Les champs balayés par le vent du sud-ouest de l’Ontario peuvent sembler à des années-lumière des halls en marbre du siège des Nations Unies, mais hier, ils sont devenus l’épicentre d’un mouvement alimentaire mondial. J’étais parmi les agriculteurs, les leaders autochtones et les représentants provinciaux alors que l’ONU lançait son tout premier chapitre nord-américain du Forum mondial de l’alimentation à l’Université de Guelph.
« Ce n’est pas qu’un autre lieu de discussion, » a fait remarquer le Chef Stacey Laforme de la Première Nation des Mississaugas de Credit lors de la cérémonie d’ouverture. « Cela représente un changement fondamental dans notre façon de concevoir la sécurité alimentaire au Canada – un changement qui amène enfin les connaissances autochtones à la table aux côtés de la science agricole. »
L’importance du choix de l’Ontario pour cette première continentale ne peut être surestimée. La province produit plus de 13,8 milliards de dollars en produits agricoles annuellement et abrite la plus grande institution de recherche agricole du Canada à l’Université de Guelph. Mais au-delà des chiffres se cache une histoire plus profonde sur l’évolution des priorités dans notre approche des systèmes alimentaires.
La ministre de l’Agriculture de l’Ontario, Lisa Thompson, s’adressant à une foule d’environ 300 participants, a souligné l’engagement du gouvernement provincial. « Nous investissons 25 millions de dollars au cours des cinq prochaines années pour soutenir les initiatives du Forum, en mettant particulièrement l’accent sur les pratiques agricoles résilientes au climat et l’innovation dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire, » a déclaré Thompson. Ce financement représente un rare moment de continuité politique malgré le climat politiquement divisé qui a caractérisé bon nombre des récentes sessions de Queen’s Park.
Ce qui m’a le plus frappé, c’est l’accent délibéré mis sur l’engagement des jeunes. Près d’un tiers des participants avaient moins de 30 ans, y compris des chercheurs étudiants de cinq universités provinciales et des représentants des clubs 4-H de tout l’Ontario. Ce n’était pas accidentel – le Forum mondial de l’alimentation de l’ONU cible explicitement les jeunes générations comme principales parties prenantes des systèmes alimentaires futurs.
« Les jeunes ne sont pas seulement les agriculteurs ou les consommateurs de demain – ils sont les innovateurs d’aujourd’hui, » a expliqué Dr. Malcolm Campbell, vice-président de la recherche à l’Université de Guelph. « L’âge moyen des agriculteurs canadiens est maintenant de 55 ans. Sans intégrer les jeunes dans les conversations sur l’agriculture et la politique alimentaire maintenant, nous nous préparons à une crise démographique en plus de nos défis climatiques. »
Le forum arrive à un moment critique. Les données récentes de Statistique Canada montrent que l’insécurité alimentaire a touché près de 16% des ménages ontariens en 2023, tandis que simultanément, le secteur agricole de la province fait face à des pressions sans précédent dues au changement climatique. Les conditions de sécheresse de l’été dernier dans le sud-ouest de l’Ontario ont entraîné des pertes de rendement dépassant 40% pour certains producteurs de maïs et de soja, selon les rapports de la Fédération de l’agriculture de l’Ontario.
Ces deux défis – nourrir une population croissante tout en s’adaptant à l’instabilité climatique – ont constitué l’épine dorsale des discussions tout au long de la journée. Mais contrairement aux conversations politiques typiques qui restent fermement théoriques, ce forum a mis l’accent sur les applications pratiques.
Dans un coin du vaste complexe de sciences agricoles, des gardiens du savoir autochtone ont démontré des techniques traditionnelles de conservation des aliments aux côtés de scientifiques alimentaires présentant des technologies de pointe en matière de conservation. Le symbolisme n’était pas subtil – tradition et innovation partageant une place égale pour relever les défis de la sécurité alimentaire.
« Nous n’avons pas besoin de choisir entre la sagesse ancestrale et les avancées scientifiques, » a noté l’Aînée Josephine Mandamin de la Première Nation Wiikwemkoong sur l’île Manitoulin. « Les systèmes alimentaires les plus résilients puiseront dans les deux. »
L’établissement du forum en Ontario signale également une dynamique politique changeante autour des questions de sécurité alimentaire. Autrefois considérées principalement comme des préoccupations de développement pour le Sud global, la résilience des systèmes alimentaires est devenue de plus en plus centrale dans la politique intérieure à travers le Canada.
La ministre fédérale de l’Agriculture, participant virtuellement, a promis son soutien à l’initiative provinciale tout en faisant allusion à de futures stratégies nationales qui s’aligneraient sur les priorités du forum. « La sécurité alimentaire est une sécurité nationale, » a déclaré la ministre, faisant écho à un langage plus couramment entendu dans les discussions sur la défense ou la cybersécurité.
L’aspect peut-être le plus encourageant était la nature non partisane de l’événement. Des représentants de tous les principaux partis provinciaux étaient présents, suggérant que malgré la polarisation qui caractérise une grande partie de notre paysage politique actuel, la sécurité alimentaire pourrait offrir un rare terrain d’entente.
« Personne ne veut des citoyens affamés, des fermes en échec ou des chaînes d’approvisionnement vulnérables, » m’a confié le député conservateur Randy Pettapiece pendant une pause-café. « Les désaccords portent sur les méthodes, pas sur les objectifs. »
Ces désaccords n’étaient cependant pas totalement absents. Lors d’un panel sur l’innovation agricole, des tensions sont apparues entre les défenseurs de solutions technologiques à plus grande échelle et ceux favorisant des approches communautaires. Un échange animé entre un dirigeant d’une grande entreprise de technologie agricole et un représentant du Syndicat national des agriculteurs a mis en évidence les visions concurrentes pour l’avenir de l’agriculture.
« Nous ne pouvons pas innover pour sortir des inégalités structurelles dans le système alimentaire, » a soutenu Ayla Fenton, coordinatrice régionale de l’Ontario pour le Syndicat national des agriculteurs. « La technologie sans justice ne fait qu’ancrer les problèmes existants. »
À la fin de l’événement de lancement d’une journée, les organisateurs ont annoncé que le chapitre ontarien tiendrait des réunions régionales trimestrielles dans toute la province, avec un accent particulier sur les communautés connaissant des taux élevés d’insécurité alimentaire. La prochaine grande réunion aura lieu à Thunder Bay en novembre, déplaçant délibérément l’attention vers les défis uniques du système alimentaire du Nord de l’Ontario.
En quittant le vaste campus agricole à la tombée de la nuit, j’ai été frappé par la façon dont le forum a réussi à se sentir simultanément hyperlocal et mondialement connecté. La nourriture, après tout, est à la fois notre préoccupation quotidienne la plus intime et notre besoin humain le plus universel. S’il y a une question qui pourrait transcender notre discours politique de plus en plus fracturé, c’est peut-être celle-ci.
Reste à voir si cette initiative deviendra une force transformatrice ou simplement un autre effort bien intentionné mais finalement limité. Mais dans un paysage politique souvent défini par une vision à court terme, l’accent mis par le Forum mondial de l’alimentation sur la responsabilité intergénérationnelle et les horizons de planification à long terme offre un contrepoint rafraîchissant.
Pour un jour au moins, au cœur de la ceinture agricole de l’Ontario, l’avenir de l’alimentation semblait un peu plus prometteur.