Les téléphones du Club des Pourvoyeurs de Fredericton n’ont pas cessé de sonner depuis l’annonce d’hier. Après des semaines d’aggravation du danger d’incendie, les autorités du Nouveau-Brunswick ont pris la difficile décision de fermer toutes les terres de la Couronne au public, avec effet immédiat.
« On reçoit des appels toutes les vingt minutes de gens qui avaient prévu des sorties de pêche, » explique Martin Leblanc, directeur des opérations du club. « Certains planifient ces voyages depuis des mois. »
Le gouvernement provincial a annoncé la mesure mardi matin, citant des « conditions de danger d’incendie extrême » dans les régions centrales et méridionales. Cette décision sans précédent restreint l’accès à environ 3,3 millions d’hectares – près de la moitié de la superficie totale de la province.
Le ministre des Ressources naturelles, Mike Holland, a qualifié cette décision de « nécessaire mais déchirante » lors de l’annonce. « Nous comprenons que cela affecte les moyens de subsistance, les loisirs et les traditions. Mais dans les conditions actuelles, nous ne pouvons tout simplement pas risquer plus d’incendies. »
La province a déjà combattu 98 feux de forêt cette saison, consumant plus de 150 hectares. C’est presque le double de la moyenne quinquennale pour cette période de mai, selon les responsables provinciaux de la gestion des incendies.
Pour des communautés comme Miramichi, où le tourisme et les activités de plein air constituent des piliers économiques, le moment ne pourrait être pire. La saison de pêche au doré venait d’ouvrir, attirant des pêcheurs de tout l’Est canadien et du nord-est des États-Unis.
« Ça nous frappe directement au portefeuille, » explique Sarah Donovan, propriétaire de River’s Edge Supply à Blackville. « Mai et juin sont des mois décisifs pour les petites entreprises comme la mienne. Mais nous comprenons que la sécurité passe avant tout. »
L’interdiction comprend toutes les activités récréatives sur les terres de la Couronne – randonnée, camping, pêche et utilisation de VTT. Seul le personnel autorisé et ceux détenant des permis commerciaux sont autorisés à y accéder, à condition d’obtenir des permis spéciaux et de suivre des protocoles stricts de prévention des incendies.
Les données d’Environnement Canada montrent des niveaux de précipitation 40% inférieurs aux normes saisonnières dans une grande partie de la province. Combinées à des températures anormalement chaudes et des vents constants, les conditions ont créé ce qu’un responsable forestier a décrit comme « une poudrière qui n’attend qu’une étincelle. »
La Fédération des propriétaires de lots boisés du Nouveau-Brunswick a exprimé son soutien à cette mesure tout en reconnaissant la douleur économique. « Les propriétaires fonciers privés suivent cette situation avec grande inquiétude, » affirme Jean-Claude Savoie, président de la Fédération. « Plusieurs d’entre nous mettons en œuvre volontairement des restrictions similaires. »
Les réseaux sociaux ont vu des réactions mitigées. Le mot-clic #FermetureFeuxNB est devenu tendance localement, avec de nombreux résidents partageant des photos de forêts desséchées et exprimant leur soutien. D’autres remettent en question l’étendue de la fermeture plutôt qu’une approche ciblée.
Les communautés autochtones, qui maintiennent des droits traditionnels sur les terres de la Couronne, ont reçu des exemptions pour les activités cérémoniales et de subsistance. Cependant, les leaders communautaires ont exhorté leurs membres à faire preuve d’une extrême prudence.
« Notre peuple comprend que la relation sacrée avec la terre inclut sa protection, » explique Élizabeth Polchies, gardienne du savoir de la Première Nation de St. Mary’s. « De nombreux aînés conseillent aux membres de la communauté de reporter les activités non essentielles jusqu’à ce que les conditions s’améliorent. »
Les opérateurs touristiques et les pourvoyeurs s’empressent d’ajuster les réservations et d’offrir des alternatives. La province a promis de revoir la fermeture quotidiennement, avec l’espoir que la pluie prévue puisse apporter un soulagement la semaine prochaine.
Pour les campeurs du week-end comme la famille Arsenault de Moncton, l’annonce signifie l’annulation de projets longtemps anticipés. « Nous avions prévu notre première sortie de camping familial de la saison au mont Carleton, » raconte Marie Arsenault. « Les enfants sont déçus, mais nous utilisons cela comme un moment d’apprentissage sur le climat et la sécurité incendie. »
Les autorités soulignent que la fermeture ne touche que les terres de la Couronne, pas les parcs provinciaux ni les terrains de camping privés, bien que les interdictions de feu restent en vigueur dans toute la province. Les parcs municipaux restent ouverts mais avec des restrictions renforcées.
Le ministère des Ressources naturelles a déployé des agents de conservation supplémentaires pour faire respecter la fermeture. Les infractions entraînent des amendes commençant à 1 000 $ pour les particuliers et pouvant atteindre 10 000 $ pour les entreprises.
Ce n’est pas la première expérience du Nouveau-Brunswick avec des saisons sévères d’incendies de forêt. En 2021, des conditions similaires avaient conduit à des fermetures partielles de terres dans les régions du nord. Cependant, c’est la première restriction à l’échelle provinciale des terres de la Couronne depuis plus de vingt ans.
Les climatologues de l’Université du Nouveau-Brunswick soulignent des tendances préoccupantes. « Ce que nous observons correspond aux modèles climatiques qui prédisent des saisons d’incendie plus longues et plus intenses, » explique Dr. Rachel Thompson, climatologue étudiant les modèles de feux de forêt. « Cela pourrait devenir notre nouvelle normalité plutôt qu’une anomalie. »
Pour l’instant, résidents et visiteurs surveillent les prévisions météorologiques avec une intensité inhabituelle, espérant une pluie qui pourrait humidifier le sol forestier et assouplir les restrictions avant le long week-end de la fête de Victoria – traditionnellement le début non officiel des activités estivales dans toute la province.
Comme le dit Martin Leblanc en reprogrammant un autre client déçu : « Au Nouveau-Brunswick, nos forêts sont notre identité. Les protéger fait mal à court terme, mais il n’y a vraiment pas d’alternative. Nous serons bientôt de retour sur l’eau – si Dieu et la météo le permettent. »