Les signes avant-coureurs étaient là depuis le début. Alors que les responsables canadiens insistent depuis des mois sur le bon fonctionnement de l’accord commercial ACEUM, l’équipe de campagne de Donald Trump planifie son démantèlement depuis avant même qu’il n’obtienne l’investiture républicaine.
Debout devant une usine automobile au Michigan la semaine dernière, Trump a promis d’imposer des tarifs douaniers généralisés sur les importations canadiennes s’il était réélu. « Nous les ferons payer jusqu’à ce qu’ils négocient équitablement, » a-t-il déclaré sous les acclamations des travailleurs qui blâment le libre-échange pour leurs difficultés économiques.
Le premier ministre de l’Ontario, Doug Ford, a rompu les rangs avec ses homologues fédéraux hier, reconnaissant la gravité des potentielles renégociations de l’ACEUM. « Nous devons nous préparer à des turbulences économiques, » a déclaré Ford lors d’une conférence de presse à Toronto. « Quand Trump parle de tarifs douaniers, l’histoire montre qu’il ne plaisante pas. »
L’Accord Canada-États-Unis-Mexique, qui a remplacé l’ALENA en 2020, fait l’objet d’une révision automatique en 2026. Mais l’équipe de Trump suggère qu’ils n’attendront pas jusque-là s’il gagne en novembre. L’ancien représentant américain au Commerce, Robert Lighthizer, qui devrait revenir dans le cabinet de Trump, a déjà esquissé une approche agressive pour obtenir davantage de concessions du Canada.
L’enjeu représente environ 1,3 billion de dollars d’échanges trilatéraux annuels et des millions d’emplois à travers l’Amérique du Nord. La Banque du Canada estime qu’une perturbation de l’accord pourrait réduire jusqu’à 2 % du PIB canadien en 18 mois—un impact de niveau récession.
« Nous faisons face potentiellement au défi économique le plus important depuis la pandémie, » a déclaré Goldy Hyder, président du Conseil canadien des affaires. « Les entreprises planifient déjà des scénarios pour les perturbations de la chaîne d’approvisionnement qui suivraient le retour de Trump. »
Les industries canadiennes les plus vulnérables comprennent la fabrication automobile, l’agriculture et l’énergie. La campagne de Trump a spécifiquement ciblé le système de gestion des produits laitiers du Canada et les exportations de bois d’œuvre résineux, tout en exigeant un accès américain accru aux marchés canadiens sans avantages réciproques.
Le Mexique fait face à des pressions similaires, Trump menaçant d’imposer des tarifs de 25 % à moins que les responsables mexicains n’enrayent la migration à travers la frontière sud des États-Unis. « Il utilise le commerce comme une arme pour sa politique d’immigration, » a noté Martha Bárcena, ancienne ambassadrice du Mexique aux États-Unis.
Ce qui rend ce moment particulièrement préoccupant est l’absence de préparation canadienne coordonnée. Alors que Ford a sonné l’alarme, la vice-première ministre Chrystia Freeland a maintenu un ton différent lors de son apparition devant le comité du commerce de la Chambre. « L’ACEUM fonctionne bien pour les trois pays, » a-t-elle insisté le mois dernier.
Cette déconnexion inquiète les experts du commerce comme Lawrence Herman de Herman & Associates, qui a servi de conseiller lors des négociations originales de l’ALENA. « Nous assistons à une dangereuse complaisance au niveau fédéral, » m’a dit Herman lors d’une entrevue à son bureau de Toronto. « Le moment de bâtir des alliances transfrontalières avec les importateurs américains dépendants des produits canadiens, c’est maintenant, pas après le jour des élections. »
Des documents internes obtenus grâce à des demandes d’accès à l’information révèlent que les évaluations des services de renseignement canadiens prédisent que Trump ciblerait les relations commerciales indépendamment des données économiques réelles. « La perception compte plus que la réalité dans ce scénario, » indique une note d’information caviardée.
Pour des communautés comme Windsor, en Ontario, où un emploi sur quatre est lié au commerce transfrontalier, les enjeux ne pourraient être plus élevés. Dans un atelier d’outillage près du pont Ambassador, la propriétaire Maria Gonzalez m’a montré des bons de commande de fournisseurs automobiles du Michigan. « Tout ce que nous fabriquons traverse ce pont, » a-t-elle dit, en pointant vers la ligne d’horizon de Detroit. « Si les tarifs arrivent, la moitié de ces commandes disparaissent du jour au lendemain. »
La situation crée un dilemme diplomatique pour le premier ministre Justin Trudeau, qui a enduré des négociations difficiles avec Trump durant la première administration. Selon des responsables d’Affaires mondiales Canada s’exprimant sous couvert d’anonymat, la stratégie semble être d’éviter la confrontation publique tout en préparant discrètement des plans d’urgence.
Ces plans incluent probablement l’identification de cibles potentielles pour des tarifs de représailles qui affecteraient les États votant républicain sans nuire aux chaînes d’approvisionnement canadiennes—un équilibre presque impossible à atteindre étant donné l’intégration des processus de fabrication.
La Maison-Blanche sous le président Biden a tenté de rassurer en privé les responsables canadiens sur la valeur des cadres commerciaux existants, selon des sources familières avec les communications diplomatiques. Cependant, l’influence de Biden sur la politique commerciale diminue chaque jour à l’approche des élections.
Les entreprises canadiennes n’attendent pas les directives gouvernementales. Une enquête d’Exportation et développement Canada a révélé que 63 % des exportateurs diversifient leurs marchés hors des États-Unis, un pivot difficile compte tenu de la géographie et des modèles commerciaux historiques.
« Nous avons passé des générations à construire des chaînes d’approvisionnement continentales intégrées, » a expliqué Dennis Darby, président de Manufacturiers et Exportateurs du Canada. « Les démanteler cause des dommages des deux côtés de la frontière, mais particulièrement pour les petits producteurs canadiens qui manquent d’alternatives. »
La réalité est que le Canada fait face à un pouvoir de négociation asymétrique. Alors que 75 % des exportations canadiennes vont aux États-Unis, seulement 18 % des exportations américaines viennent vers le nord. Ce déséquilibre accorde à Trump un levier considérable s’il choisit de l’exploiter.
Comme l’a noté le premier ministre Ford dans son évaluation inhabituellement franche, « Nous devons être réalistes quant à notre position et nous préparer en conséquence. » Reste à voir si les responsables fédéraux suivront son exemple en reconnaissant la menace.