Les derniers rapports trimestriels de Statistique Canada racontent une histoire fascinante sur l’évolution du paysage démographique canadien. Bien que nous ayons accueilli 496 000 nouveaux citoyens par l’immigration en 2023, notre croissance démographique masque des courants économiques préoccupants qui méritent une analyse plus approfondie.
Recadrons une réalité évidente : l’immigration n’est pas simplement un choix politique—elle devient de plus en plus le système de survie économique du Canada.
« Le Canada fait face à une tempête démographique parfaite, » explique Dr. Mikal Skuterud, professeur d’économie à l’Université de Waterloo. « Notre population vieillissante combinée à l’un des taux de natalité les plus bas de notre histoire signifie que l’immigration n’est pas optionnelle si nous voulons maintenir nos systèmes sociaux et notre productivité économique. »
Les chiffres dressent un tableau alarmant. Le taux de fécondité du Canada est de 1,4 enfant par femme, bien en dessous du taux de remplacement de 2,1 nécessaire pour maintenir naturellement les niveaux de population. Pendant ce temps, près de 20 % des Canadiens ont maintenant 65 ans ou plus, ce pourcentage augmentant régulièrement chaque année.
Cette pression démographique crée des conséquences économiques immédiates. Le taux de participation au marché du travail—une mesure critique de la capacité économique—diminuerait dangereusement sans l’immigration, exerçant une énorme pression sur les soins de santé, les pensions et autres soutiens sociaux.
Pourtant, la solution de l’immigration apporte ses propres défis complexes.
La crise du logement illustre parfaitement cette tension. Alors que les nouveaux Canadiens contribuent significativement à la croissance économique par la consommation, l’entrepreneuriat et en comblant des lacunes critiques en main-d’œuvre, ils intensifient également la demande pour des logements déjà rares. Cette connexion a alimenté une rhétorique politique enflammée qui simplifie à l’extrême l’équation de l’abordabilité du logement.
« Les contraintes d’offre de logements ne sont pas principalement causées par l’immigration, » note Benjamin Tal, économiste en chef adjoint à la CIBC. « Nous avons chroniquement sous-construit pendant des décennies en raison de zonages restrictifs, de bureaucratie excessive et de limitations d’infrastructure. Les nouveaux Canadiens ressentent la crise du logement comme tout le monde—ils ne l’ont pas créée. »
Cet écart entre le discours politique et la réalité économique crée des angles morts politiques. Les objectifs d’immigration du Canada ont été ajustés à la baisse pour 2024-2026, le gouvernement fédéral visant à réduire progressivement les admissions de résidents permanents. Ce changement survient alors que la pression monte pour remédier aux contraintes d’infrastructure tout en maintenant l’élan économique.
Les données économiques montrent que cet équilibre est de plus en plus précaire. Les récents chiffres de croissance du PIB révèlent une tendance préoccupante : la production économique par habitant a à peine bougé malgré une croissance démographique globale impressionnante. En termes plus simples, nous ajoutons des personnes plus rapidement que nous ne créons de la prospérité.
Plutôt que de croître grâce à des gains de productivité ou à l’innovation, l’économie canadienne s’élargit principalement par l’augmentation du nombre de consommateurs et de travailleurs—une voie moins durable que d’améliorer l’efficacité des ressources existantes.
Le casse-tête de la productivité est crucial car il détermine si le Canada peut se permettre son avenir. Sans améliorations significatives de la productivité, l’assiette fiscale nécessaire pour soutenir une population vieillissante devient de plus en plus tendue, quel que soit le niveau d’immigration.
« Les pays avec des économies plus productives peuvent se permettre de meilleurs soins de santé, éducation et soutiens sociaux avec les mêmes taux d’imposition, » explique Frances Donald, économiste en chef chez Manulife Investment Management. « Le Canada a manqué plusieurs vagues de productivité—de la transformation numérique à l’adoption de l’IA—et maintenant nous rattrapons notre retard tout en essayant d’intégrer des vagues de nouveaux Canadiens. »
Certains leaders d’entreprises voient un potentiel inexploité dans une meilleure intégration des immigrants qualifiés. Une récente étude du Conference Board du Canada a estimé que le sous-emploi des professionnels formés à l’étranger coûte à l’économie canadienne jusqu’à 50 milliards de dollars annuellement. Des ingénieurs conduisant des taxis et des médecins travaillant comme techniciens de laboratoire représentent non seulement une frustration personnelle mais aussi un gaspillage systémique de capital humain.
Tareq Hadhad, fondateur de Peace by Chocolate et ancien réfugié syrien, représente les avantages économiques d’une intégration réussie. Son entreprise de chocolat emploie maintenant des dizaines de personnes en Nouvelle-Écosse et exporte à l’international. « Lorsque les nouveaux arrivants ont de réelles opportunités de contribuer avec leurs compétences, tout le monde en bénéficie, » m’a confié Hadhad. « Mais le système place souvent des barrières inutiles entre le talent et l’opportunité. »
Le débat sur l’immigration soulève finalement des questions fondamentales sur le modèle économique et l’identité du Canada. Construisons-nous une économie à haute productivité, axée sur l’innovation qui peut rivaliser mondialement? Ou créons-nous une stratégie de croissance basée sur la population qui dissimule des faiblesses structurelles plus profondes?
Certains économistes suggèrent que le Canada a besoin des deux approches : une immigration continue couplée à des améliorations dramatiques de productivité. Cela signifierait accueillir des nouveaux arrivants tout en investissant massivement dans l’automatisation, le développement des compétences et l’infrastructure numérique.
D’autres pointent vers des modèles réussis comme l’Australie, qui maintient des taux d’immigration plus élevés tout en mettant en œuvre des politiques plus strictes de développement immobilier et d’investissement dans les infrastructures. Leur approche coordonne la croissance démographique avec le renforcement des capacités plus efficacement que le système plus fragmenté du Canada.
La décennie à venir forcera des choix difficiles. La population du Canada pourrait atteindre 50 millions d’habitants d’ici 2050 grâce à l’immigration, renforçant potentiellement notre position économique mondiale tout en créant des demandes sans précédent sur les systèmes de logement, de santé et de transport.
Les prévisions économiques suggèrent que sans immigration, la population en âge de travailler du Canada diminuerait de près de 10 % au cours des vingt prochaines années, créant des pressions insoutenables sur les finances publiques et la croissance.
Le débat sur l’immigration n’est finalement pas une question de chiffres—c’est une question de capacité. Pouvons-nous construire des systèmes, des infrastructures et des institutions qui intègrent efficacement les nouveaux arrivants et maximisent leurs contributions économiques? La réponse déterminera si la société multiculturelle du Canada devient un avantage concurrentiel durable ou une source de tension sociale croissante.
Comme l’a dit franchement un analyste de Bay Street : « L’immigration n’est ni le problème ni la solution—c’est la façon dont nous la mettons en œuvre qui compte. »
Pour les Canadiens ordinaires qui font face à des coûts croissants et des pressions sociales, le débat doit dépasser les positions simplistes pro ou anti-immigration. Les questions plus significatives concernent la façon dont nous développons nos capacités avant la croissance démographique et garantissons que la prospérité soit largement partagée.
La voie à suivre exige de reconnaître le rôle essentiel de l’immigration dans l’avenir économique du Canada tout en confrontant honnêtement notre échec à construire les systèmes nécessaires pour qu’elle fonctionne harmonieusement pour tous.
Notre prospérité nationale dépend de l’atteinte de ce juste équilibre.