Alors que l’horloge tourne vers une possible grève de Postes Canada, j’observe les petits entrepreneurs à travers le pays se préparer pour ce que beaucoup décrivent comme « la goutte d’eau qui fait déborder le vase » dans leur relation avec le service postal national.
En me promenant hier dans le quartier Junction de Toronto, j’ai parlé avec Maryam Ishani, qui gère une boutique de bijoux artisanaux expédiant dans tout le pays. « Je me suis déjà inscrite auprès de trois transporteurs alternatifs, » m’a-t-elle confié, en organisant des colis sur son établi. « S’ils font grève maintenant, pendant la saison d’expédition pré-fêtes, je ne reviendrai honnêtement peut-être pas chez Postes Canada après. »
Ce sentiment fait écho à travers les provinces alors que les quelque 55 000 travailleurs de Postes Canada pourraient être en position légale de grève d’ici le 14 novembre si les négociations en cours avec le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) ne produisent pas d’accord. Les revendications du syndicat portent sur l’amélioration des conditions de travail, la sécurité d’emploi et de meilleurs salaires pour faire face à l’inflation – des préoccupations qui s’accumulent depuis l’expiration de leur dernier contrat en décembre 2023.
Pour les 1,2 million de petites entreprises canadiennes qui dépendent des services postaux, cette perturbation potentielle survient à un moment particulièrement vulnérable. Selon la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), près de 62 % des petits détaillants réalisent des revenus cruciaux pendant la période de novembre-décembre, les vendeurs en ligne dépendant fortement d’un service d’expédition fiable.
« Nous observons des niveaux sans précédent de planification d’urgence, » déclare Dan Kelly, président de la FCEI. « Les petites entreprises ont tiré de dures leçons des grèves tournantes de 2018 et des retards d’expédition pendant la pandémie. Elles n’attendent pas d’être prises au dépourvu à nouveau. »
Ce qui est différent cette fois-ci, c’est le paysage concurrentiel. Depuis la dernière perturbation postale, les options de livraison privées se sont considérablement développées, particulièrement dans les centres urbains. Des entreprises comme Canpar Express et ShipTime se sont positionnées comme des alternatives favorables aux petites entreprises, offrant souvent des options de ramassage plus flexibles et des tarifs compétitifs pour l’expédition nationale.
Au marché Byward d’Ottawa, le libraire Tomas Chen a déjà transféré 80 % de ses expéditions vers des transporteurs alternatifs. « Les problèmes de fiabilité devenaient trop importants même avant les discussions sur une grève, » explique-t-il. « Mes clients s’attendent à un suivi qui fonctionne réellement et à des colis qui arrivent quand promis. »
L’opinion publique semble divisée. Un sondage Angus Reid réalisé le mois dernier a révélé que si 58 % des Canadiens sympathisent avec les préoccupations des postiers concernant les conditions de travail, 64 % estiment que les perturbations du service postal causent « des difficultés importantes » pour les petites entreprises et les populations vulnérables.
Le gouvernement fédéral est resté notablement silencieux sur la question de savoir s’il légiférerait pour ordonner le retour au travail des postiers comme il l’a fait en 2018 – une législation qui a été jugée inconstitutionnelle par les tribunaux par la suite. Le ministre du Travail, Steven MacKinnon, a publié une brève déclaration la semaine dernière exhortant les deux parties à « continuer de négocier de bonne foi vers un accord qui fonctionne pour les travailleurs, la société et les Canadiens. »
Pour les communautés rurales, les enjeux sont particulièrement élevés. Les services de livraison alternatifs facturent souvent des tarifs premium pour les destinations éloignées, s’ils les desservent du tout. Dans le nord-est de l’Ontario, l’Association des petites entreprises de Timiskaming rapporte que les membres font face à des suppléments d’expédition de 30 à 45 % avec des transporteurs privés par rapport au système de tarif fixe de Postes Canada.
« C’est là que la fracture numérique et la fracture de livraison se rencontrent, » explique Dr. Heather McIntosh, économiste spécialisée dans le commerce rural à l’Université Laurentienne. « Les entreprises rurales luttent déjà avec les limitations de l’infrastructure Internet. Si elles perdent aussi des options d’expédition abordables, nous verrons des fermetures d’entreprises accélérées dans des communautés qui peuvent le moins se le permettre. »
Ce qui est frappant dans mes conversations avec les propriétaires d’entreprises, c’est combien d’entre eux considèrent cette perturbation potentielle non pas comme un inconvénient temporaire mais comme un catalyseur de changement permanent dans leurs stratégies d’expédition. Beaucoup ont investi dans des logiciels logistiques qui peuvent instantanément comparer les tarifs entre plusieurs transporteurs – une technologie qui n’était pas largement disponible lors des perturbations postales précédentes.
« J’ai construit un modèle d’expédition hybride, » explique Samuel Winters, brasseur artisanal basé à Vancouver, qui expédie des bières spécialisées dans tout le pays. « Livraisons locales par services de messagerie, moyenne distance par transporteurs régionaux, et seulement les destinations les plus éloignées par Postes Canada. Une grève ne ferait qu’accélérer ce qui se passe déjà – la fin de la fidélité à un transporteur unique. »
Le porte-parole de Postes Canada, Philipe Legault, maintient que la société négocie de bonne foi et comprend les enjeux. « Nous reconnaissons le rôle essentiel que nous jouons pour les entreprises et les communautés canadiennes, » a-t-il déclaré dans un communiqué. « Nous sommes déterminés à parvenir à des accords qui sont équitables pour nos employés tout en restant financièrement durables. »
Pourtant, la confiance semble fragile. Les grèves tournantes de 2018 ont coûté aux petites entreprises environ 3,1 milliards de dollars en ventes perdues et en coûts d’expédition supplémentaires, selon les données de la FCEI. La pandémie a davantage tendu les relations alors que les retards de livraison coïncidaient avec le pivot désespéré des entreprises vers les ventes en ligne.
À l’approche de novembre, les questions vont au-delà de l’impact immédiat d’une grève potentielle. Postes Canada sera-t-elle capable de récupérer les affaires perdues une fois le service repris? Est-ce le point de bascule où les réseaux de livraison alternatifs atteignent enfin l’échelle nécessaire pour concurrencer à l’échelle nationale?
Pour les petits entrepreneurs comme Maryam Ishani, la réponse semble de plus en plus claire. « Je ne peux pas bâtir une entreprise sur l’incertitude, » dit-elle, en imprimant des étiquettes d’expédition pour les commandes de demain. « Quoi qu’il arrive avec la grève, je pense que Postes Canada m’a déjà perdue comme cliente. »