement conduire à des droits compensateurs contre les exportations laitières canadiennes si l’ITC trouve des preuves de pratiques déloyales.
Mais de nombreux experts canadiens de l’industrie considèrent cette enquête davantage comme du théâtre politique que comme une politique de fond.
« C’est la posture classique en année électorale, » explique Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire de sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie. « L’industrie laitière américaine exerce une influence considérable dans des États électoraux clés comme le Wisconsin et New York. Lancer une enquête rapporte des points politiques, quel que soit le résultat. »
Les chiffres racontent une histoire complexe. Bien que les exportations canadiennes de certaines protéines laitières aient augmenté, elles ne représentent qu’une infime fraction de l’immense marché américain. Selon Statistique Canada, les exportations de produits laitiers vers les États-Unis ont totalisé environ 478 millions de dollars l’an dernier, soit moins de 1 % des 60 milliards de dollars que représente l’industrie laitière américaine.
Pour les producteurs laitiers canadiens comme Pierre Tremblay, qui exploite une ferme de 120 vaches près de Saint-Hyacinthe, au Québec, l’enquête donne l’impression que les règles changent constamment.
« D’abord, ils voulaient plus d’accès à notre marché, ce qu’ils ont obtenu avec l’ACEUM. Maintenant, ils sont contrariés quand nous essayons de faire concurrence sur le leur, » dit Tremblay. « À un moment donné, on se demande ce qui pourrait vraiment les satisfaire. »
Le système de gestion de l’offre, qui régule la production laitière canadienne depuis les années 1970, utilise des quotas de production et des contrôles à l’importation pour stabiliser les prix. Les critiques soutiennent que cela crée des inefficacités, tandis que les partisans soulignent la stabilité que cela apporte aux communautés rurales et aux fermes familiales.
Ce qui rend cette enquête particulièrement complexe, c’est que le secteur de la transformation laitière du Canada a évolué. Des entreprises comme Saputo et Agropur sont devenues des multinationales avec d’importantes installations de production aux États-Unis. La ligne entre produits laitiers « canadiens » et « américains » s’est considérablement estompée.
L’avocat spécialisé en commerce international Marc Bélanger, qui se concentre sur les différends Canada-États-Unis, voit cette enquête comme suivant un schéma prévisible. « La relation laitière a toujours été litigieuse. La gestion de l’offre ne disparaîtra pas, pas plus que les plaintes américaines à son sujet. Les deux parties ont appris à transformer ces différends en capital politique. »
Pour les consommateurs des deux côtés de la frontière, l’impact pratique pourrait être minime pour l’instant. Les prix de détail sont davantage influencés par des facteurs nationaux comme les coûts de transport, la main-d’œuvre et les prix de l’énergie que par les différends commerciaux sur des ingrédients spécialisés.
Mais si l’enquête aboutit à des droits de douane ou d’autres barrières commerciales, les effets d’entraînement pourraient éventuellement atteindre les rayons des épiceries. Des coûts plus élevés pour les ingrédients protéiques affecteraient les fabricants alimentaires qui utilisent ces composants dans tout, du yogourt aux barres énergétiques.
« Le système alimentaire est incroyablement interconnecté, » explique Julie Lapointe, analyste de l’industrie alimentaire. « Ce qui commence comme un différend technique sur les protéines de lait peut éventuellement affecter les prix à la consommation dans des dizaines de catégories. »
L’enquête de l’ITC se déroule dans un contexte de tensions agricoles plus larges. Le changement climatique, les pénuries de main-d’œuvre et la volatilité des coûts des intrants défient les agriculteurs partout. Les différends commerciaux ajoutent une couche supplémentaire d’incertitude à des conditions commerciales déjà difficiles.
Pour l’instant, le gouvernement canadien adopte une approche mesurée. Le ministre de l’Agriculture, Lawrence MacAulay, s’est engagé à « défendre vigoureusement » les intérêts laitiers canadiens tout en maintenant que toutes les exportations sont conformes aux obligations commerciales.
Les responsables d’Affaires mondiales Canada soulignent que des enquêtes similaires dans le passé se sont souvent conclues sans perturbations majeures. « Nous avons déjà emprunté cette voie, » déclare un fonctionnaire qui a demandé l’anonymat. « Ces processus comportent des garanties intégrées contre les allégations à motivation politique. »
Alors que l’enquête avance dans sa phase préliminaire, les secteurs laitiers des deux pays préparent leurs arguments. Les producteurs américains mettront l’accent sur la perturbation du marché, tandis que les Canadiens se concentreront sur l’échelle relativement petite des exportations par rapport au marché américain.
La suite dépendra largement des évaluations techniques des données de prix et des impacts sur le marché. L’ITC devra déterminer si les exportations canadiennes sont vendues en dessous de la juste valeur marchande et si ces ventes causent un préjudice matériel aux producteurs américains.
Quel que soit le résultat, le différend souligne la complexité persistante du commerce agricole—où les politiques nationales, la politique régionale et les marchés mondiaux se croisent de manière à transformer même un verre de lait en une question internationale.