Les chiffres racontent une histoire convaincante : le système agroalimentaire canadien génère plus de 143 milliards de dollars au PIB annuellement, employant 2,3 millions de Canadiens et rivalisant avec l’empreinte économique de notre secteur automobile. Pourtant, lorsque nous parlons des moteurs économiques qui stimulent notre prospérité nationale, la conversation se concentre souvent sur la fabrication, l’énergie ou la technologie—rarement sur les fermes et les transformateurs alimentaires qui nourrissent silencieusement à la fois notre population et notre économie.
Comme je l’ai découvert en enquêtant sur l’impact économique de notre secteur agricole, l’ampleur de cette industrie reste sous-estimée par de nombreux Canadiens, y compris les décideurs politiques qui pourraient autrement prioriser son potentiel de croissance.
« L’agriculture ne sert pas seulement à nourrir les gens—elle nourrit notre économie, » explique Dr. Sylvain Charlebois, directeur du Laboratoire des sciences analytiques en agroalimentaire de l’Université Dalhousie. « Quand on combine l’agriculture primaire avec la transformation alimentaire, la distribution et la vente au détail, on parle d’un secteur qui touche presque toutes les régions du pays avec des effets multiplicateurs substantiels. »
Ces effets multiplicateurs se traduisent par environ un emploi sur huit à l’échelle nationale. La portée du secteur s’étend bien au-delà des communautés rurales, avec des installations de fabrication alimentaire qui emploient des dizaines de milliers de personnes dans les centres urbains, de Mississauga à Montréal.
Ce qui rend ces chiffres particulièrement significatifs est la résilience du secteur. Pendant les perturbations de la pandémie de 2020, lorsque de nombreuses industries se sont fortement contractées, la production alimentaire est restée relativement stable—un témoignage de sa nature essentielle et de sa capacité d’adaptation.
Le dernier rapport sur les perspectives économiques de Financement agricole Canada indique que malgré les pressions inflationnistes et les défis de la chaîne d’approvisionnement, les exportations agricoles canadiennes ont atteint des niveaux record l’année dernière, avec une force particulière dans le canola, le blé et les produits alimentaires transformés. Cette orientation vers l’exportation signifie que le secteur apporte de nouveaux capitaux dans l’économie canadienne plutôt que de simplement faire circuler les dollars existants.
Mais l’histoire n’est pas uniformément positive. En parlant avec des producteurs à petite échelle dans les marchés fermiers de l’Ontario, on découvre une image plus nuancée de la santé de l’industrie.
« Les chiffres d’impact économique semblent impressionnants au niveau macro, mais ils masquent des défis importants pour les petites exploitations, » note Jennifer Doelman, qui exploite une ferme familiale près de Renfrew, en Ontario. « Nous constatons une consolidation continue, avec moins de fermes produisant plus, tandis que les coûts des intrants augmentent plus rapidement que les prix des produits. »
Cette tendance à la consolidation reflète à la fois les forces du marché et les améliorations de productivité. La mécanisation avancée, les techniques d’agriculture de précision et les améliorations génétiques permettent aux fermes modernes de produire plus avec moins de travailleurs—une transformation technologique similaire à ce que nous avons vu dans la fabrication.
Le volet de la transformation présente à la fois des opportunités et des obstacles. Le Canada exporte environ la moitié de sa production agricole, mais une grande partie quitte le pays sous forme de produits de base bruts plutôt que de produits à valeur ajoutée. Les défenseurs de l’industrie pointent les obstacles réglementaires et les contraintes de capital qui limitent la capacité de transformation nationale.
« Nous exportons essentiellement des emplois avec nos produits, » dit Kathleen Sullivan, PDG de Food and Beverage Canada. « Chaque fois que nous expédions des matières premières au lieu de produits transformés, nous manquons une occasion de multiplier les bénéfices économiques à l’intérieur de nos frontières. »
Ce déficit de transformation a suscité des appels en faveur d’une stratégie agroalimentaire nationale qui aborderait les obstacles structurels à la croissance. L’Initiative des supergrappes d’innovation du gouvernement fédéral comprend la Supergrappe des industries des protéines axée sur les protéines végétales, mais les représentants de l’industrie soutiennent que des approches plus complètes sont nécessaires.
Considérations économiques mises à part, le secteur fait face à des défis environnementaux transformationnels. L’agriculture représente environ 10 % des émissions de gaz à effet de serre du Canada selon les données d’Environnement et Changement climatique Canada, la plaçant à l’intersection de la sécurité alimentaire et de la politique climatique.
Les producteurs progressistes adoptent des pratiques agricoles régénératrices qui séquestrent le carbone tout en améliorant la santé des sols. Ces méthodes pourraient potentiellement transformer les fermes de sources d’émissions en puits de carbone, créant de nouveaux flux de revenus grâce aux crédits carbone tout en répondant aux préoccupations environnementales.
« Les fermes de 2030 ne ressembleront pas aux exploitations d’aujourd’hui, » prédit Laura Reiter, agricultrice céréalière et économiste agricole de la Saskatchewan. « Nous assistons à la convergence de la technologie de précision, des innovations biologiques et des impératifs environnementaux qui vont remodeler ce que nous produisons et comment nous le produisons. »
Cette évolution entraîne d’énormes implications économiques. Le Forum économique mondial estime que le marché mondial des protéines alternatives pourrait atteindre 85 milliards de dollars d’ici 2030. Le secteur canadien des technologies propres considère l’agriculture comme un vecteur de croissance majeur, avec des entreprises qui développent tout, des intrants biologiques pour les cultures aux technologies de réduction des émissions pour les exploitations d’élevage.
Qu’est-ce que cela signifie pour les consommateurs et les communautés canadiennes? Au-delà des approvisionnements alimentaires stables, un secteur agroalimentaire prospère crée une résilience économique grâce à la diversification. Les régions avec de solides bases agricoles résistent généralement mieux aux ralentissements économiques que celles qui dépendent d’industries uniques.
Pour les Canadiens urbains qui pourraient voir les fermes comme distantes et déconnectées de leur vie, comprendre l’empreinte économique du secteur fournit un contexte pour les discussions politiques autour de l’utilisation des terres, des droits de l’eau et de l’infrastructure rurale. La prospérité de nos villes et de nos campagnes est profondément liée par ces relations économiques.
Les données suggèrent que le système agroalimentaire du Canada mérite une plus grande reconnaissance dans la planification économique nationale. Avec la demande alimentaire mondiale qui devrait augmenter de 50 % d’ici 2050 selon les estimations des Nations Unies, peu de secteurs offrent un potentiel de croissance à long terme comparable.
Alors que les consommateurs poussent les entreprises alimentaires vers plus de transparence et de durabilité, les producteurs canadiens sont bien positionnés pour fournir les deux—à condition qu’ils reçoivent un soutien politique et d’investissement approprié. La question n’est pas de savoir si l’agriculture est importante pour notre économie, mais si nous capitaliserons sur tout son potentiel dans les décennies à venir.
Pour un secteur qui nous nourrit quotidiennement, il est temps que nous lui accordions l’attention qu’il mérite.