La brume matinale se dissipe lentement au-dessus de la baie Burrard de Vancouver tandis que j’observe Gabriel George, membre de la Nation Tsleil-Waututh, s’avancer dans les eaux peu profondes. Ses mouvements sont délibérés, maîtrisés – une technique de récolte transmise à travers d’innombrables générations. Mais ce qui me frappe le plus, c’est ce qui manque à cette scène.
« Ma grand-mère pouvait remplir un seau de palourdes en quelques minutes sur ces plages, » me dit George, en désignant le rivage. « Aujourd’hui, nous avons de la chance si nous trouvons ne serait-ce qu’une poignée suffisamment sûre pour être consommée.«
Cette dure réalité reflète une transformation profonde de l’écosystème de la baie – directement liée à la colonisation et au développement industriel qui ont fondamentalement altéré les systèmes alimentaires autochtones qui ont nourri ces communautés pendant des millénaires.
Les Tsleil-Waututh, dont le nom signifie « Peuple de la baie », ont vu leurs sources alimentaires traditionnelles diminuer considérablement au fil des générations. Les archives historiques et les preuves archéologiques suggèrent qu’avant le contact européen, la baie Burrard regorgeait de vie marine – palourdes, huîtres, saumon, hareng et d’innombrables autres espèces constituaient l’épine dorsale de l’alimentation et des pratiques culturelles autochtones.
Selon les recherches publiées par le Département des traités, des terres et des ressources de la Nation Tsleil-Waututh, les crustacés représentaient environ 25 % du régime alimentaire traditionnel de leurs ancêtres. Aujourd’hui, les avertissements de consommation et la contamination ont rendu la plupart des fruits de mer locaux impropres à la consommation.
« Il ne s’agit pas seulement de nourriture, » explique Dr. Caroline Martin, historienne environnementale à l’Université Simon Fraser. « Ces pratiques de récolte traditionnelles représentent des systèmes de connaissances complexes, des liens sociaux et une continuité culturelle qui ont été perturbés par les politiques coloniales et la pollution industrielle. »
La transformation a véritablement commencé avec l’établissement de scieries le long de la baie Burrard dans les années 1860, suivi par l’expansion des installations portuaires, des opérations industrielles et du développement urbain. Chaque phase a introduit de nouveaux contaminants tout en modifiant physiquement les rivages essentiels à l’habitat marin.
Les données d’Environnement Canada révèlent que dans les années 1970, certaines parties de la baie contenaient des niveaux préoccupants de métaux lourds, d’hydrocarbures et d’autres contaminants industriels – dont beaucoup persistent dans les sédiments aujourd’hui. Ces polluants se sont bioaccumulés dans les espèces marines qui constituaient autrefois des aliments de base pour les Premières Nations locales.
L’histoire de la transformation de la baie Burrard n’est pas unique au Canada. D’un océan à l’autre, des schémas similaires émergent où l’industrialisation a compromis la souveraineté alimentaire autochtone. Ce qui rend ce cas particulièrement convaincant, c’est la documentation exhaustive des changements environnementaux et de leurs impacts culturels.
J’ai parlé avec Charlene Aleck, aînée Tsleil-Waututh et ancienne conseillère élue, qui a partagé comment ces changements ont eu des répercussions sur la vie communautaire. « Quand j’étais jeune, mon grand-père racontait comment ils pouvaient pêcher directement depuis la rive et nourrir tout le monde. L’eau nous connectait – à notre passé, les uns aux autres, à nos cérémonies. Quand la baie est devenue polluée, nous avons perdu bien plus que de la nourriture.«
La contamination a créé un passage forcé vers les aliments commerciaux, contribuant aux problèmes de santé désormais courants dans de nombreuses communautés autochtones. Les taux de diabète au sein de la Nation Tsleil-Waututh ont considérablement augmenté depuis que les régimes alimentaires traditionnels ont été compromis, parallèlement aux tendances nationales où les communautés autochtones font face à des taux de diabète 3 à 5 fois plus élevés que la moyenne canadienne, selon Santé Canada.
Mais il y a des signes d’espoir au milieu de cette histoire difficile. En 2017, la Nation Tsleil-Waututh a publié son Plan d’action pour la baie Burrard, une initiative scientifique visant à restaurer la santé de la baie. Le plan combine les connaissances traditionnelles avec la science environnementale contemporaine pour guider les efforts de réhabilitation.
« Nous constatons de petites victoires, » déclare Spencer Taft, coordinateur environnemental de l’Initiative Sacred Trust des Tsleil-Waututh. « Les populations de harengs montrent des signes de rétablissement dans certaines zones. Nous avons réussi à réintroduire des huîtres Olympia indigènes dans des sites expérimentaux. Ce sont des étapes modestes mais significatives. »
Le gouvernement fédéral a également commencé à reconnaître son rôle dans ces perturbations historiques. En 2019, Environnement et Changement climatique Canada s’est engagé à verser 1,5 million de dollars pour soutenir des projets de restauration dirigés par les Autochtones autour de la baie, bien que les leaders communautaires soutiennent qu’un investissement beaucoup plus substantiel est nécessaire pour remédier à des décennies de dégradation.
La Ville de Vancouver a intégré certaines perspectives autochtones dans ses plans de gestion du littoral, y compris la restauration de plantes traditionnelles à plusieurs endroits. Bien que ces efforts représentent des progrès, ils n’abordent que des fragments d’un problème complexe.
En marchant le long du rivage de la baie avec George, je remarque qu’il s’arrête occasionnellement pour signaler des caractéristiques subtiles invisibles aux yeux non exercés – des endroits où certaines plantes devraient pousser, où des bancs de palourdes florissaient autrefois, où le saumon revenait jadis en nombre qui « rendait l’eau vivante. »
« Ce savoir n’a pas disparu, » me dit-il. « Mais nous luttons contre le temps pour restaurer ces connexions pendant que nos aînés qui se souviennent de la baie en bonne santé sont encore parmi nous. »
Ce qui se passe dans la baie Burrard reflète une prise de conscience plus large à travers le Canada – comment reconnaître les dimensions environnementales de la colonisation tout en créant des voies vers la réconciliation qui incluent la restauration écologique.
Alors que le changement climatique introduit de nouvelles pressions sur des écosystèmes déjà compromis, les enjeux de ce travail deviennent plus importants. Les connaissances traditionnelles autochtones sur la récolte durable, les cycles saisonniers et la gestion des écosystèmes offrent des perspectives précieuses pour des stratégies d’adaptation qui profitent à tous les Canadiens.
Pour les Tsleil-Waututh et les autres Premières Nations autour de la baie Burrard, la souveraineté alimentaire reste à la fois un objectif pratique et un puissant symbole de résilience culturelle. Leur travail continu pour restaurer les sources alimentaires traditionnelles représente non seulement une intendance environnementale, mais aussi une récupération de l’identité et des droits longtemps réprimés.
Alors que nous terminons notre promenade le long du rivage, George s’arrête pour examiner une petite parcelle de côte restaurée où des plantes indigènes ont été réintroduites. « Ce n’est que le début, » dit-il, « mais c’est important que nous ayons commencé. La baie a nourri notre peuple depuis des temps immémoriaux. Maintenant, c’est à notre tour de l’aider à se maintenir. »