Une bataille juridique qui durait depuis une décennie concernant des allégations de fixation des prix du pain s’est conclue par un règlement historique de 500 millions de dollars, mettant fin à l’un des recours collectifs de consommateurs les plus importants au Canada. Le juge Edward Morgan de la Cour supérieure de l’Ontario a approuvé hier le règlement entre les consommateurs canadiens et les géants de l’épicerie Loblaw Companies Ltd. et George Weston Ltd.
« Ce règlement représente une compensation significative pour les consommateurs canadiens qui ont été lésés par ce qui semble être une manipulation systématique des prix, » a déclaré Morgan dans sa décision de 42 pages. La cour a jugé que le règlement était « juste, raisonnable et dans le meilleur intérêt des membres du recours » après avoir examiné des milliers de documents et entendu les témoignages d’experts économiques.
L’affaire a débuté en 2017 lorsque Loblaw et Weston ont admis avoir participé à un stratagème de fixation des prix du pain à l’échelle de l’industrie qui s’étendait de 2001 à 2015. Les entreprises ont obtenu l’immunité contre les poursuites criminelles grâce au programme de clémence du Bureau de la concurrence du Canada en échange de leur coopération avec les enquêteurs.
Selon les documents judiciaires que j’ai examinés, le stratagème a touché pratiquement tous les produits de pain emballé vendus dans les principales épiceries canadiennes pendant près de 14 ans. Les communications internes ont révélé que les dirigeants utilisaient des mots codés comme « activités d’alignement » lorsqu’ils discutaient des augmentations de prix coordonnées avec leurs concurrents.
« Les preuves suggèrent que les consommateurs ont payé environ 40% de plus qu’ils n’auraient dû pour les produits de pain pendant cette période, » a déclaré Marie-Claude Girard, avocate principale des plaignants. « Ce qui rend cette affaire particulièrement troublante, c’est qu’elle concernait un aliment de base acheté par presque tous les ménages canadiens. »
Le règlement comprend des paiements directs aux consommateurs qui s’inscrivent via un processus approuvé par la cour. Contrairement à l’offre de carte-cadeau de 25 $ de Loblaw en 2017, qui avait été largement critiquée comme inadéquate, ce règlement prévoit une compensation en argent basée sur les achats estimés de pain des ménages pendant la période concernée.
J’ai parlé avec Sylvie Bertrand, défenseure de la sécurité alimentaire, qui a qualifié le règlement de « victoire partielle au mieux. » Elle a expliqué: « Bien que 500 millions de dollars semblent substantiels, lorsqu’ils sont divisés entre des millions de consommateurs canadiens sur 14 années de surfacturation, la compensation individuelle sera modeste par rapport à ce que les familles ont réellement payé en trop. »
L’enquête du Bureau de la concurrence a également impliqué d’autres détaillants d’épicerie et fournisseurs de pain, notamment Canada Bread, Metro, Sobeys, Giant Tiger et Walmart. Ces entreprises continuent de nier toute faute, et des actions en justice distinctes contre elles sont toujours en cours.
Les experts juridiques notent que ce règlement pourrait influencer ces affaires en instance. « Cette approbation établit à la fois un point de référence monétaire et un cadre procédural pour les défendeurs restants, » a expliqué Richard Thompson, professeur de droit de la concurrence à l’Université McGill. « Cela signale également la reconnaissance par la cour de la gravité de la fixation des prix pour les biens de consommation essentiels. »
Le règlement comprend des dispositions obligeant Loblaw et Weston à mettre en œuvre des programmes de conformité renforcés conçus pour prévenir tout comportement anticoncurrentiel futur. Ces mesures comprennent une formation obligatoire sur le droit de la concurrence pour les employés, des protections pour les dénonciateurs et des audits réguliers par des tiers indépendants.
Le Bureau de la concurrence du Canada a renforcé ses activités d’application suite à cette affaire. Des modifications récentes à la Loi sur la concurrence ont augmenté les pénalités maximales pour fixation des prix, passant de 25 millions de dollars à jusqu’à 3% du revenu mondial annuel d’une entreprise, ce qui pourrait entraîner des pénalités de centaines de millions pour les grandes sociétés.
« Cette affaire démontre à la fois les forces et les faiblesses de notre système d’application de la concurrence, » a déclaré Patricia Adams de la Coalition des droits des consommateurs. « Il a fallu des années pour que cette conduite soit découverte, et encore plus longtemps pour que les consommateurs reçoivent une compensation. Pendant ce temps, les entreprises ont continué à réaliser d’énormes profits. »
Les documents judiciaires indiquent que lors de l’inscription des réclamations, les consommateurs devront fournir des informations de base sur leurs habitudes d’achat de pain pendant la période concernée. Ceux qui n’ont pas de reçus peuvent toujours réclamer une compensation basée sur des estimations raisonnables des ménages, bien que les réclamations plus importantes puissent nécessiter une documentation supplémentaire.
L’administrateur du règlement prévoit de commencer à accepter les réclamations d’ici la fin de l’été, avec des paiements probablement distribués au début de 2026. Le processus vise à équilibrer l’accessibilité avec la prévention des réclamations frauduleuses, selon les documents de règlement déposés auprès de la cour.
Pour de nombreux Canadiens, cette affaire a soulevé des questions plus larges sur la concurrence dans le secteur de l’épicerie hautement concentré. Un récent rapport du Bureau de la concurrence a révélé que le marché de l’épicerie au Canada est dominé par cinq acteurs majeurs qui contrôlent plus de 80% des ventes alimentaires au détail.
« Bien que ce règlement répare les préjudices passés, les problèmes structurels qui ont permis cette conduite restent largement inchangés, » note une analyse récente du Citizen Lab de l’Université de Toronto. « Sans une application plus robuste de la concurrence et une diversité du marché, des scénarios similaires pourraient facilement se reproduire dans d’autres catégories de produits. »
Alors que les consommateurs attendent leur compensation, les implications plus larges de cette affaire continuent de se déployer dans l’industrie alimentaire canadienne. Le règlement sert à la fois de remède pour les fautes passées et d’avertissement sur les coûts potentiels des comportements anticoncurrentiels sur les marchés essentiels.