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Les foules parées d’érable s’étendaient à perte de vue depuis mon point d’observation près de la Colline du Parlement. Des enfants aux visages peints en rouge et blanc zigzaguaient entre les couvertures de pique-nique tandis que l’odeur de barbecue se mêlait aux occasionnelles bouffées de soufre des feux d’artifice tirés par les premiers fêtards. Un homme dans la soixante-dizaine, arborant un maillot usé de l’Équipe Canada, a attiré mon regard.
« Je viens ici depuis ’67, le Centenaire, » m’a-t-il dit, en ajustant sa casquette à feuille d’érable. « Je n’ai jamais rien vu de comparable à l’énergie de cette année. »
Alors que le Canada s’apprête à célébrer son 158ème anniversaire, quelque chose de remarquable se produit à travers le pays. Après des années d’isolement pandémique, d’incertitude économique et de politique de plus en plus divisée, les Canadiens embrassent les célébrations nationales avec une ferveur inattendue.
Les opérateurs touristiques signalent des réservations record pour les événements du week-end de la fête du Canada, avec des célébrations majeures à Ottawa, Toronto et Vancouver qui devraient attirer les foules les plus importantes depuis des décennies. Les réservations d’hôtels à Ottawa ont augmenté de 43% par rapport aux niveaux pré-pandémiques, selon les données de l’Office du tourisme d’Ottawa.
« Nous assistons à une sorte d’expiration collective, » explique Dr. Sophia Liu, sociologue culturelle à l’Université de la Colombie-Britannique. « Après des années d’auto-examen critique, nécessaire mais épuisant en tant que nation, beaucoup de Canadiens semblent prêts à célébrer les progrès accomplis tout en reconnaissant qu’il reste encore du travail à faire. »
Cette perspective équilibrée était évidente lorsque j’ai assisté à la cérémonie autochtone du lever du soleil à Stanley Park la semaine dernière, où l’Aîné Robert Nahanee a accueilli des participants autochtones et non-autochtones. « La réconciliation ne consiste pas à effacer la célébration, » a-t-il dit au cercle rassemblé. « Il s’agit de créer un espace où nous pouvons tous nous voir dans l’histoire de ce pays. »
À Montréal, j’ai rencontré Juliette Benoît qui mettait la touche finale à une installation pour l’immense célébration du centre-ville. Son projet multimédia présente des histoires de nouveaux Canadiens projetées aux côtés de résidents de cinquième génération.
« Il ne s’agit pas d’un message simpliste du genre ‘nous sommes tous pareils’, » a expliqué Benoît, en ajustant un projecteur. « Il s’agit de voir la complexité de ce que signifie être Canadien en 2025 – les tensions, les contradictions, mais aussi les connexions. »
Ce regain d’enthousiasme a pris de court même les organisateurs d’événements chevronnés. Les demandes de subventions pour les célébrations communautaires via Patrimoine canadien ont augmenté de 37% cette année, avec des participations particulièrement fortes des petites et moyennes communautés des Prairies et du Canada atlantique, selon les données du ministère.
Lors de mon entretien avec la ministre du Patrimoine Anita Johal le mois dernier, elle a souligné la nature populaire de ce renouveau. « Le gouvernement fédéral peut fournir un cadre et un financement, mais cette énergie renouvelée que nous observons vient des communautés elles-mêmes. Les gens créent les célébrations qu’ils souhaitent voir. »
Ce sentiment trouve un écho chez Malik Ibrahim, arrivé comme réfugié de Syrie en 2016 et qui coordonne maintenant la participation des nouveaux arrivants aux festivités de la fête du Canada à Winnipeg. « Pour beaucoup d’entre nous qui avons choisi le Canada, il n’y a jamais eu de confusion entre célébrer ce pays et vouloir qu’il s’améliore, » m’a-t-il confié autour d’un café dans son centre communautaire. « C’est en fait la chose la plus canadienne – aimer quelque chose assez pour en attendre mieux. »
Tout le monde ne partage pas cet enthousiasme. Sur l’île de Vancouver, j’ai rencontré l’activiste climatique Sasha Chen, qui remet en question l’impact environnemental des grandes célébrations. « Nous tirons des feux d’artifice alors que la province fait face à une autre saison catastrophique de feux de forêt, » a-t-elle souligné. « Il existe des façons de célébrer la communauté sans ignorer notre réalité. »
Les perspectives autochtones restent variées. Alors que certaines communautés s’engagent pleinement dans les événements de la fête du Canada, d’autres maintiennent une distance ou créent des espaces alternatifs de réflexion. Le Festival des arts autochtones à La Fourche à Winnipeg offre une telle voie médiane – une célébration de la culture autochtone qui se déroule parallèlement, mais distinctement, de la programmation officielle de la fête du Canada.
« Nous pouvons occuper les mêmes espaces sans effacer nos identités distinctes, » explique l’organisateur du festival, Cameron Sinclair. « C’est à cela que ressemble une relation saine. »
La montée patriotique semble en partie générationnelle. Un récent sondage de l’Institut Angus Reid montre que les Canadiens de moins de 30 ans expriment plus d’aisance avec les symboles nationaux que leurs prédécesseurs immédiats, bien que leur conception du patriotisme diffère considérablement des générations plus âgées.
« Les jeunes Canadiens redéfinissent le patriotisme pour le rendre plus inclusif et tourné vers l’avenir, » explique la sondeure Deanna Wong. « Ils s’intéressent moins aux réalisations historiques et davantage aux valeurs et au potentiel. »
Cette redéfinition était visible lors du concert pré-fête du Canada le mois dernier à Halifax, où les artistes allaient des violoneux traditionnels aux artistes hip-hop autochtones et aux troupes de danse de nouveaux arrivants. La foule, remarquablement diverse en âge et en origine, semblait passer sans effort d’une tradition à l’autre.
Le moment actuel reflète également des réalités économiques. Les coûts des voyages internationaux restant élevés, de nombreux Canadiens redécouvrent le tourisme intérieur. Parcs Canada signale que les réservations de terrains de camping atteignent 92% de capacité pour le week-end férié – leur niveau le plus élevé jamais enregistré pour cette période.
Alors que les préparatifs des feux d’artifice se poursuivent sur la Colline du Parlement, le débat sur ce à quoi ressemble un patriotisme sain en 2025 reste non résolu. Mais ici, parmi les familles qui étendent leurs couvertures sur la pelouse, regardant les enfants courir après les bulles soufflées par les artistes de rue, la simple joie du rassemblement communautaire semble être une raison suffisante pour célébrer.
Quand je demande à Zara, huit ans, ce que signifie pour elle la fête du Canada, elle fait à peine une pause dans sa séance de maquillage à la feuille d’érable. « C’est quand on sort tous ensemble, » dit-elle, « et qu’on se rappelle qu’on est tous voisins. »
C’est peut-être une célébration suffisante.
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