La lumière matinale traverse ma fenêtre d’hôtel à Fort McMurray en traînées orangées. Ce n’est pas le lever du soleil—c’est la fumée. Trois ans après ma dernière visite au cœur pétrolier de l’Alberta, je retrouve une région une fois de plus assiégée par des feux de forêt devenus tristement familiers pour les résidents.
« On garde maintenant nos sacs d’évacuation près de la porte, même pendant les bonnes années, » me confie Sonya Lefebvre, opératrice de procédés chez Suncor qui a évacué lors des incendies catastrophiques de 2016 et encore la semaine dernière. « C’est simplement devenu une partie de notre vie ici. »
Ce qui se passe dans le nord de l’Alberta ne reste pas confiné à cette région. Au moment où j’écris ces lignes, les impacts de ces feux se propagent à travers les marchés énergétiques mondiaux, poussant les prix du pétrole à leur plus haut niveau depuis des mois et créant des ondes de choc économiques qui s’étendent bien au-delà des frontières canadiennes.
Plus de 75 feux de forêt brûlent actuellement à travers l’Alberta, dont plus de 30 classés comme hors de contrôle par les autorités provinciales. Ces incendies ont forcé d’importants producteurs pétroliers comme Suncor Energy, Canadian Natural Resources et Imperial Oil à évacuer leurs travailleurs et à fermer des installations qui produisent collectivement plus de 300 000 barils de pétrole par jour.
Le Canada est le quatrième producteur mondial de pétrole et le principal fournisseur étranger des États-Unis. Ces perturbations surviennent à un moment particulièrement délicat pour les marchés énergétiques déjà aux prises avec les tensions au Moyen-Orient et les limites de production de l’OPEP+.
« Le marché était déjà tendu, » explique Warren Patterson, chef de la stratégie des matières premières chez ING. « Quand on perd la production d’un fournisseur fiable comme le Canada, même temporairement, les négociants s’inquiètent. »
Cette nervosité s’est traduite par des prix plus élevés. Les contrats à terme sur le pétrole West Texas Intermediate ont bondi de plus de 4% suite à l’annonce des réductions de production canadiennes, tandis que le Brent, référence internationale, a connu des gains similaires. Pour les consommateurs, cela signifie que les effets de ces feux lointains pourraient bientôt apparaître aux pompes à essence partout en Amérique du Nord.
En me promenant hier dans la Vallée de la Rivière à Fort McMurray, j’ai rencontré James Pomeroy, qui travaille dans les sables bitumineux depuis 14 ans. « L’ironie ne nous échappe pas, » dit-il en désignant l’horizon brumeux. « Nous extrayons la matière qui contribue aux changements climatiques, ce qui aggrave ces incendies, qui perturbent ensuite notre capacité à en extraire davantage. »
Cette boucle de rétroaction représente la réalité complexe à laquelle fait face le secteur énergétique canadien. Les exploitations de sables bitumineux du pays figurent parmi les plus intensives en carbone au monde, mais elles représentent aussi une bouée de sauvetage économique pour de nombreuses communautés et une part importante des revenus d’exportation du Canada.
Le Conseil de défense des ressources naturelles a documenté comment la production des sables bitumineux génère environ 31% plus d’émissions de gaz à effet de serre que le pétrole brut nord-américain moyen. Ces émissions contribuent aux changements climatiques qui ont prolongé les saisons des incendies au Canada et augmenté leur intensité, selon Environnement et Changement climatique Canada.
Pour les communautés autochtones dont les territoires chevauchent à la fois les zones de production pétrolière et les zones touchées par les incendies, la situation présente des couches supplémentaires de complexité. J’ai parlé avec la conseillère Sherri McKenzie de la Première Nation de Fort McKay, située près de plusieurs grandes exploitations de sables bitumineux.
« Notre communauté bénéficie du développement pétrolier grâce aux emplois et aux opportunités d’affaires, » reconnaît McKenzie. « Mais nous sommes aussi en première ligne lorsque des conséquences environnementales surviennent, qu’il s’agisse de la qualité de l’air près des installations ou de ces incendies qui ne cessent de s’aggraver. »
Les feux de forêt ont forcé environ 19 000 Albertains à quitter leur domicile, selon l’Agence de gestion des urgences de l’Alberta. Pour beaucoup, c’est une répétition traumatisante d’évacuations précédentes, particulièrement le dévastateur incendie de Fort McMurray en 2016 qui a détruit plus de 2 400 maisons et causé près de 9 milliards de dollars de dommages.
Les climatologues ont été clairs sur le lien entre la hausse des températures mondiales et l’augmentation des risques d’incendie. Une étude publiée dans la revue Science Advances a révélé que le changement climatique a rendu les conditions météorologiques propices aux incendies dans l’Ouest canadien de 1,5 à 6 fois plus probables qu’elles ne l’auraient été sans le réchauffement d’origine humaine.
Dr. Flannigan, spécialiste des feux de forêt à l’Université Thompson Rivers, l’exprime simplement: « Ce que nous voyons n’est pas normal, mais c’est en train de devenir notre nouvelle réalité. La superficie brûlée au Canada a doublé depuis les années 1970, et le changement climatique en est le facteur déterminant. »
Les implications économiques vont au-delà des prix immédiats du pétrole. Les coûts d’assurance dans les régions sujettes aux incendies ont grimpé en flèche, certains propriétaires dans les zones à haut risque peinant à trouver une couverture. Le Bureau d’assurance du Canada rapporte que les pertes catastrophiques assurées annuelles ont quadruplé depuis 2008, les feux de forêt représentant un pourcentage croissant des réclamations.
Après avoir parlé avec des travailleurs, des résidents et des responsables à Fort McMurray, j’ai conduit vers le sud en direction d’Edmonton hier, observant le trafic d’évacuation qui se dirigeait dans la direction opposée. Les véhicules transportaient des familles et leurs biens les plus précieux, beaucoup avec l’efficacité lasse de personnes qui ont déjà vécu cette situation.
Près de la ville d’Anzac, je me suis arrêté à une station d’assistance routière où des bénévoles distribuaient de l’eau et des collations aux évacués. Tracy Woodward, qui aidait à distribuer des provisions, a partagé sa perspective en tant que travailleuse pétrolière et résidente de longue date.
« Les gens hors de l’Alberta nous regardent et ne voient que du pétrole, » a-t-elle déclaré. « Ils ne voient pas les communautés qui essaient de gagner leur vie tout en faisant face à ces saisons d’incendies de plus en plus dangereuses. Nous ne sommes pas séparés de la nature ici—on nous le rappelle chaque été maintenant. »
Alors que les marchés mondiaux réagissent aux perturbations de la production, les habitants du nord de l’Alberta font une fois de plus preuve de résilience face à une menace que la science climatique suggère ne fera que s’intensifier. La question qui se pose maintenant au secteur énergétique canadien, aux décideurs politiques et aux communautés est de savoir si ce cycle d’extraction, d’émissions, de changement climatique et de catastrophe peut être brisé.
Pour les marchés pétroliers, les analystes s’attendent à ce que les impacts sur les prix soient significatifs mais temporaires, en supposant que la production puisse reprendre dans les semaines plutôt que les mois à venir. Pour les communautés vivant une saison d’évacuation de plus, les coûts—émotionnels, physiques et financiers—sont plus difficiles à calculer.
Alors que la nuit tombe sur Edmonton, où je me suis relocalisé pour envoyer ce reportage, les informations locales montrent des images satellite de la progression des incendies. La lueur orangée que j’ai vue ce matin depuis ma fenêtre d’hôtel est maintenant visible depuis l’espace—un rappel brutal que ce qui se passe dans les forêts nordiques du Canada ne reste pas confiné à ces lieux. Cette réalité s’élève dans notre atmosphère commune, circule à travers notre économie mondiale, et finit par revenir aux communautés prises entre deux feux.