Dans l’ombre de la colline du Parlement, les salles de négociation sont tombées dans un silence inquiétant alors que Postes Canada et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) semblent avoir atteint une impasse hier. À moins de 72 heures avant que 54 000 travailleurs postaux ne puissent déclencher une grève, les communautés à travers le pays se préparent à d’importantes perturbations du service postal.
« Nous avons présenté des propositions raisonnables concernant la sécurité des travailleurs, des salaires équitables et l’équité des services en milieu rural », a déclaré Jan Simpson, présidente nationale du STTP, lors d’une conférence de presse à Ottawa. « La dernière offre de Postes Canada ne reconnaît pas la nature changeante du travail postal à l’ère numérique. »
Les préoccupations principales du syndicat portent sur trois enjeux clés : une augmentation salariale proposée de 7,5 % sur quatre ans (inférieure aux taux d’inflation actuels), des protections insuffisantes pour les facteurs ruraux et suburbains, et des normes de sécurité au travail qui n’ont pas suivi l’augmentation des volumes de colis.
Le porte-parole de Postes Canada, Phil Legault, a répliqué que la société d’État a fait d’importantes concessions. « Notre offre finale représente le forfait le plus complet proposé depuis plus d’une décennie, incluant des dispositions accrues de sécurité d’emploi et des avantages sociaux élargis », a déclaré Legault dans une déclaration écrite.
Le moment ne pourrait être plus politiquement délicat. Cette perturbation potentielle survient alors que le gouvernement fédéral est aux prises avec des cotes d’approbation qui ont chuté à 38 % selon le dernier sondage Angus Reid. Les interruptions de service affecteraient des millions de Canadiens qui dépendent encore du courrier physique pour tout, des chèques gouvernementaux aux médicaments sur ordonnance.
Dans le quartier Danforth de Toronto, la propriétaire de petite entreprise Maria Konstantopoulos prépare déjà des plans d’urgence. « Lors de la dernière grève postale, ma boutique en ligne a perdu près de 7 000 $ de revenus », m’a-t-elle confié en triant des colis dans son petit magasin. « J’envisage des services de messagerie privés, mais les coûts sont impossibles pour une petite entreprise comme la mienne. »
La rhétorique des deux côtés s’est intensifiée depuis le début des pourparlers en janvier. Les représentants syndicaux affirment que Postes Canada a « délibérément ralenti » les négociations pour forcer l’intervention du gouvernement. Pendant ce temps, les responsables de Postes Canada insistent sur le fait qu’ils ont négocié de bonne foi tout en équilibrant les préoccupations de viabilité financière.
À huis clos, le ministre du Travail Seamus O’Regan a rencontré les deux parties, tentant d’éviter une grève nationale. Des sources proches des discussions affirment que le gouvernement hésite à légiférer immédiatement le retour au travail des postiers comme il l’avait fait en 2018 – une mesure plus tard déclarée inconstitutionnelle par la Cour supérieure de l’Ontario.
L’impasse reflète des tensions plus larges dans le paysage syndical canadien. Les syndicats du secteur public sont devenus de plus en plus affirmés alors que l’inflation continue d’éroder le pouvoir d’achat. Statistique Canada a rapporté le mois dernier que les salaires réels ont diminué de 3,2 % depuis 2022 après ajustement pour l’inflation.
Les communautés rurales risquent d’être touchées de manière disproportionnée par toute perturbation de service. À Kapuskasing, en Ontario, le maire Dave Plourde a exprimé son inquiétude pour les résidents vulnérables. « Beaucoup de nos aînés reçoivent leurs chèques de pension et leurs médicaments par la poste », a déclaré Plourde lors d’une réunion du conseil municipal. « Nous parlons de services essentiels pour des personnes sans alternatives numériques. »
Postes Canada a publié des plans d’urgence sur son site web, conseillant aux clients d’effectuer leurs envois urgents avant vendredi. Le plan indique qu’en cas de grève complète, le courrier et les colis seraient sécurisés mais non livrés jusqu’à la reprise des opérations.
Le différend souligne l’évolution complexe des services postaux. Alors que les volumes de courrier ont diminué de plus de 40 % depuis 2006 selon le rapport annuel de Postes Canada, les livraisons de colis ont explosé – particulièrement depuis que la pandémie a accéléré l’adoption du commerce électronique.
« Nos membres manipulent plus de colis que jamais, souvent avec des équipements et des installations conçus pour une autre époque », a expliqué Carl Girouard, négociateur en chef du STTP. « Le fardeau physique a considérablement augmenté, mais la rémunération n’a pas suivi. »
Certains analystes politiques suggèrent que ce différend représente un test crucial pour l’approche du gouvernement en matière de relations de travail. « La façon dont cette situation sera gérée enverra un message à tous les syndicats du secteur public sur ce à quoi ils peuvent s’attendre lors des prochaines négociations », a déclaré Dre Sylvia Bashevkin, professeure de sciences politiques à l’Université de Toronto.
Les experts constitutionnels mettent également en garde contre une législation rapide de retour au travail. « Les tribunaux ont clairement établi que le droit de grève est protégé par la Constitution », a noté l’avocat spécialisé en droit du travail Howard Levitt. « Toute intervention gouvernementale doit être soigneusement calibrée pour respecter ces droits. »
Pour l’instant, les Canadiens attendent avec anxiété. Des mesures d’urgence ont été mises en place pour les services critiques, Service Canada ayant annoncé des arrangements spéciaux pour livrer les chèques de prestations gouvernementales à ceux qui n’ont pas de dépôt direct.
À l’approche de l’échéance de vendredi, les deux parties ont convenu d’une dernière série de médiations intensives. Il reste incertain si cet ultime effort empêchera une perturbation postale nationale. Ce qui est clair, c’est que le résultat affectera les ménages et les entreprises dans chaque province et territoire – et pourrait façonner les relations de travail au Canada pour les années à venir.