Je suis descendu de mon pick-up dans l’air frais du matin du nord du Minnesota. C’était ce genre de froid qui fait un peu mal aux poumons—familier à quiconque a passé du temps dans les régions nordiques de notre continent. Derrière moi s’étendaient des kilomètres de construction de pipeline, un projet qui est devenu à la fois une bouée de sauvetage et un paratonnerre pour les communautés de part et d’autre de la frontière.
« Nous voyons enfin l’aboutissement d’années de planification, » a déclaré James Whitefeather, un opérateur d’équipement avec qui je discute depuis un an. « Certains membres de ma communauté y voient des emplois. D’autres s’inquiètent pour nos eaux.«
Cette tension est au cœur de la dernière annonce d’Enbridge qui a fait des vagues tant sur les marchés énergétiques que dans les communautés autochtones.
Le 14 novembre 2025, Enbridge Inc. a approuvé un projet d’expansion de pipeline de 14 milliards $US conçu pour augmenter le flux de pétrole canadien vers les raffineries américaines. Le géant du transport énergétique basé à Calgary a confirmé que cet investissement augmentera considérablement la capacité de leur réseau principal qui transporte le brut des sables bitumineux de l’Alberta vers les marchés américains.
Cette expansion arrive à un moment critique pour la sécurité énergétique nord-américaine. Alors que les marchés pétroliers mondiaux font face à une volatilité continue après de multiples perturbations d’approvisionnement au Moyen-Orient, la production canadienne est devenue une force stabilisatrice dans la dynamique énergétique régionale.
« Il ne s’agit pas seulement de transporter plus de barils, » a expliqué Susanne Thompson, analyste de la transition énergétique à l’Institut canadien de recherche énergétique. « Il s’agit de créer de la résilience dans les systèmes énergétiques nord-américains à un moment où les politiques climatiques et la géopolitique redéfinissent notre façon de penser la dépendance au pétrole. »
Pour les communautés situées le long du tracé, le projet représente un mélange complexe d’opportunités économiques et de préoccupations environnementales. Selon l’évaluation d’impact économique d’Enbridge, l’expansion devrait créer environ 8 500 emplois dans la construction et 450 postes permanents dans plusieurs provinces et États.
Lors de ma visite à Fort McMurray le mois dernier, j’ai trouvé une communauté prudemment optimiste quant à ce que cela signifie pour leur avenir économique. La région a traversé des cycles d’expansion et de ralentissement pendant des décennies, et de nombreux résidents expriment un espoir mesuré quant à ce qu’une capacité de pipeline soutenue pourrait signifier pour la stabilité.
« Nous avons déjà vu des projets annoncés qui ne se sont jamais concrétisés, » a déclaré Elena Carreiro, qui gère une entreprise locale de fournitures de soudage. « Mais celui-ci semble différent—il y a de l’argent réellement engagé et des échéanciers établis.«
Les groupes environnementaux ont immédiatement exprimé leur inquiétude. Le projet arrive alors que le Canada peine à respecter ses engagements climatiques dans le cadre de l’Accord de Paris. Selon le dernier rapport sur les émissions d’Environnement et Changement climatique Canada, le pays reste considérablement en retard par rapport à ses objectifs de réduction pour 2030.
« L’expansion des infrastructures de combustibles fossiles entraîne des décennies d’émissions de carbone que nous ne pouvons tout simplement pas nous permettre, » a noté Dr. Aaron Fielding du Réseau Action Climat. Leur analyse suggère que la capacité de production supplémentaire pourrait générer des émissions équivalentes à l’ajout de 3,2 millions de véhicules de passagers sur les routes chaque année.
Les communautés autochtones le long du tracé ont exprimé des perspectives divisées. Certaines Premières Nations ont signé d’importants accords de bénéfices avec Enbridge, tandis que d’autres maintiennent une opposition fondamentale à l’infrastructure supplémentaire de pipeline à travers leurs territoires traditionnels.
Lorsque j’ai assisté à un rassemblement communautaire dans la Première Nation d’Aamjiwnaang près de Sarnia, en Ontario—où de nombreuses raffineries traitent le brut albertain—les résidents ont partagé leurs préoccupations concernant les impacts cumulatifs sur la qualité de l’air liés au développement industriel.
« Nous vivons déjà avec la Vallée chimique du Canada dans notre arrière-cour, » a déclaré Denise Rogers, défenseure de la santé communautaire. « Chaque nouveau projet doit être considéré non pas isolément, mais en termes de ce que nous respirons déjà.«
Le paysage réglementaire pour l’expansion reste complexe. Bien que le projet ait reçu des approbations préliminaires de la part de l’organisme de réglementation de l’énergie du Canada, il fait toujours face à des contestations juridiques de la part de groupes environnementaux et de certaines communautés autochtones. L’entreprise prévoit que ces obstacles seront surmontés d’ici mi-2026, avec le début de la construction peu après.
Les analystes de l’industrie suggèrent que le calendrier s’aligne avec les tendances projetées de la demande mondiale de pétrole. Les Perspectives énergétiques mondiales de l’Agence internationale de l’énergie indiquent que, bien que le déploiement des énergies renouvelables continue de s’accélérer, la demande pétrolière atteindra un plateau plutôt que de décliner radicalement au cours des années 2030, particulièrement pour les applications industrielles comme la production pétrochimique.
Pour les investisseurs, cette annonce représente un engagement significatif à une époque où de nombreuses compagnies énergétiques sont devenues réticentes à approuver des projets d’immobilisations majeurs. Les actions d’Enbridge ont augmenté de 4,2 % suite à l’annonce, reflétant la confiance du marché dans la viabilité à long terme des exportations pétrolières canadiennes malgré les vents contraires des politiques climatiques.
« Ce n’est pas seulement un projet de pipeline—c’est une déclaration sur l’intégration énergétique nord-américaine, » a expliqué Tariq Hassan, économiste principal en énergie à la Banque TD. « Le système de raffinage américain est optimisé pour le type de pétrole lourd que produit le Canada, créant un partenariat de marché naturel qui persiste à travers la transition énergétique. »
En conduisant le long de l’autoroute 2 près de Bemidji, au Minnesota, le paysage alterne entre forêt dense, terres agricoles et stations de pompage de pipeline occasionnelles. Le tracé raconte une histoire sur la façon dont l’infrastructure énergétique a façonné les communautés et les environnements depuis des générations.
Reste à savoir si cette expansion représente le dernier grand projet d’infrastructure pétrolière d’une époque ou le début d’un nouveau chapitre dans les relations énergétiques canado-américaines. Ce qui est clair, c’est que pour les communautés situées le long de son parcours, le projet représente à la fois une opportunité et un défi—tout comme la transition énergétique elle-même.
Comme les rivières du nord qui serpentent à travers cette région, le chemin à suivre se déplace rarement en ligne droite. À mesure que ce projet avance, il continuera de tester notre capacité collective à naviguer entre des visions concurrentes de sécurité énergétique, de protection environnementale et d’opportunité économique dans un monde en rapide évolution.