Comme me l’a confié hier un négociateur penché sur trois écrans dans le quartier financier de Toronto, « Le diable se cache dans les détails de ces pourparlers commerciaux ». Il n’avait pas tort. Les marchés canadiens affichent un optimisme prudent ce matin suite au signal de Washington indiquant sa volonté de revoir les cadres commerciaux clés avec Ottawa.
Les contrats à terme de l’indice composite S&P/TSX ont progressé de 0,3 % en activité pré-marché, poursuivant les modestes gains d’hier après que la représentante américaine au Commerce, Katherine Tai, ait confirmé son intention d’aborder les irritants de longue date dans la relation commerciale américano-canadienne. Les analystes de Bay Street y voient une possibilité d’apaiser les tensions qui couvent depuis les différends sur les tarifs de l’aluminium et de l’acier initiés sous la précédente administration américaine.
« Nous assistons à un rallye de soulagement, mais les investisseurs devraient modérer leurs attentes », explique Priya Misra, directrice de la recherche économique chez TD Securities. « Les négociations réelles s’étendront probablement jusqu’en 2025, quel que soit le vainqueur de la Maison Blanche ».
Ce dialogue renouvelé touche plusieurs secteurs sensibles pour les marchés canadiens. Les actions forestières comme West Fraser Timber et Canfor Corporation ont connu des mouvements précoces, portées par l’espoir de résoudre le différend persistant sur le bois d’œuvre, qui a coûté aux producteurs canadiens environ 5,6 milliards de dollars en tarifs depuis 2017, selon les données de Ressources naturelles Canada.
Pendant ce temps, le gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, a souligné l’importance de la certitude commerciale pour les perspectives économiques du Canada lors de son dernier rapport de politique monétaire. « Le commerce transfrontalier prévisible a un impact direct sur les décisions d’investissement des entreprises », a noté Macklem, soulignant comment l’incertitude commerciale a précédemment retardé les dépenses en capital dans les secteurs manufacturiers.
Ce qui est particulièrement remarquable, c’est le moment choisi. Ces discussions émergent alors que les deux nations sont aux prises avec des défis d’inflation et un ralentissement de la croissance économique. Statistique Canada a révélé hier que l’inflation sous-jacente est restée collée à 2,7 % en avril, compliquant la voie de la banque centrale vers d’éventuelles réductions de taux plus tard cette année.
Cette attention renouvelée au commerce survient également alors que les États-Unis et le Canada naviguent dans un paysage commercial mondial de plus en plus complexe. Les récentes données économiques de la Chine ont montré que la production industrielle ralentissait à 6,7 % en avril, en dessous des attentes des analystes, affaiblissant potentiellement la demande pour les ressources canadiennes. Cela crée une pression supplémentaire pour sécuriser des canaux commerciaux nord-américains plus prévisibles.
J’ai parlé avec Jennifer Reynolds, présidente du centre Toronto Finance International, qui a souligné un changement notable de sentiment parmi les investisseurs institutionnels. « La perspective d’une normalisation commerciale crée un espace pour une planification à plus long terme dans des secteurs qui ont fait face à des années d’incertitude », a déclaré Reynolds. « Nous constatons un intérêt particulier pour les investissements dans les technologies propres qui traversent la frontière ».
Les actions énergétiques pourraient connaître des mouvements particuliers à mesure que les pourparlers progressent. Le marché énergétique nord-américain intégré fait face à d’importantes pressions de transition, les producteurs de pétrole canadiens naviguant entre les politiques climatiques américaines tandis que les raffineurs américains dépendent des intrants de pétrole lourd canadien. L’indice S&P/TSX de l’énergie a pris du retard par rapport aux gains du marché plus large cette année, en hausse de seulement 2,1 % contre une progression de 5,4 % pour le composite.
« La vraie question est de savoir si ces pourparlers peuvent produire plus qu’une simple bonne volonté temporaire », note Gordon Ritchie, ancien ambassadeur canadien pour les négociations commerciales. Lors de notre conversation, Ritchie a souligné que les tensions commerciales précédentes ont créé des changements durables dans les stratégies de chaîne d’approvisionnement. « De nombreux fabricants canadiens ont déjà diversifié leur clientèle pour réduire leur dépendance aux États-Unis. Ce changement structurel ne s’inversera pas du jour au lendemain ».
Pour les investisseurs qui surveillent le TSX, plusieurs indicateurs méritent attention au fur et à mesure que le dialogue commercial se déroule. Les secteurs dépendants des exportations comme la fabrication, qui représente environ 10 % du PIB du Canada selon Industrie Canada, pourraient montrer une sensibilité accrue aux développements des négociations. Le dollar canadien, actuellement négocié près de 73 cents américains, pourrait se renforcer si les pourparlers progressent de manière constructive.
Ce qui ressort clairement des conversations avec les participants du marché, c’est que, bien que l’activité des contrats à terme d’aujourd’hui reflète l’optimisme, le chemin à parcourir comporte d’importantes variables. La vice-première ministre du Canada, Chrystia Freeland, a maintenu que tout nouvel accord doit respecter la souveraineté canadienne dans des domaines clés comme la fiscalité numérique et les industries culturelles.
« Nous avons déjà vu ce film », m’a confié un gestionnaire de portefeuille chez RBC Global Asset Management, demandant l’anonymat pour parler franchement. « L’enthousiasme initial cède souvent la place à des négociations ardues. Les investisseurs avisés recherchent des résultats concrets plutôt que des annonces ».
Alors que les tasses de café se vident ce matin sur Bay Street, l’ambiance pourrait être décrite comme « prudemment constructive ». Le véritable test viendra lorsque les négociateurs passeront des communiqués de presse aux épineux détails du commerce transfrontalier en cette année électorale pour les deux pays. Pour l’instant, les contrats à terme canadiens suggèrent que le marché est prêt à donner une chance à la diplomatie.