Je suis de plus en plus préoccupé par la situation des tarifs douaniers qui affecte nos producteurs alimentaires canadiens. L’annonce d’hier concernant les prélèvements chinois sur le canola et le porc ne pouvait pas tomber à un pire moment pour notre secteur agricole, qui navigue déjà dans un environnement commercial mondial complexe.
Lors de ma conversation avec Janice Morrison, qui gère une ferme familiale de cinquième génération en Saskatchewan, elle a été franche : « D’abord c’était les tarifs américains sur l’aluminium, maintenant c’est ça. Nous sommes pris dans un feu croisé commercial qui n’a rien à voir avec la qualité de ce que nous cultivons. »
Les chiffres racontent une histoire préoccupante. Les exportations alimentaires canadiennes vers la Chine ont atteint 8,4 milliards de dollars l’an dernier selon les données de Statistique Canada – le canola représentant à lui seul près de 3,5 milliards de ce total. Le nouveau tarif de 15 % exclut pratiquement du jour au lendemain de nombreux producteurs canadiens de leur deuxième plus grand marché.
Ce qui rend cette situation particulièrement troublante, c’est le moment choisi. De nombreux exportateurs agricoles canadiens avaient déjà conclu des contrats d’expédition et fixé des volumes de production en fonction de la demande chinoise prévue. Martin Chen du Conseil d’affaires Canada-Chine m’a expliqué que « ces producteurs ne peuvent pas simplement se tourner vers de nouveaux marchés en quelques semaines – les relations d’exportation agricole prennent des années à se développer. »
Au-delà de l’impact financier immédiat, il y a un effet d’entraînement sur les économies rurales. Chaque dollar d’exportations agricoles génère typiquement environ 2,50 $ d’activité économique supplémentaire dans les communautés rurales – des concessionnaires d’équipement aux détaillants locaux.
Le gouvernement fédéral a promis des « mesures de réponse proportionnelles », mais l’histoire suggère que ces différends commerciaux se résolvent rarement rapidement. Lorsque la Russie a interdit les produits agricoles canadiens en 2014, il a fallu près de trois ans pour que des marchés alternatifs se matérialisent pleinement.
J’observe comment certains producteurs innovants s’adaptent. North Prairie Specialty Foods, basée à Calgary, a commencé à orienter ses efforts vers la transformation à valeur ajoutée – transformant des matières premières en produits de consommation de marque moins vulnérables aux chocs tarifaires. « Nous montons essentiellement dans la chaîne de valeur », m’a confié Sarah Bergstrom, PDG. « Au lieu d’exporter simplement des lentilles brutes, nous produisons maintenant des collations à base de légumineuses prêtes à consommer pour le marché intérieur et les partenaires commerciaux exempts de droits. »
Ce virage vers des produits à valeur ajoutée représente une stratégie potentielle à long terme, mais il nécessite des investissements en capital importants et un développement de marché – des luxes que de nombreux petits producteurs n’ont simplement pas pendant une crise de liquidités.
L’aspect environnemental mérite également attention. Les pratiques agricoles canadiennes ont généralement une empreinte carbone plus faible que de nombreux concurrents mondiaux. Comme l’a noté le Dr William Taylor, économiste environnemental basé à Regina, « Lorsque les barrières commerciales forcent la production à se déplacer vers des régions moins efficaces, nous constatons souvent une augmentation des émissions mondiales par tonne de nourriture produite. »
Pour les consommateurs, l’impact peut prendre du temps à se matérialiser. Rebecca Martinez, analyste principale du commerce de détail chez RBC Marchés des Capitaux, suggère que « les effets initiaux sur les prix seront absorbés dans la chaîne d’approvisionnement, mais si cela se poursuit au-delà de six mois, attendez-vous à des augmentations de 5 à 8 % dans certaines catégories alimentaires d’ici le début de l’année prochaine. »
Ce qui est particulièrement frustrant avec ces tarifs, c’est qu’ils sapent des décennies de construction minutieuse de relations par les exportateurs alimentaires canadiens. Le Conseil des viandes du Canada a passé des années à développer des protocoles de sécurité alimentaire spécifiquement adaptés aux exigences du marché chinois. « Il ne s’agit pas seulement de vendre des produits », explique le président du conseil, James Williams. « Il s’agit de construire des systèmes de confiance qui profitent aux deux pays. »
La Banque du Canada a déjà signalé les tensions commerciales comme un facteur de risque économique important dans son dernier rapport de politique monétaire. La sous-gouverneure Carolyn Rogers a noté la semaine dernière que les perturbations des exportations agricoles pourraient réduire jusqu’à 0,3 % de la croissance du PIB si elles se prolongent – ce qui n’est pas négligeable pour une économie déjà confrontée à des vents contraires.
Certaines start-ups de technologie agricole trouvent des opportunités au milieu des défis. TrustTrace, basée à Winnipeg, a développé des systèmes de blockchain qui permettent aux producteurs de documenter l’origine canadienne et les normes de qualité de leurs produits, aidant potentiellement à contourner certaines barrières commerciales non tarifaires. Leur base d’utilisateurs a augmenté de 40 % depuis l’annonce des tarifs.
Pour des agriculteurs comme Morrison, l’avenir reste incertain. « Nous avons déjà traversé des marchés difficiles », m’a-t-elle dit en regardant les champs que sa famille cultive depuis 1896, « mais c’est l’imprévisibilité qui nous empêche de dormir la nuit. Nous prenons aujourd’hui des décisions de plantation qui affecteront nos moyens de subsistance dans 18 mois, sans avoir aucune idée de ce à quoi ressemblera alors le paysage commercial. »
Alors que le Canada travaille par voies diplomatiques pour résoudre ces questions tarifaires, cette expérience souligne une vulnérabilité fondamentale de notre économie agricole orientée vers l’exportation. Les efforts de diversification vers des marchés comme l’Indonésie, le Vietnam et la classe moyenne indienne en pleine croissance peuvent offrir une résilience à long terme, mais la douleur immédiate pour les producteurs alimentaires canadiens est bien réelle.
Cette situation nous rappelle avec force que derrière les statistiques commerciales et les déclarations diplomatiques se trouvent des milliers de familles canadiennes dont les moyens de subsistance dépendent des décisions prises dans des capitales lointaines. Pour eux, ces tarifs ne sont pas seulement une politique – ils sont profondément personnels.