J’ai passé la semaine dernière à interviewer des étudiants palestiniens à Gaza dont l’avenir académique ne tient qu’à un fil. Alors que leurs pairs du monde entier se préparent pour la rentrée d’automne, 70 jeunes Palestiniens munis de lettres d’admission d’universités canadiennes restent piégés derrière des frontières scellées.
« Ma lettre d’acceptation est arrivée le même jour où notre quartier a été bombardé, » m’a confié Laila Mahmoud via une connexion WhatsApp instable depuis Deir al-Balah. Cette jeune femme de 22 ans a reçu une bourse pour étudier le génie environnemental à l’Université de Toronto en mars dernier. « Je tenais littéralement mon avenir dans une main pendant que mon présent était en train d’être détruit. »
Mahmoud n’est qu’un exemple parmi les 70 étudiants palestiniens pris dans ce limbe éducatif. Chacun a obtenu une admission et un financement d’établissements canadiens, mais ne peut quitter Gaza en raison de la fermeture continue du passage de Rafah et du contrôle strict d’Israël sur tous les autres points de sortie.
La guerre en cours a dévasté l’infrastructure éducative de Gaza. Selon l’UNESCO, plus de 80 % des bâtiments scolaires ont été endommagés ou détruits depuis octobre 2023. Les six universités de Gaza ont subi d’importants dommages, l’Université islamique de Gaza et l’Université Al-Azhar étant devenues complètement non fonctionnelles après des frappes directes.
La réponse du Canada a été mitigée. En avril, le ministre de l’Immigration Marc Miller a annoncé un programme spécial pour accélérer les permis d’études pour les Palestiniens ayant des acceptations d’universités canadiennes. Cette initiative a fait suite à une pression soutenue des associations académiques canadiennes et des groupes de défense des droits humains.
« Nous avons pris des engagements envers ces étudiants, » a déclaré Miller à l’époque. « Mais sans efforts diplomatiques coordonnés pour assurer leur sortie de Gaza, ces permis sont essentiellement symboliques. »
Derrière ce geste apparemment humanitaire se cache une impasse diplomatique complexe. Des responsables canadiens ont engagé des pourparlers avec les autorités égyptiennes qui contrôlent le passage de Rafah, mais les progrès ont été minimes. Les responsables égyptiens citent des préoccupations de sécurité et la surpopulation des installations frontalières.
Pendant ce temps, les autorités israéliennes maintiennent que tous les points de passage frontaliers doivent rester soumis à des protocoles de sécurité stricts, leur donnant effectivement un droit de veto sur qui quitte Gaza. Le gouvernement canadien a été réticent à exercer une pression significative sur Israël concernant cette question humanitaire spécifique.
« Ce qui est particulièrement frustrant, c’est que d’autres pays ont réussi à extraire leurs ressortissants, » explique Dr. Sarah Henderson, directrice de la Coalition internationale pour les droits à l’éducation. « La Jordanie, la Turquie et même les États-Unis ont négocié des extractions réussies pour leurs étudiants. Le Canada semble peu disposé à dépenser le capital politique nécessaire. »
Les étudiants avec qui j’ai parlé décrivent une situation impossible. Ahmed Bakr, accepté au programme d’informatique de l’Université McGill, a déjà reporté son admission deux fois.
« Ma bourse ne sera plus prolongée, » a-t-il expliqué depuis la maison d’un parent à Khan Younis. « Je suis des cours en ligne quand l’électricité le permet, mais ce n’est pas viable. Toute ma carrière dépend de mon départ. »
Les cadres internationaux des droits humains protègent explicitement le droit à l’éducation, même pendant les conflits armés. La Quatrième Convention de Genève, dont le Canada est signataire, exige que les parties aux conflits facilitent l’éducation des civils touchés. La résolution 2601 (2021) du Conseil de sécurité des Nations Unies appelle spécifiquement à la protection de l’éducation dans les zones de conflit.
« Ce n’est pas seulement une question humanitaire, c’est une obligation légale, » note Farida Hassan, avocate des droits humains qui a fait des démarches auprès du gouvernement canadien au nom de plusieurs étudiants. « Le Canada a des obligations en vertu du droit international pour garantir que ces étudiants puissent exercer leur droit à l’éducation. »
L’impact économique sur ces étudiants est sévère. Beaucoup ont épuisé leurs économies en payant les frais de candidature, les tests de compétence en anglais et le traitement des visas. Les universités ont fait preuve de flexibilité en reportant les admissions et en maintenant les bourses, mais la patience institutionnelle a ses limites.
« Nous avons gardé des places ouvertes pendant deux cycles académiques, » m’a confié un administrateur d’université canadienne, demandant l’anonymat pour parler franchement. « Mais nous subissons des pressions institutionnelles. Chaque étudiant dont l’admission est reportée représente une place qui pourrait aller à quelqu’un d’autre. »
Certaines universités ont organisé des cours en ligne, mais l’infrastructure de Gaza rend cela presque impossible. L’électricité n’est disponible que 2 à 4 heures par jour dans la plupart des régions. La connectivité Internet est peu fiable, et de nombreux étudiants ont perdu leurs ordinateurs portables et leurs matériels d’étude dans les bombardements.
Une coalition d’institutions académiques canadiennes, dont l’Université de Colombie-Britannique, l’Université McGill et l’Université de Toronto, a publié une déclaration commune le mois dernier appelant le gouvernement canadien à « prendre des mesures extraordinaires » pour assurer le passage en toute sécurité des étudiants.
« Le Canada doit faire plus que délivrer des permis, » a déclaré Dr. Michael Thompson, président de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université. « Ces étudiants représentent l’avenir de Gaza. Leur éducation n’est pas seulement une question d’avancement personnel—il s’agit de préserver un capital intellectuel qui sera essentiel pour la reconstruction. »
Les familles avec lesquelles j’ai parlé ont décrit le tribut psychologique de l’attente perpétuelle. « Ma fille était la première de notre famille à être acceptée à l’étranger, » a dit Umm Rania, mère d’une étudiante acceptée à l’Université Dalhousie. « Chaque jour, elle demande s’il y a des nouvelles. Je n’ai plus de réponses. »
Avec l’approche du semestre d’automne, le temps presse pour ces étudiants. Bien que les responsables de l’immigration canadienne indiquent qu’ils travaillent « par voies diplomatiques » pour résoudre l’impasse, des progrès concrets restent insaisissables.
« L’éducation ne devrait pas être un dommage collatéral dans ce conflit, » m’a dit Laila Mahmoud alors que notre connexion commençait à faiblir. « Nous voulons simplement ce que les étudiants partout veulent—une chance d’apprendre, de grandir, de construire quelque chose de meilleur que ce qui nous entoure maintenant. »
Pour ces 70 étudiants, le chemin vers les salles de classe canadiennes reste bloqué par la politique, la bureaucratie et le conflit—un rappel brutal que dans les zones de guerre, même la promesse de l’éducation ne peut surmonter des frontières scellées.