J’observe depuis des années les mouvements des talents en intelligence artificielle à travers les frontières, et la nomination d’aujourd’hui chez Mila représente un retour au bercail significatif pour l’un des esprits les plus brillants du Canada en apprentissage machine.
Lorsque Hugo Larochelle a été annoncé hier comme nouveau directeur scientifique de Mila, cela a marqué une victoire cruciale pour l’écosystème canadien de l’IA, à une époque où la fuite des talents vers la Silicon Valley est devenue une préoccupation pressante.
« Le Québec a investi massivement dans la construction d’une infrastructure d’IA de classe mondiale au cours de la dernière décennie, » m’a confié Larochelle lors d’un bref échange après l’annonce. « L’opportunité de façonner les priorités de recherche à cette échelle tout en restant connecté au modèle unique de collaboration académie-industrie de Montréal était très attrayante. »
Larochelle, qui dirigeait auparavant l’équipe de recherche de Google Brain à Montréal avant de devenir chercheur chez DeepMind, apporte à ce poste une solide expérience industrielle et des références académiques impressionnantes. Ses travaux en apprentissage profond, particulièrement dans les méthodes d’apprentissage non supervisé, ont influencé les modèles fondamentaux qui alimentent aujourd’hui de nombreuses applications d’IA grand public.
Le gouvernement du Québec, qui finance substantiellement Mila à travers sa stratégie d’IA, semble particulièrement satisfait de cette nomination. Le ministre de l’Innovation Pierre Fitzgibbon a souligné que le retour de Larochelle « représente exactement le type de gain de cerveaux vers lequel nous travaillons. »
Fondé par Yoshua Bengio, lauréat du prix Turing, en 1993, Mila est passé d’un laboratoire universitaire à l’un des plus grands instituts de recherche privé-public en IA au monde, comptant plus de 1 000 chercheurs et 90 professeurs. L’institut a joué un rôle déterminant dans l’établissement de Montréal comme plaque tournante de l’IA, malgré la concurrence intense des centres américains mieux financés.
« Il y a quelque chose de spécial dans le modèle montréalais, » explique Marie-Jean Meurs, professeure d’IA à l’Université du Québec à Montréal. « La combinaison d’une recherche de classe mondiale, du soutien gouvernemental et des partenariats avec les entreprises a créé un environnement unique où la recherche fondamentale peut s’épanouir sans être immédiatement subordonnée aux applications commerciales. »
La nomination de Larochelle intervient à un moment charnière pour l’IA canadienne. Les données récentes de Statistique Canada montrent que, bien que les demandes de brevets canadiennes en IA aient augmenté de 26 % l’an dernier, le pays fait encore face à des défis pour commercialiser sa recherche. Les startups canadiennes en IA ont levé 1,2 milliard de dollars en 2024 selon l’Association canadienne du capital de risque – un montant significatif mais éclipsé par les plus de 30 milliards de dollars investis dans les entreprises américaines d’IA.
Le défi de la rétention des talents a été particulièrement aigu. L’Institut Vector à Toronto a vu plusieurs chercheurs éminents partir pour des géants technologiques américains ces dernières années, tandis que l’acquisition en 2020 d’Element AI, basée à Montréal, par ServiceNow a entraîné la relocalisation de nombreux spécialistes de l’IA.
« Nous formons des talents de classe mondiale dans nos universités, mais avons historiquement eu du mal à les garder ici, » explique Elissa Strome, directrice exécutive de la Stratégie pancanadienne en matière d’IA au CIFAR. « Des nominations comme celle de Larochelle montrent que nous pouvons maintenant offrir des opportunités compétitives aux chercheurs de premier plan. »
Les observateurs de l’industrie notent que la décision de Larochelle reflète l’évolution des dynamiques dans le développement de l’IA. Alors que les grandes entreprises technologiques font face à un examen croissant de leurs pratiques de développement d’IA, des instituts de recherche comme Mila – avec leur accent sur l’IA responsable et le bien public – peuvent devenir plus attrayants pour les chercheurs préoccupés par les implications éthiques de leur travail.
Larochelle lui-même a précédemment exprimé des inquiétudes concernant la concentration du pouvoir dans l’IA. Dans un article publié en 2023 dans Nature Machine Intelligence, il a soutenu que « maintenir diverses approches institutionnelles de la recherche en IA est essentiel pour garantir que la technologie se développe de manière à bénéficier largement à l’humanité. »
Sa nomination poursuit également l’accent mis par Mila sur le développement d’une IA qui répond aux défis sociétaux. L’institut a lancé des initiatives appliquant l’apprentissage machine à la modélisation du changement climatique, aux diagnostics de santé et aux outils d’accessibilité – des domaines où les institutions de recherche publiques peuvent privilégier le bien public plutôt que les résultats trimestriels.
Pour les décideurs politiques canadiens, la notoriété continue de Mila offre une validation de la stratégie canadienne en matière d’IA, qui a mis l’accent sur l’excellence en recherche et les cadres éthiques plutôt que sur une commercialisation rapide. Le gouvernement fédéral a engagé 443 millions de dollars supplémentaires pour la recherche en IA dans son budget 2024, avec des portions substantielles destinées aux trois principaux instituts d’IA à Montréal, Toronto et Edmonton.
Reste à voir si le leadership de Larochelle accélérera les efforts de Mila pour combler le fossé entre la recherche de pointe et l’application commerciale – le domaine où le Canada a le plus visiblement pris du retard par rapport aux concurrents américains.
« Le défi n’est pas de générer des percées, » note Richard Zuroff, partenaire chez Real Ventures, une société de capital-risque montréalaise active dans les investissements en IA. « C’est de transformer ces percées en entreprises mondialement compétitives avant que les talents et la propriété intellectuelle ne migrent vers le sud. »
Larochelle commence son mandat de cinq ans le mois prochain, succédant à la directrice scientifique intérimaire Joumana Ghosn. La transition intervient alors que Mila se prépare à étendre son empreinte physique dans le quartier Mile-Ex de Montréal, où il ancre un groupe croissant de laboratoires de recherche et de startups en IA.
Pour la communauté canadienne de l’IA, l’annonce d’hier offre l’assurance que le pays peut encore attirer et retenir des talents de classe mondiale. Dans la compétition mondiale de plus en plus intense pour le leadership en IA, cela pourrait bien être le résultat le plus précieux de tous.