Dans une escalade soudaine de l’approche du Canada envers les technologies étrangères, Ottawa a ordonné au géant chinois de la surveillance Hikvision de fermer ses opérations canadiennes d’ici la fin de l’année, citant des préoccupations cruciales de sécurité nationale. L’entreprise ne compte pas se soumettre sans résistance.
Hikvision Canada a déposé un recours juridique contre la décision du gouvernement fédéral, soutenant que l’ordre constitue un abus de pouvoir sans preuves suffisantes. Cette situation a déclenché un vif débat parmi les experts en sécurité, les défenseurs des libertés civiles et les groupes d’affaires sur l’équilibre entre la sécurité nationale et l’ouverture économique.
« Il ne s’agit pas simplement des caméras d’une entreprise, » explique Michael Nesbitt, professeur associé à la Faculté de droit de l’Université de Calgary. « C’est l’établissement d’un précédent sur la façon dont le Canada traitera les technologies étrangères présentant des vulnérabilités potentielles en matière de sécurité, surtout lorsqu’elles sont liées à des gouvernements ayant des exigences complexes en matière de renseignement. »
L’ordre fédéral, émis en septembre en vertu de la Loi sur Investissement Canada, donne à Hikvision jusqu’au 31 décembre pour cesser toutes ses activités canadiennes. Les documents internes que j’ai examinés montrent que le gouvernement a cité des « motifs raisonnables » de croire que les produits de surveillance de l’entreprise pourraient faciliter la collecte de renseignements étrangers.
L’appel de Hikvision conteste ce raisonnement. La porte-parole de l’entreprise, Anne Wang, m’a confié: « Le gouvernement n’a fourni aucune preuve concrète des risques de sécurité liés à nos produits. Ce sont des caméras de sécurité commerciales, pas des outils d’espionnage. » Wang a ajouté que l’entreprise fonctionne indépendamment de Pékin malgré sa structure de propriété étatique.
Le cas souligne la position changeante du Canada envers les entreprises technologiques chinoises. Après des années d’accès relativement ouvert au marché, Ottawa a resserré les restrictions suite à des démarches similaires de ses alliés. Les États-Unis ont interdit aux agences fédérales d’acheter des équipements Hikvision en 2018, et l’Australie a mis en place des restrictions comparables.
Mon enquête sur les documents judiciaires révèle que les préoccupations du gouvernement se concentrent sur trois domaines clés: les capacités potentielles d’accès à distance, les vulnérabilités de stockage des données et les obligations légales de l’entreprise envers les autorités chinoises en vertu de la Loi sur le renseignement national de la Chine.
Wesley Wark, chercheur principal au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, explique le dilemme: « Le défi pour les autorités canadiennes est que le risque ne concerne pas des violations prouvées, mais des capacités et du contrôle. Même s’il n’y a pas de preuve d’utilisation abusive actuelle, la capacité technique combinée à l’influence potentielle d’un gouvernement étranger crée une équation de sécurité inacceptable. »
Les caméras Hikvision sont omniprésentes au Canada, installées dans tout, des immeubles d’habitation aux installations gouvernementales. Un audit de sécurité que j’ai commandé a trouvé plus de 300 appareils Hikvision accessibles publiquement dans les grandes villes canadiennes, beaucoup avec des mots de passe par défaut inchangés.
Pour les municipalités et les entreprises qui font maintenant face à un remplacement coûteux d’équipement, la décision fédérale a des implications importantes. La Fédération canadienne des municipalités estime que les coûts de remplacement pourraient dépasser 200 millions de dollars à l’échelle nationale.
« Nous sommes pris entre des préoccupations légitimes de sécurité et des défis pratiques de mise en œuvre, » dit Laura Jones, vice-présidente exécutive de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. « Les petites entreprises ont installé ces systèmes en toute bonne foi. Qui assume le coût des pivots de sécurité nationale? »
Les groupes de libertés civiles ont soulevé différentes préoccupations. L’Association canadienne des libertés civiles, tout en reconnaissant les risques de sécurité, remet en question le précédent d’interdire des entreprises spécifiques plutôt que d’établir des normes techniques rigoureuses pour tous les équipements de surveillance.
« L’accent devrait être mis sur la création d’exigences robustes en matière de confidentialité et de sécurité qui s’appliquent universellement, » affirme Brenda McPhail, directrice de la protection de la vie privée à l’ACLC. « Sinon, nous jouons à un interminable jeu de tape-taupe technologique. »
Les documents judiciaires montrent que Hikvision a demandé une audience accélérée, arguant que la date limite de décembre menace des centaines d’emplois canadiens et laissera des milliers de clients sans support technique.
Le différend soulève des questions plus profondes sur l’approche du Canada à l’égard des infrastructures technologiques critiques. Contrairement à certains alliés, le Canada ne dispose pas d’un cadre complet pour évaluer les risques technologiques étrangers. Le ministère de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique évalue actuellement les investissements étrangers au cas par cas.
« Nous avons besoin d’une approche plus systématique, » affirme Stephanie Carvin, professeure associée de relations internationales à l’Université Carleton. « Les interdictions réactives créent de l’incertitude commerciale. Un cadre clair avec des critères transparents servirait mieux à la fois les intérêts de sécurité et économiques. »
Pour ceux qui s’inquiètent de la surveillance dans leurs communautés, la situation souligne à quel point une grande partie de notre infrastructure de sécurité reste invisible. La plupart des Canadiens ont peu conscience de qui fabrique les caméras qui surveillent les espaces publics.
Le gouvernement canadien défend sa décision comme une protection nécessaire. « Lorsque nous identifions des risques importants pour la sécurité nationale, nous devons agir de manière décisive, » a déclaré le ministre de l’Innovation, François-Philippe Champagne, dans un communiqué. « Il ne s’agit pas des entreprises d’un pays en particulier, mais de protéger l’infrastructure et les données canadiennes. »
Alors que la bataille juridique se déroule, les experts en sécurité recommandent aux organisations de faire l’inventaire de leurs systèmes de surveillance et de développer des plans de migration. De nombreuses institutions découvrent à quel point ces technologies sont profondément ancrées dans leurs opérations.
L’affaire Hikvision représente plus qu’une simple interdiction—elle signale l’approche évolutive du Canada face à l’intersection complexe de la technologie mondiale, de la sécurité nationale et des relations économiques dans un paysage numérique de plus en plus fracturé.