Alors que le Canada se trouve au bord de ce qui pourrait être sa première grève postale nationale depuis des années, les entreprises à travers le pays élaborent discrètement des plans d’urgence qui pourraient devenir des changements permanents dans la façon dont les Canadiens envoient et reçoivent leurs colis.
En me promenant hier sur Queen Street West à Toronto, j’ai remarqué quelque chose de révélateur – trois propriétaires de petites entreprises affichant des panneaux manuscrits dans leurs vitrines pour informer les clients de retards de livraison. Mariam Tehrani, qui gère une boutique de bijoux, n’a pas mâché ses mots.
« Nous avons déjà transféré la plupart de nos livraisons à Canpar et UPS, » m’a confié Tehrani en emballant un délicat collier. « Ça nous coûte plus cher, mais nous ne pouvons pas risquer que nos commandes restent dans un entrepôt pendant la période des Fêtes. Certains de mes clients me font confiance depuis une décennie – je ne les décevrai pas. »
Ce sentiment résonne à travers le pays alors que le compte à rebours s’écoule dans les négociations entre Postes Canada et le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP). Le syndicat, qui représente environ 55 000 travailleurs, est en pourparlers depuis novembre dernier, avec des points d’achoppement concernant les salaires, les conditions de travail et la sécurité d’emploi.
Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, près de 40 % des petites entreprises dépendent fortement de Postes Canada pour leurs besoins d’expédition. Cette dépendance cause maintenant une anxiété généralisée à l’approche de la date limite de grève.
À Winnipeg, Darren Praznik, qui gère une entreprise d’exportation de produits alimentaires spécialisés, surveille la situation de près. « Nous avons détourné environ 70 % de nos expéditions vers d’autres transporteurs ces deux dernières semaines, » a-t-il expliqué. « Les marges sont plus minces, mais notre réputation auprès des clients n’a pas de prix. »
Le ministre fédéral du Travail, Seamus O’Regan, a déclaré hier que le gouvernement « suit la situation de près », mais n’a pas encore indiqué si une loi de retour au travail pourrait être envisagée en cas d’échec des négociations. Le bureau d’O’Regan a publié un communiqué encourageant les deux parties à « travailler en collaboration vers une résolution qui soutient les travailleurs tout en garantissant que les Canadiens et les entreprises puissent continuer à compter sur les services postaux. »
La porte-parole de Postes Canada, Valérie Chartrand, a souligné que les négociations se poursuivent. « Nous restons déterminés à parvenir à un règlement négocié qui offre des conditions de travail équitables à nos employés tout en nous permettant de continuer à servir les Canadiens à des tarifs raisonnables, » a-t-elle déclaré dans un courriel.
Mais la patience des entreprises canadiennes semble s’épuiser. Beaucoup se souviennent des grèves tournantes de 2018, qui ont causé d’importantes perturbations pendant la période cruciale des Fêtes.
Jean-Marc Léger, président de Léger Marketing, note que cette grève potentielle arrive à un moment particulièrement vulnérable. « La confiance des consommateurs canadiens est déjà fragile avec l’inflation et les taux d’intérêt. Toute perturbation de l’infrastructure de livraison ajoute une couche d’incertitude supplémentaire pour les entreprises et les consommateurs. »
Ce qui est différent cette fois-ci, c’est l’écosystème élargi d’alternatives de livraison. Depuis la dernière perturbation postale majeure, des entreprises comme Intelcom, Amazon Logistics et divers transporteurs régionaux ont considérablement étendu leur présence au Canada.
À Edmonton, le changement est déjà visible. Jason Kemmere, dont la famille exploite un magasin d’articles de sport depuis trois générations, a complètement remanié sa stratégie d’expédition.
« Nous avons maintenant des partenariats avec trois transporteurs différents, » a expliqué Kemmere en me montrant son poste d’expédition nouvellement organisé. « Cela nous a en fait rendus plus résilients. Avant, nous mettions tous nos œufs dans le panier de Postes Canada parce que c’était plus simple. Plus jamais. »
Le moment ne pourrait être pire pour Postes Canada, qui fait face à une concurrence croissante des services de messagerie privés tout en gérant une diminution du volume de courrier traditionnel. Selon leur rapport annuel de 2022, la société d’État a livré 2,8 milliards de pièces de courrier en moins l’année dernière par rapport à il y a une décennie.
Pour les consommateurs, en particulier ceux des régions rurales où les options de livraison alternatives sont limitées, une grève postale suscite de véritables inquiétudes. La distribution des chèques gouvernementaux, des médicaments sur ordonnance et des documents juridiques repose souvent encore sur le service postal traditionnel.
À Gaspé, au Québec, l’organisatrice communautaire Marie-Claude Beaulieu s’inquiète pour les populations vulnérables. « Nous avons des aînés qui reçoivent leurs chèques de pension et leurs médicaments par la poste. Les alternatives numériques ne fonctionnent pas pour tout le monde ici, surtout avec un service Internet irrégulier. »
Si la préoccupation immédiate est la grève potentielle, la question à plus long terme est de savoir si Postes Canada pourra reconquérir des parts de marché une fois que les entreprises auront établi de nouvelles relations avec d’autres transporteurs.
Harley Finkelstein, expert en commerce électronique qui conseille plusieurs détaillants canadiens, estime que nous assistons à un moment décisif. « Il y a cinq ans, une perturbation de Postes Canada aurait été catastrophique pour les vendeurs en ligne. Aujourd’hui, c’est un inconvénient qui accélère une transition déjà en cours vers un écosystème de livraison plus diversifié. »
De retour à Toronto, en quittant la boutique de bijoux de Tehrani, elle a soulevé un point qui semble capturer le sentiment de nombreux propriétaires d’entreprises canadiennes : « J’adore nos postiers, et je comprends qu’ils ont besoin d’un traitement équitable. Mais mon entreprise ne peut pas être un dommage collatéral dans ces négociations. Une fois que nous établissons de nouveaux partenaires d’expédition et que nos clients s’y habituent, il y a peu d’incitation à revenir en arrière. »
Alors que les deux parties poursuivent les négociations, il devient clair que, peu importe si une grève se matérialise réellement, la simple menace a déjà remodelé le paysage de la livraison au Canada. Et ces changements pourraient être impossibles à défaire une fois la poussière retombée.