Le pavillon de guérison se dresse au bord d’un lac du nord de l’Alberta, ses poutres en bois patinées par d’innombrables saisons. À l’intérieur, l’odeur de sauge et de foin d’odeur remplit l’air tandis que l’Aînée crie Margaret Whitecalf guide un cercle de guérison pour les survivants de traumatismes intergénérationnels. Cette scène représente un mouvement grandissant à travers le Canada – l’intégration des pratiques culturelles autochtones dans le traitement de la santé mentale.
« Quand on parle de guérison des traumatismes complexes, il faut comprendre que pour de nombreuses communautés autochtones, la culture n’est pas un supplément au traitement – elle est le traitement », explique la Dre Leigh Sheldon, psychologue d’origine métisse qui partage sa pratique entre la population autochtone urbaine d’Edmonton et les communautés éloignées du nord de l’Alberta.
Ma conversation avec Sheldon a eu lieu par un frais matin d’automne dans son bureau, où des capteurs de rêves sont accrochés à côté de ses diplômes, une représentation visuelle de son approche professionnelle qui fait le pont entre la psychologie occidentale et les traditions de guérison autochtones.
« Depuis des générations, nos communautés comprennent le traumatisme différemment des modèles occidentaux », dit Sheldon en ajustant ses lunettes. « Quand la colonisation a perturbé nos pratiques culturelles, elle a également perturbé nos systèmes naturels de guérison. Aujourd’hui, nous récupérons ces systèmes. »
Les statistiques dressent un tableau sobre. Selon les données de Santé Canada, les peuples autochtones connaissent des taux de trouble de stress post-traumatique presque deux fois supérieurs à la moyenne nationale. L’Enquête régionale sur la santé des Premières Nations de 2019 a révélé que 74% des répondants ont identifié l’accès aux pratiques de guérison traditionnelles comme important pour leur bien-être.
Ce qui distingue les approches autochtones du rétablissement des traumatismes, c’est leur nature holistique. Plutôt que d’isoler les symptômes psychologiques, la guérison traditionnelle s’adresse à la personne entière – esprit, émotions, mental et corps – tout en reconnaissant la place de la personne au sein de la famille, de la communauté et du monde naturel.
L’Aîné Robert Cardinal de la Nation crie de Saddle Lake, qui collabore avec des professionnels de la santé mentale à la Clinique de bien-être autochtone d’Edmonton, explique la différence: « La médecine occidentale demande ‘qu’est-ce qui ne va pas chez vous?’ Notre façon demande ‘que vous est-il arrivé, et qui sont les personnes qui peuvent vous aider à guérir?' »
Cette distinction s’avère cruciale pour des patients comme Sarah (nom changé pour protéger la vie privée), une femme crie de 34 ans qui luttait contre un TSPT complexe après avoir survécu aux impacts des pensionnats qui ont affecté sa famille pendant trois générations.
« J’ai passé des années en thérapie, prenant des médicaments, mais je me sentais toujours déconnectée », m’a-t-elle confié lors d’un rassemblement communautaire de guérison à Saint-Paul. « Ce n’est que lorsque j’ai participé à une cérémonie traditionnelle de la loge à sudation que quelque chose a changé. J’ai finalement senti que j’appartenais à quelque part, que ma douleur était vue et portée par mes ancêtres. »
La reconnaissance croissante de la culture comme médecine a suscité des programmes innovants dans toute la province. L’Institut Nechi près d’Edmonton offre maintenant une formation accréditée de conseiller qui intègre les connaissances autochtones à la psychologie clinique. Pendant ce temps, les Services de santé de l’Alberta ont récemment élargi leur programme de base sur le bien-être autochtone, qui emploie des aidants culturels aux côtés de professionnels médicaux.
Sherry McKay, directrice du programme de rétablissement des traumatismes de l’Institut, partage que leur approche mélange les protocoles traditionnels avec des pratiques fondées sur des preuves. « Nos participants s’engagent avec des Aînés, participent à des cérémonies et renouent avec la langue tout en recevant un soutien clinique pour des symptômes comme les flashbacks ou l’anxiété. »
Cette intégration n’est pas venue sans défis. Les structures de financement ne reconnaissent souvent pas les pratiques de guérison traditionnelles comme des services de santé légitimes. Le Dr James Makokis, médecin cri bispirituel exerçant dans la Nation crie d’Enoch, souligne les obstacles systémiques.
« Nous luttons encore pour faire reconnaître que payer un Aîné exige le même respect que payer un psychiatre », note Makokis. « Ces gardiens du savoir détiennent des siècles de sagesse sur le bien-être humain, pourtant nos systèmes peinent à valoriser correctement cette expertise. »
Un autre défi réside dans la méthodologie de recherche. Les normes académiques occidentales exigent souvent des types de preuves qui ne s’alignent pas avec les façons autochtones de connaître. Cependant, cela change. Les Instituts de recherche en santé du Canada financent maintenant des recherches participatives communautaires qui honorent les perspectives autochtones sur ce qui constitue une preuve valide.
Une étude novatrice de 2021 publiée dans le Journal canadien de la santé mentale communautaire a démontré des améliorations significatives des mesures de bien-être chez les participants aux programmes de guérison basés sur la culture. Les chercheurs ont constaté qu’une participation régulière aux cérémonies était corrélée à une réduction des symptômes de dépression et à une amélioration des liens sociaux.
« La roue médicinale nous enseigne que l’équilibre est essentiel au bien-être », explique Sheldon, esquissant les quatre quadrants représentant les dimensions spirituelle, émotionnelle, physique et mentale. « Le traumatisme complexe perturbe cet équilibre. Les pratiques culturelles aident à le restaurer. »
Il est important de noter que les approches culturelles du traumatisme ne rejettent pas la thérapie conventionnelle. Au contraire, de nombreux praticiens préconisent ce que l’Aîné Albert Lightning appelle « la vision à deux yeux » – utiliser les forces des traditions de guérison autochtones et occidentales ensemble.
Pour Sheldon, cette intégration représente l’avenir du traitement des traumatismes. Elle se souvient d’avoir travaillé avec un jeune homme qui avait tenté de se suicider plusieurs fois avant de trouver la guérison grâce à une combinaison de cérémonie traditionnelle et de thérapie ciblée.
« Il m’a dit que la cérémonie lui donnait un but et une connexion, tandis que la thérapie lui donnait des outils pour gérer les flashbacks et réguler ses émotions », dit-elle. « Ensemble, ces approches l’ont aidé à se réapproprier son histoire. »
Alors que notre entretien se termine, Sheldon souligne que la guérison culturelle n’est pas seulement bénéfique pour les peuples autochtones. « Ces approches offrent de la sagesse pour tout le monde. Dans une société où la déconnexion alimente une grande partie de notre traumatisme collectif, les pratiques qui restaurent notre sentiment d’appartenance et de sens ont une valeur universelle. »
Le soleil traverse la fenêtre de son bureau tandis qu’elle offre une dernière réflexion: « Le voyage de décolonisation de la santé mentale n’est pas seulement une question de reconnaissance des préjudices. Il s’agit d’honorer la résilience et la sagesse qui ont soutenu les communautés autochtones à travers des défis inimaginables. Cette sagesse a beaucoup à nous apprendre à tous sur la guérison. »
Alors que le Canada poursuit son parcours de réconciliation, l’intégration des pratiques de guérison autochtones dans le traitement des traumatismes représente plus qu’une innovation clinique. Elle incarne une profonde reconnaissance que le chemin à suivre nécessite d’honorer la sagesse ancienne aux côtés de la science contemporaine, créant des espaces de guérison où la culture n’est pas seulement incluse – elle montre la voie.