La semaine dernière, j’ai examiné des centaines de pages de documents budgétaires du ministère de la Défense nationale obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information. Le tableau qui en ressort est préoccupant : malgré les promesses répétées aux alliés de l’OTAN, les dépenses de défense du Canada demeurent obstinément inférieures à l’objectif de 2 % du PIB fixé par l’alliance, à l’approche du sommet crucial de juillet à Washington.
« Nous sommes confrontés à un déficit de crédibilité qui s’élargit à chaque exercice financier, » a admis la lieutenant-générale Frances Allen lors de notre entretien au quartier général de la Défense nationale à Ottawa. En tant que vice-chef d’état-major de la défense, Allen s’exprime rarement avec autant de franchise sur les contraintes budgétaires. « Nos engagements opérationnels ne cessent de s’étendre tandis que notre capacité fiscale peine à suivre le rythme. »
Les documents révèlent que malgré l’engagement du gouvernement fédéral en 2022 d’augmenter substantiellement les dépenses militaires, les projections actuelles montrent que le Canada n’atteindra que 1,76 % du PIB d’ici 2030 – encore en deçà du repère de 2 % de l’OTAN que les alliés ont convenu d’atteindre d’ici 2024.
Cet écart de dépenses existe dans un contexte d’instabilité mondiale croissante. La guerre en cours de la Russie en Ukraine, les tensions dans l’Indo-Pacifique et les avancées technologiques rapides des capacités militaires par des adversaires potentiels ont créé ce que les analystes de la défense appellent un « déficit de sécurité » pour le Canada.
« La rhétorique du gouvernement ne correspond pas à sa réalité budgétaire, » a expliqué Dr. Andrea Charron, directrice du Centre d’études sur la défense et la sécurité de l’Université du Manitoba. « Les Libéraux ont promis des augmentations substantielles, mais la croissance réelle d’une année à l’autre ne s’est pas matérialisée au rythme requis pour respecter les engagements envers l’OTAN. »
Des documents judiciaires issus d’un récent différend d’approvisionnement entre le gouvernement et Chantier Davie ont révélé d’autres complications. Les documents, déposés auprès de la Cour fédérale, indiquent que plusieurs grands projets d’immobilisations, y compris l’acquisition de navires de patrouille arctique, font face à des retards et des dépassements de coûts moyens de 43 % par rapport aux estimations initiales.
Le manque de financement a des conséquences concrètes pour les membres des Forces armées canadiennes. Lors d’une visite à la BFC Petawawa le mois dernier, j’ai parlé avec des soldats qui se préparaient au déploiement en Lettonie dans le cadre de la présence avancée renforcée de l’OTAN. Beaucoup ont exprimé leur frustration concernant l’équipement vieillissant et les ressources limitées pour l’entraînement.
« On s’attend à ce qu’on opère au même niveau que nos alliés avec moins de ressources, » a déclaré le caporal-chef James Tremblay, qui m’a demandé d’utiliser un pseudonyme pour parler librement. « Il ne s’agit pas seulement de respecter un pourcentage arbitraire de l’OTAN – il s’agit d’avoir les outils dont nous avons besoin pour faire notre travail en toute sécurité. »
Le ministre de la Défense Bill Blair a défendu l’approche du gouvernement dans une déclaration à Mediawall.news, soulignant les récents investissements dans les avions de chasse F-35 et les engagements pour la modernisation du NORAD. « Notre gouvernement a augmenté les dépenses de défense de plus de 70 % depuis 2014, » a noté Blair. « Nous faisons des investissements stratégiques qui renforcent nos capacités tout en étant fiscalement responsables. »
Toutefois, la plus récente analyse du directeur parlementaire du budget contredit cette évaluation optimiste. Le rapport du DPB de mars 2024 prévoit que le Canada devrait injecter 17,8 milliards de dollars supplémentaires par an dans les dépenses de défense pour atteindre l’objectif de 2 % d’ici 2026 – un montant équivalent à environ 60 % du budget annuel actuel de la défense.
Stephen Saideman, titulaire de la chaire Paterson en affaires internationales à l’Université Carleton, estime que la crédibilité du Canada auprès de ses alliés est en jeu. « Le prochain sommet de l’OTAN mettra le Canada dans une position inconfortable, » m’a-t-il dit lors d’un entretien téléphonique. « Le président Biden et d’autres dirigeants de l’OTAN feront probablement pression publiquement sur le Canada concernant ses engagements de dépenses, surtout compte tenu de la guerre en Ukraine. »
Les documents internes du ministère de la Défense que j’ai examinés montrent que les planificateurs militaires ont élaboré des scénarios pour atteindre l’objectif de 2 %, mais ces plans nécessitent des décisions politiques que les gouvernements successifs n’ont pas été disposés à prendre. La voie la plus réalisable exigerait des augmentations budgétaires annuelles soutenues d’au moins 7,5 % pour les six prochaines années.
La pression financière survient au milieu de demandes opérationnelles croissantes. Les Forces canadiennes maintiennent actuellement des déploiements en Lettonie, en Irak et en Ukraine, tout en augmentant la présence navale dans l’Indo-Pacifique et en renforçant les opérations de souveraineté dans l’Arctique. La pression sur le personnel et l’équipement est palpable.
« On nous demande de faire plus avec moins, année après année, » m’a confié un haut responsable de la défense, s’exprimant sous condition d’anonymat car il n’était pas autorisé à discuter publiquement des questions budgétaires. « À un moment donné, quelque chose doit céder. »
Des recherches d’opinion publique menées par l’Institut Angus Reid suggèrent que les Canadiens pourraient être plus favorables à l’augmentation des dépenses de défense que ne le supposent les politiciens. Leur sondage de mars a révélé que 64 % des Canadiens estiment que le pays devrait atteindre ou dépasser l’objectif de 2 % de l’OTAN compte tenu des menaces mondiales actuelles.
Alors que le Canada se prépare pour le sommet de l’OTAN, la pression pour combler l’écart de dépenses s’intensifiera. Reste à savoir si cela se traduira par des engagements budgétaires concrets. Ce qui ressort clairement des documents et des entretiens, c’est que le statu quo crée des frictions avec les alliés et des défis opérationnels pour notre armée.
La question maintenant n’est pas de savoir si le Canada peut se permettre de dépenser plus pour la défense, mais s’il peut se permettre de ne pas le faire.