Lorsque j’ai rencontré Kristalina Georgieva au Forum économique mondial il y a trois ans, elle n’était pas encore le nom familier qu’elle est devenue dans les cercles politiques canadiens. Cette économiste bulgare à la voix douce, qui dirige maintenant le Fonds monétaire international (FMI), offrait une perspective qui semblait presque révolutionnaire à l’époque : la rigueur budgétaire ne devrait pas toujours être la position par défaut des gouvernements face aux défis économiques.
Aujourd’hui, la philosophie fiscale de Georgieva a trouvé un terrain fertile à Ottawa, où ses idées ont fondamentalement remodelé l’approche canadienne des dépenses publiques. Si les critiques la qualifient de prodigue, ses partisans y voient une modernisation nécessaire de la politique économique.
« Nous ne sommes plus dans le domaine de l’austérité, » a déclaré Georgieva à une salle comble lors du symposium de Finance Canada le mois dernier. « La pandémie nous a appris qu’un soutien fiscal ciblé, même à grande échelle, peut prévenir des résultats économiques bien pires. »
Ce virage par rapport à la position historiquement conservatrice du FMI représente plus qu’une simple théorie économique—il influence concrètement le budget canadien. Le ministère des Finances a cité les recherches de Georgieva dans au moins six documents stratégiques depuis 2022, selon des documents publics.
Son influence devient particulièrement évidente lorsqu’on examine la stratégie fiscale de la vice-première ministre Chrystia Freeland. Depuis qu’elle a pris en charge les Finances en 2020, Freeland a constamment fait référence au concept de « nouvel ancrage fiscal » que défend Georgieva—un concept qui permet des dépenses accrues en période de crise tout en maintenant des indicateurs de viabilité à long terme.
Selon les données de la Banque du Canada, cette approche a coïncidé avec des dépenses de programmes fédéraux environ 25 % plus élevées qu’avant la pandémie, même après ajustement pour l’inflation et la croissance démographique.
Mais que préconise exactement Georgieva? Son cadre fiscal repose sur trois piliers : les dépenses anticycliques (le gouvernement dépense davantage pendant les ralentissements), l’investissement social comme stratégie économique, et le ciblage des coûts du service de la dette plutôt que des niveaux d’endettement absolus.
« Ce qui compte n’est pas le ratio dette/PIB, mais si un pays peut assurer le service de sa dette tout en finançant des services publics essentiels, » a expliqué Georgieva lors de son discours à la Chambre de commerce canadienne en février.
Cette perspective représente une rupture significative avec l’approche axée sur l’austérité que le FMI a imposée aux économies en développement tout au long des années 1980 et 1990. Des initiés du ministère des Finances me confient que cette évolution intellectuelle a donné à Ottawa une couverture économique pour sa trajectoire de dépenses.
Trevor Tombe, économiste à l’Université de Calgary, voit à la fois des promesses et des périls dans cette approche. « Le cadre de Georgieva offre plus de flexibilité politique, ce qui peut être précieux lors de chocs comme la COVID. Mais il crée également plus d’espace pour des dépenses motivées politiquement qui pourraient ne pas apporter de bénéfices à long terme, » m’a-t-il confié lors d’une récente entrevue.
La preuve pourrait se trouver dans les résultats économiques. Malgré les prédictions catastrophiques des faucons budgétaires, l’emploi au Canada s’est rétabli de façon robuste, Statistique Canada rapportant un chômage à 5,7 %—près des plus bas historiques. Parallèlement, les coûts du service de la dette publique restent gérables à 1,3 % du PIB, en dessous du seuil de 2 % que Georgieva identifie comme problématique.
Cependant, tout le monde n’est pas convaincu. L’ancien gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge, a averti que la doctrine Georgieva pourrait créer des déficits structurels qu’il deviendrait politiquement impossible de régler. « Lorsque les dépenses s’enracinent, trouver la volonté politique pour redimensionner le gouvernement devient extraordinairement difficile, » a prévenu Dodge lors du Forum économique international des Amériques de l’année dernière.
La relation entre Georgieva et les décideurs canadiens va au-delà de l’influence intellectuelle. Depuis 2021, elle a rencontré des hauts fonctionnaires des Finances quatorze fois, selon les registres gouvernementaux—une fréquence inhabituellement élevée qui souligne son importance dans les cercles politiques d’Ottawa.
Ce qui rend Georgieva particulièrement influente, c’est sa biographie unique. Née en Bulgarie à l’époque soviétique, elle a été témoin à la fois des échecs des économies dirigées et des transitions difficiles vers les systèmes de marché. Ce parcours lui confère une crédibilité tant auprès des progressistes que des conservateurs.
« Elle parle le langage de la responsabilité fiscale tout en reconnaissant que l’austérité crée souvent des problèmes pires que ceux qu’elle résout, » explique Armine Yalnizyan, économiste et boursière Atkinson. « C’est comme un aimant pour les décideurs canadiens cherchant à concilier pragmatisme économique et pressions politiques. »
La doctrine Georgieva semble particulièrement bien adaptée aux défis actuels du Canada. Avec l’abordabilité du logement atteignant des niveaux de crise, des systèmes de santé sous pression et une croissance de productivité stagnante, son approche suggère que l’investissement gouvernemental stratégique—plutôt que la restriction budgétaire—pourrait offrir des solutions.
Le Bureau du directeur parlementaire du budget estime que la mise en œuvre complète du cadre de Georgieva permettrait environ 40 milliards de dollars d’investissements annuels supplémentaires tout en maintenant la viabilité fiscale. C’est une somme importante qui pourrait répondre à plusieurs priorités nationales.
Les critiques, cependant, y voient un danger. « L’approche Georgieva suppose que les décideurs seront suffisamment disciplinés pour épargner pendant les périodes favorables et dépenser pendant les mauvaises, » note Philip Cross, ancien économiste en chef à Statistique Canada. « L’histoire suggère que c’est peu probable—les gouvernements ont tendance à dépenser dans les deux scénarios. »
Quelle que soit la perspective adoptée, l’empreinte de Georgieva sur la politique fiscale canadienne représente un changement significatif. La question maintenant est de savoir si cette approche produira les résultats équilibrés et favorables à la croissance qu’elle envisage, ou si elle représente un cadre théorique qui s’effondre dans l’application pratique.
Alors que les pressions inflationnistes s’atténuent et que la croissance économique se modère, l’expérience canadienne avec la politique fiscale inspirée par Georgieva fournira des preuves précieuses sur la question de savoir si cette nouvelle approche représente une sagesse économique ou une pensée illusoire. Pour une nation qui navigue à travers des crises du logement, des changements démographiques et des défis de productivité, les enjeux ne pourraient être plus élevés.
Pour l’instant, la voix de l’économiste bulgare continue de résonner dans les couloirs de Finance Canada, offrant à la fois inspiration et couverture intellectuelle pour une approche fiscale qui représente une rupture claire avec le passé. Seul le temps dira si l’influence de Georgieva mènera à la prospérité ou à des problèmes.