Le différend commercial croissant entre Bruxelles et Washington a pris un tournant significatif hier alors que les responsables européens se préparaient à riposter contre les droits d’importation prévus par le président Trump avec des tarifs de rétorsion visant 109 milliards de dollars de marchandises américaines. Depuis le siège de la Commission européenne, j’ai observé le Commissaire au Commerce Valdis Dombrovskis exposer ce qui pourrait devenir le conflit commercial transatlantique le plus important depuis 2018.
« Nous espérions la coopération, pas la confrontation, » a déclaré Dombrovskis aux journalistes présents, son ton habituellement mesuré trahissant une pointe de frustration. « Mais nous devons défendre les intérêts européens contre des mesures que nous considérons à la fois nuisibles et contraires aux règles de l’OMC. »
Derrière ce langage diplomatique se profile une tempête économique. Les tarifs douaniers prévus par l’Union européenne toucheraient tout, du bourbon du Kentucky au fromage du Wisconsin, de l’équipement pétrolier texan aux produits technologiques californiens. Contrairement aux différends commerciaux précédents, cette confrontation survient dans un contexte de chaînes d’approvisionnement déjà fragilisées et d’incertitude économique dans les deux régions.
J’ai parlé avec Maria Demertzis, chercheuse principale chez Bruegel, le groupe de réflexion économique basé à Bruxelles, qui m’a expliqué les implications plus larges. « Il ne s’agit pas seulement de tarifs douaniers. C’est la relation fondamentale entre deux puissances économiques qui ont traditionnellement défendu les principes du libre-échange. Les répercussions toucheront les consommateurs, les travailleurs et les industries bien au-delà des secteurs ciblés. »
Le conflit s’est intensifié après que l’administration Trump a annoncé son intention d’imposer de nouveaux tarifs de 25% sur les automobiles et les machines européennes, citant des « préoccupations de sécurité nationale » – la même justification utilisée durant le premier mandat de Trump. Ce qui rend ce nouvel épisode différent, c’est son ampleur et le contexte de fragilité économique mondiale.
En traversant le Quartier européen de Bruxelles hier après-midi, j’ai remarqué que la tension était palpable même parmi les diplomates habituellement habiles à maintenir leur sang-froid. Un haut fonctionnaire de l’UE, s’exprimant sous couvert d’anonymat, a révélé: « Nous préparons ces contre-mesures depuis janvier. Personne ne voulait croire qu’on en arriverait là, mais nous y sommes. »
La stratégie européenne semble soigneusement calibrée pour maximiser la pression politique. Les marchandises américaines ciblées proviennent de façon disproportionnée des États pivots comme la Pennsylvanie, le Michigan et la Géorgie – ce qui n’est pas une coïncidence à l’approche des élections de novembre. Pourtant, les responsables de l’UE insistent sur le fait qu’il ne s’agit pas d’ingérence électorale mais d’un levier stratégique.
« Les tarifs sont conçus pour créer des points de pression, » a expliqué Fredrik Erixon, directeur du Centre européen d’économie politique internationale. « L’Europe a appris des conflits commerciaux précédents que cibler des industries politiquement sensibles est l’approche la plus efficace dans les négociations avec Washington. »
Selon les données de la Chambre de commerce américaine, environ 900 000 emplois américains pourraient être affectés si l’ensemble des tarifs entre en vigueur. Pendant ce temps, le Fonds monétaire international a déjà réduit ses prévisions de croissance mondiale de 0,3 point de pourcentage, citant les tensions commerciales comme facteur clé.
Ce qui rend cette situation particulièrement préoccupante est le contexte plus large de fragmentation économique mondiale. Avec la Chine qui poursuit sa propre sphère d’influence économique et les pays en développement de plus en plus pris entre des blocs commerciaux concurrents, la rupture UE-États-Unis menace d’accélérer ce que l’Organisation mondiale du commerce appelle un « découplage économique dangereux ».
Lors d’une conversation avec des travailleurs de l’industrie automobile allemande à Munich la semaine dernière, j’ai entendu directement parler de l’impact humain. « Nous avons déjà traversé les perturbations liées à la COVID et les pénuries de puces, » a déclaré Klaus Weber, un vétéran de 27 ans chez un grand constructeur automobile allemand. « Maintenant, cette bataille politique menace à nouveau nos moyens de subsistance. Qui gagne dans cette histoire? »
La question des gagnants est en effet difficile à répondre. Selon l’analyse de l’Institut Peterson d’économie internationale, les deux économies risquent de perdre considérablement, avec des impacts potentiels sur le PIB de 0,4% dans l’UE et de 0,3% aux États-Unis si les tarifs restent en place jusqu’en 2026.
La Commission européenne a fixé au 1er septembre la date limite pour mettre en œuvre ses mesures de rétorsion, offrant une étroite fenêtre diplomatique que certains observateurs considèrent comme la dernière chance de désescalade. Hier, j’ai observé des diplomates français, allemands et italiens en consultation urgente dans un café près du siège de la Commission – un signe visible de la coordination qui se déroule à huis clos.
Malgré les préparatifs pour un conflit économique, les canaux de négociation restent ouverts. La Représentante américaine au commerce Katherine Tai doit rencontrer ses homologues européens la semaine prochaine à Bruxelles, bien que les attentes de percée restent faibles. Les discussions précédentes en juin se sont terminées sans progrès.
« Le défi est que les deux parties considèrent cela comme un test de détermination, » a déclaré Antonio Barroso, directeur général chez Teneo, un cabinet de conseil mondial. « Aucun ne veut être perçu comme cédant en premier, surtout avec les considérations politiques intérieures en jeu. »
Alors que je me prépare à me rendre à Washington la semaine prochaine pour couvrir la réponse américaine, les enjeux ne pourraient être plus élevés. Au-delà des conséquences économiques immédiates se pose une question plus profonde sur l’avenir des relations transatlantiques dans un ordre mondial de plus en plus fragmenté. Les semaines à venir révéleront si la raison peut l’emporter ou si les consommateurs et les entreprises des deux côtés de l’Atlantique supporteront le coût d’un bras de fer politique.
Pour les citoyens en Europe et en Amérique, cette danse diplomatique complexe se traduit par une réalité simple : des prix plus élevés, une insécurité potentielle de l’emploi et une incertitude économique. Les véritables victimes des guerres commerciales sont rarement les politiciens qui les initient, mais les gens ordinaires pris dans la ligne de feu.
