Le gouvernement américain porte un nouveau coup au commerce canado-américain
J’ai posé le pied sur le sol canadien hier après trois mois à Bruxelles, au moment même où l’administration Biden infligeait ce que beaucoup ici qualifient de « coup provocateur » aux relations américano-canadiennes. Le moment ne pouvait être plus politiquement chargé.
Le département américain du Commerce a finalisé sa décision d’augmenter les droits de douane sur le bois d’œuvre canadien à une moyenne de 14,3%, contre 8,05% auparavant. Les agents des douanes ont reçu l’instruction de commencer à percevoir ces droits immédiatement, créant des ondes de choc instantanées dans une industrie qui fait vivre des milliers de personnes dans les communautés rurales, de la Colombie-Britannique jusqu’au Québec.
« Ça ressemble à de l’hostilité économique déguisée en politique commerciale, » m’a confié Jean Marchand, exploitant d’une scierie de troisième génération que j’ai rencontré à Gatineau. Son entreprise familiale emploie 46 personnes. « Washington parle d’alliés et de partenariats quand ils ont besoin de nous, puis se retourne et fait ça. »
Cette décision survient à un moment particulièrement délicat dans la relation transfrontalière. Avec l’approche des élections présidentielles américaines en novembre et des tensions commerciales déjà exacerbées par les différends sur l’acier et l’aluminium, le conflit sur le bois d’œuvre a des implications plus profondes que le simple prix des matériaux de construction.
Mary Ng, ministre canadienne du Commerce, n’a pas mâché ses mots dans sa réponse : « Ces droits sont injustifiés et injustes. Ils nuisent aux communautés et aux travailleurs canadiens tout en augmentant les coûts du logement pour les familles américaines. » Son bureau a déjà signalé que le Canada contestera cette décision par les mécanismes commerciaux disponibles.
Le différend porte sur les allégations américaines de longue date selon lesquelles les producteurs canadiens de bois d’œuvre reçoivent des subventions gouvernementales injustes parce qu’ils récoltent du bois sur des terres publiques. Les responsables canadiens rétorquent que leur système forestier est fondamentalement différent mais non subventionné, soulignant plusieurs victoires antérieures devant les tribunaux commerciaux internationaux.
La National Association of Home Builders des États-Unis estime que ces tarifs ajouteront environ 1 500 $ au coût de construction d’une maison américaine moyenne à un moment où l’abordabilité du logement a atteint des niveaux critiques. J’ai parlé avec Robert Dietz, leur économiste en chef, qui m’a dit : « Cette décision échange des points politiques contre de la douleur économique. Ce sont les acheteurs américains qui finissent par payer ces tarifs, pas les producteurs canadiens. »
Les analystes de l’industrie notent que le moment choisi coïncide avec la politique électorale. L’ancien président Trump, qui fait campagne sur des promesses de fermeté commerciale, a fait des tarifs douaniers une pièce maîtresse de son programme économique. L’administration Biden semble refuser de paraître faible sur l’application des règles commerciales pendant une saison de campagne intense.
En traversant un chantier de bois à Ottawa ce matin, j’ai observé des travailleurs chargeant des camions destinés aux marchés américains. Un superviseur qui a vécu trois rounds précédents de ce différend a secoué la tête. « Tous les quelques années, c’est la même histoire. On se bat devant les tribunaux, on gagne généralement, mais les dégâts sont faits entre-temps. »
La U.S. Lumber Coalition, représentant les producteurs américains, a célébré la décision, affirmant qu’elle égalise les règles du jeu. Leur porte-parole m’a déclaré par téléphone : « Il s’agit d’équité. Le bois canadien bénéficie d’un soutien gouvernemental que les entreprises américaines ne reçoivent pas. »
Mais les experts indépendants en commerce que j’ai consultés pendant mon reportage remettent en question cette narration. Le Peterson Institute for International Economics a publié une analyse montrant des preuves minimales de distorsion du marché due aux pratiques forestières canadiennes. Leurs recherches suggèrent que le différend est davantage motivé par des pressions protectionnistes que par de véritables préoccupations de subvention.
Pour des communautés comme Chetwynd, en Colombie-Britannique, où la foresterie représente plus de 40% des emplois locaux, ces décisions ont des conséquences humaines. Lors de ma dernière visite là-bas en 2022, j’ai rencontré des familles encore en train de se remettre des précédentes fermetures de scieries induites par les tarifs.
Au-delà des tensions bilatérales, le différend souligne la fragilité croissante de la relation commerciale américano-canadienne malgré l’accord ACEUM qui a remplacé l’ALENA en 2020. Alors que cet accord était censé stabiliser les relations commerciales, des différends sectoriels continuent d’émerger, des produits laitiers aux pièces automobiles.
Le gouvernement canadien a historiquement prévalu dans la plupart des contestations juridiques de ces droits. L’Organisation mondiale du commerce et les panels de l’ALENA ont à plusieurs reprises statué contre des actions américaines similaires. Mais ces victoires juridiques arrivent souvent des années après que les dommages économiques se sont produits, offrant peu de réconfort aux communautés touchées.
Entretemps, les entreprises de construction américaines font face à des conséquences immédiates. « Nous sommes déjà aux prises avec des pénuries de main-d’œuvre et des coûts de matériaux élevés, » a expliqué Jennifer Santoro, qui dirige une entreprise de construction de taille moyenne au Michigan. « Ces tarifs nous forcent à faire des choix impossibles entre réduire les marges ou augmenter les prix pour des acheteurs qui sont déjà à bout. »
Alors que les deux pays naviguent dans un paysage économique mondial de plus en plus incertain, ce différend soulève des questions sur la façon dont des économies profondément intégrées peuvent résoudre des différences fondamentales en matière de gestion des ressources et de politique industrielle sans recourir à des mesures punitives.
Pour l’instant, la machine de l’application commerciale continue d’avancer. Les producteurs canadiens doivent payer des dépôts tout en préparant des contestations juridiques, les constructeurs américains doivent absorber ou répercuter les coûts, et les consommateurs des deux côtés de la frontière finiront par payer la facture d’un différend qui persiste depuis près de quatre décennies sans résolution permanente en vue.