La silhouette familière qui pataugeait dans la neige avec lettres et colis pourrait bientôt devenir un simple souvenir pour des millions de Canadiens. Après des années de difficultés financières et de changements dans les habitudes des consommateurs, Postes Canada semble prête à accélérer l’élimination de la livraison du courrier à domicile partout au pays.
Lors d’une audience tendue du comité parlementaire la semaine dernière, le PDG de Postes Canada, Doug Ettinger, n’a pas mâché ses mots concernant la situation financière de la société d’État. « Nous sommes effectivement en faillite, » a déclaré Ettinger aux députés, soulignant une perte d’exploitation de 463 millions de dollars au dernier trimestre. Cette déclaration brutale signale probablement la fin de la livraison à domicile pour les 4,2 millions d’adresses canadiennes qui en bénéficient encore.
L’annonce a provoqué des remous dans les communautés de Victoria à St-John’s, ravivant un débat controversé qui avait éclaté sous le gouvernement Harper en 2013, lorsque Postes Canada avait commencé à faire passer cinq millions de foyers aux boîtes postales communautaires.
« Il ne s’agit pas seulement de la livraison du courrier, mais du type de services publics auxquels les Canadiens estiment avoir droit, » explique Dr. Pamela Adams, professeure de politique publique à l’Université Carleton. « La tension entre les attentes de service et les réalités fiscales se joue sur le pas des portes à travers le pays. »
Pour les résidents du quartier Westfort à Thunder Bay, la nouvelle est particulièrement difficile. L’activiste communautaire local Frank Perrault affirme que de nombreuses personnes âgées organisaient leurs routines quotidiennes autour des visites du facteur. « Ce n’est pas seulement le courrier qui leur manquera, c’est Marion qui le livre depuis 22 ans. Elle vérifie comment vont les aînés, remarque quand quelque chose semble anormal. »
Les problèmes financiers de la société proviennent de multiples sources. Selon les rapports annuels de Postes Canada, les volumes de courrier physique ont chuté de plus de 55% depuis 2006. Parallèlement, bien que la livraison de colis ait considérablement augmenté, la concurrence des services de messagerie privés a réduit les profits potentiels. Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes estime que la livraison à domicile coûte environ 290 $ par adresse annuellement, contre 175 $ pour le service de boîtes postales communautaires.
La réaction du public a été divisée selon les lignes prévisibles. Les critiques conservateurs soulignent l’économie insoutenable, tandis que les défenseurs du service universel mettent l’accent sur le coût humain, particulièrement pour les Canadiens âgés et handicapés.
Darlene Robinson de l’Association canadienne des personnes retraitées a exprimé une préoccupation particulière : « Plusieurs de nos membres ont des problèmes de mobilité qui rendent difficile l’accès aux boîtes postales communautaires, surtout pendant les mois d’hiver. Ce changement les isole davantage. »
À Regina, le conseiller municipal Terry McDonald s’inquiète des implications pratiques. « Nous avons déjà constaté les défis posés par les boîtes postales communautaires après la première vague de compressions – problèmes de déneigement, d’accessibilité et même de vandalisme. La charge de la gestion de ces espaces retombe souvent sur les municipalités. »
Le gouvernement libéral avait interrompu le programme de conversion aux boîtes postales communautaires après son entrée en fonction en 2015, promettant de revoir la décision. Maintenant, avec Postes Canada confrontée à ce qu’Ettinger décrit comme « des déficits structurels qui ne peuvent être ignorés », cette pause semble prendre fin.
Lorsqu’on l’a interrogé sur les alternatives potentielles, Ettinger a présenté plusieurs options à l’étude. Celles-ci comprennent la réduction de la fréquence de livraison à trois jours par semaine, la consolidation accrue des installations de traitement et potentiellement l’augmentation des tarifs postaux – bien qu’il ait reconnu les limites des hausses de prix compte tenu de la concurrence des alternatives numériques.
« Nous sommes pris dans une position difficile, » a admis Ettinger. « Les Canadiens s’attendent à la fois à un service universel et à une viabilité financière, mais les chiffres ne fonctionnent tout simplement plus. »
Les changements proposés aligneraient le Canada sur des pays comme le Royaume-Uni, où Royal Mail a également réduit ses services en réponse aux pressions financières. Australia Post est déjà passée à un modèle de livraison un jour sur deux pour le courrier ordinaire tout en maintenant un service quotidien pour les colis et les articles prioritaires.
Le directeur parlementaire du budget, Yves Giroux, a récemment analysé les perspectives financières de Postes Canada, concluant que sans changements opérationnels significatifs, la société fait face à un déficit cumulatif dépassant 10 milliards de dollars d’ici 2030. Son rapport suggère que l’élimination seule de la livraison à domicile permettrait d’économiser environ 400 à 450 millions de dollars par an une fois pleinement mise en œuvre.
Pour les travailleurs des postes, l’annonce représente plus que des calculs financiers. « Il ne s’agit pas seulement d’emplois, bien que ce soit certainement une préoccupation, » dit Linda McPherson, factrice à Halifax avec 28 ans de service. « Il s’agit du type de pays que nous voulons être. Valorisons-nous la connexion et le service à chaque Canadien, ou tout n’est-il plus qu’une question d’argent maintenant? »
Le calendrier de transition reste quelque peu flou. Ettinger a indiqué que la société adopterait une « approche progressive, communauté par communauté » au cours des trois prochaines années, en donnant la priorité aux centres urbains où les points de service alternatifs sont plus accessibles.
Pendant ce temps, dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce à Montréal, les résidents s’organisent déjà. Le leader communautaire Jean Tremblay a lancé une pétition et prévoit de faire pression sur les députés locaux pour lutter contre ces changements. « Nous avons déjà vaincu ce projet une fois, et nous pouvons le refaire. Le service postal fait partie de notre tissu national. »
Alors que l’hiver s’installe à travers le pays, la vision familière des facteurs luttant contre la neige et la glace pour atteindre les portes d’entrée continue – du moins pour l’instant. Mais comme les lettres qu’ils transportent, leurs jours semblent de plus en plus comptés à l’ère numérique où les réalités financières forcent des choix difficiles sur les services publics que nous pouvons collectivement nous permettre.