À l’approche de la décision de juin de la Banque du Canada sur les taux d’intérêt, l’incertitude continue de planer sur le marché immobilier canadien. Le secteur immobilier—autrefois un véhicule fiable de création de richesse pour de nombreux Canadiens—se trouve maintenant dans une situation d’attente inconfortable, avec acheteurs et vendeurs potentiels qui surveillent les mouvements des taux d’intérêt avec une attention sans précédent.
« Nous observons un marché essentiellement bloqué dans les limbes, » affirme Samantha Chen, économiste en chef chez National Housing Analytics. « Les volumes de transactions restent considérablement déprimés par rapport aux normes historiques, malgré des corrections de prix modestes dans la plupart des centres urbains. »
Les chiffres racontent une histoire convaincante. Selon l’Association canadienne de l’immobilier, les ventes nationales de maisons en avril ont chuté de 18,2 % par rapport au même mois l’année dernière. Pendant ce temps, l’indice des prix des maisons MLS a diminué de 3,2 % d’une année à l’autre, bien que ce chiffre masque d’importantes variations régionales.
À Toronto et Vancouver, les marchés les plus chers du Canada, l’ajustement a été particulièrement notable. Les maisons individuelles qui auraient pu déclencher des guerres d’enchères il y a deux ans restent maintenant sur le marché pendant des semaines, parfois des mois. Les agents immobiliers signalent un changement fondamental dans la psychologie des acheteurs.
« La peur de manquer une occasion a été remplacée par la peur de trop payer, » explique Raj Patel, agent immobilier torontois avec 15 ans d’expérience. « Les clients qui auraient étiré leur budget à la limite absolue en 2021 analysent maintenant plusieurs scénarios d’accessibilité et prévoient des marges pour d’éventuelles hausses de taux. »
Cette prudence reflète le changement spectaculaire des coûts d’emprunt. Le taux hypothécaire fixe moyen de 5 ans tourne maintenant autour de 5,14 %, plus du double de ce dont bénéficiaient les acheteurs au plus fort de la pandémie. Pour une famille achetant une maison de 700 000 $ avec 20 % d’acompte, cela représente environ 800 $ de plus en paiements mensuels par rapport aux taux de 2021.
La prochaine décision de la Banque du Canada est particulièrement importante après avoir surpris de nombreux économistes en janvier avec un pivot vers une position plus accommodante. Après avoir maintenu son taux directeur stable à 5 % pendant plusieurs réunions, le gouverneur Tiff Macklem a signalé que la banque centrale envisageait enfin des réductions de taux alors que l’inflation montrait des signes de modération durable.
Les marchés ont d’abord interprété cela comme le début d’un cycle d’assouplissement, certaines prévisions annonçant jusqu’à quatre réductions d’un quart de point en 2024. Cependant, des lectures d’inflation sous-jacente tenaces et des données d’emploi résilientes ont depuis tempéré ces attentes.
« La Banque fait face à un véritable dilemme, » note Priya Sharma, économiste principale chez Canadian Financial Markets. « L’inflation s’est considérablement modérée par rapport à son pic, mais reste au-dessus de la cible. Pendant ce temps, les taux d’intérêt élevés causent une douleur réelle dans le secteur du logement et pour les détenteurs de prêts hypothécaires à taux variable. »
Des données récentes de Statistique Canada ont montré une inflation globale de 2,7 % en avril, en baisse significative par rapport au pic de 8,1 % atteint en 2022, mais toujours au-dessus de la cible de 2 % de la Banque. Plus préoccupant pour les décideurs monétaires, les mesures de base excluant les composantes volatiles se sont avérées plus persistantes que prévu.
Pour les acheteurs potentiels, cette incertitude crée à la fois des défis et des opportunités. Les primo-accédants en particulier font face à un calcul difficile : attendre d’éventuelles baisses de prix si les taux restent élevés, ou se lancer avant que l’accessibilité ne se détériore potentiellement à nouveau lorsque les taux finiront par baisser.
« Le marché est pris dans une impasse, » déclare Chen. « Les vendeurs sont réticents à accepter que les prix records de 2021 puissent ne pas revenir de sitôt, tandis que les acheteurs hésitent à s’engager aux coûts d’emprunt actuels. Cette dynamique a comprimé les volumes de transactions et créé ce qui ressemble à un marché gelé dans de nombreuses communautés. »
L’impact s’étend au-delà de ceux qui cherchent activement à acheter ou à vendre. Environ 60 % des prêts hypothécaires à taux variable au Canada ont atteint leurs points de déclenchement, forçant les emprunteurs à augmenter leurs paiements mensuels. Pendant ce temps, on estime que 1,7 million de prêts hypothécaires canadiens arriveront à échéance en 2024-2025, principalement issus de l’environnement à taux ultra-bas de 2020-2021.
« Nous envisageons un choc de paiement significatif pour des centaines de milliers de ménages, » avertit Dina Powell, défenseure de l’accessibilité au logement et ancienne conseillère financière. « Pour quelqu’un qui renouvelle un prêt hypothécaire de 500 000 $ qui était initialement à 1,89 %, le nouveau paiement aux taux actuels pourrait signifier trouver 1 200 $ supplémentaires par mois dans un budget familial déjà serré. »
Cette falaise de renouvellement a suscité des inquiétudes concernant les effets potentiels sur les dépenses de consommation et la santé économique plus large. Un récent document de recherche de la Banque du Canada suggérait que les ménages renouvelant leurs prêts hypothécaires cette année verront leurs mensualités augmenter de 30 % en moyenne.
En vue de la décision de juin, les économistes restent divisés. Les marchés prévoient actuellement environ 40 % de chances d’une réduction d’un quart de point, le reste s’attendant à ce que les taux restent stables. Beaucoup dépendra de la prochaine lecture de l’inflation et des données du marché du travail.
Pour le marché immobilier, les deux scénarios présentent des défis. Si les taux restent plus élevés plus longtemps, l’accessibilité restera limitée et le marché pourrait connaître d’autres corrections de prix dans certaines régions. Si le cycle de réduction commence, la concurrence pourrait rapidement se raviver sur les marchés où l’offre est limitée.
« La réalité est que les taux d’intérêt ne sont qu’un facteur dans un écosystème immobilier complexe, » prévient Sharma. « Le Canada fait toujours face à une pénurie fondamentale d’offre, particulièrement dans les grands centres d’emploi. Les réductions de taux à elles seules ne résoudront pas les défis structurels d’accessibilité. »
Ce qui semble certain, c’est que l’ère des valeurs immobilières prévisibles et en constante appréciation qui a caractérisé une grande partie des deux dernières décennies a été perturbée. Pour une génération de Canadiens qui en sont venus à considérer le logement non seulement comme un abri mais comme une stratégie financière, ce nouveau paysage nécessite un ajustement significatif.
« Nous conseillons aux clients de se concentrer sur les fondamentaux, » dit Patel. « Achetez ce que vous pouvez vous permettre confortablement, planifiez pour la volatilité des taux d’intérêt et pensez à long terme. L’époque où l’on retournait des propriétés pour des profits rapides est derrière nous, du moins pour ce cycle. »
Alors que la Banque du Canada délibère sur sa prochaine décision, des millions de Canadiens suivront attentivement—non seulement pour la décision elle-même, mais pour des indices sur la voie à suivre dans ce qui est devenu l’un des marchés immobiliers les plus incertains dont on se souvienne.