Je viens d’arriver à Windsor, en Ontario, où l’air est chargé d’anxiété. La menace imminente des tarifs douaniers de 25% proposés par Donald Trump sur tous les produits canadiens a jeté une ombre sur cette ville frontalière où presque chaque famille a des liens avec l’industrie automobile.
« Nous avons survécu à des différends commerciaux auparavant, mais celui-ci serait différent », explique Michel Robinet, un analyste chevronné de l’industrie automobile que j’ai rencontré dans un petit resto avec vue sur la rivière Détroit. « Ces tarifs modifieraient fondamentalement les systèmes de production intégrés construits au fil des décennies. »
Un nouvel outil de cartographie de vulnérabilité économique développé par des chercheurs de l’Université de Toronto confirme ce que beaucoup dans ces petites communautés ressentent déjà – elles risquent de perdre le plus si Trump revient au pouvoir et met en œuvre ses menaces tarifaires.
L’outil de visualisation des données, créé par le Laboratoire de politique d’innovation de l’École Munk des affaires mondiales, révèle que les centres manufacturiers de taille moyenne à travers le Canada font face à des dommages économiques disproportionnés par rapport aux grandes régions métropolitaines comme Toronto ou Vancouver. Des villes comme Windsor, Sault Ste. Marie, et certaines parties de la ceinture manufacturière du Québec pourraient connaître des contractions économiques approchant 10% dans les scénarios les plus pessimistes.
« Les grandes villes ont des économies diversifiées qui peuvent mieux absorber les chocs commerciaux », explique Dre Shauna Brail, l’économiste urbaine de l’U de T qui a dirigé l’équipe de recherche. « Mais les communautés construites autour de secteurs manufacturiers spécifiques – l’automobile en Ontario, l’aluminium au Québec, les produits forestiers en Colombie-Britannique – manquent de ces amortisseurs économiques. »
La vulnérabilité découle de décennies d’intégration économique continentale. Depuis l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis original en 1988, suivi par l’ALENA et maintenant l’ACEUM, les chaînes d’approvisionnement nord-américaines sont devenues profondément interconnectées. Les composants peuvent traverser la frontière plusieurs fois avant de devenir des produits finis.
« Une seule pièce automobile peut traverser la frontière sept fois pendant sa production », explique Robinet. « Ajouter 25% à chaque passage rendrait notre modèle de fabrication intégré complètement irréalisable. »
J’ai parcouru les quartiers industriels de Windsor, où les usines produisent tout, des composants électroniques automobiles aux pièces métalliques spécialisées. Chez Cavalier Tool & Manufacturing, le PDG Brian Bendig m’a fait visiter les vastes installations où des moules de précision sont créés pour des clients partout en Amérique du Nord.
« Nous avons investi des millions dans l’équipement et la formation en comptant sur la certitude de frontières ouvertes », me dit Bendig alors que des travailleurs programment des machines à commande numérique derrière lui. « Ces tarifs nous forceraient à faire des choix impossibles – déménager aux États-Unis ou voir notre clientèle s’évaporer? »
L’outil d’analyse de l’U de T, qui utilise les données commerciales de Statistique Canada cartographiées avec les chiffres d’emploi régionaux, montre que plus de 70% de l’économie de Windsor est directement liée au commerce américain – près de trois fois l’exposition de l’économie plus diversifiée de Toronto.
Ce modèle se répète dans toute la ceinture des ressources du Canada. À Sault Ste. Marie, où Algoma Steel emploie plus de 2 700 travailleurs, ou dans le corridor pétrochimique de Sarnia, l’impact des tarifs se répercuterait au-delà de la fabrication directe sur les industries de soutien, le commerce de détail et les services publics financés par l’assiette fiscale.
Les responsables fédéraux canadiens ont été mesurés dans leur réponse publique aux menaces de Trump, espérant éviter une escalade. En coulisses, cependant, les agences provinciales et fédérales élaborent des plans d’urgence.
« Nous envisageons des programmes de soutien ciblés et des financements transitoires », m’a confié un haut responsable du développement économique de l’Ontario, sous couvert d’anonymat en raison de la sensibilité politique. « Mais aucun ensemble de politiques ne peut compenser pleinement une taxe frontalière de 25% – les calculs ne fonctionnent tout simplement pas. »
La vulnérabilité s’étend au-delà de l’économie à la cohésion sociale. Janice Abbott, qui coordonne les services d’emploi à Windsor, décrit la dimension humaine. « Lors des précédents ralentissements du secteur automobile, nous avons constaté une augmentation de la toxicomanie, de l’éclatement des familles et des crises de santé mentale. Les communautés ne perdent pas seulement des emplois – elles perdent l’espoir. »
Les chercheurs de l’U de T soulignent que leur outil n’est pas conçu pour créer la panique mais pour aider les communautés à se préparer. « En comprenant les modèles de vulnérabilité, les gouvernements locaux et les entreprises peuvent commencer à planifier des mesures d’urgence », explique Dre Brail. « Les stratégies de diversification prennent des années à mettre en œuvre, alors le moment de commencer, c’est maintenant. »
Certains chefs d’entreprise s’adaptent déjà. Chez Cavalier Tool, Bendig a accéléré les plans pour développer des marchés au-delà de l’Amérique du Nord. « Nous examinons des opportunités au Mexique, en Europe et en Asie qui n’étaient pas prioritaires auparavant. Cette incertitude nous force à penser différemment. »
Des diplomates et représentants commerciaux canadiens ont discrètement rencontré des gouverneurs d’États américains et des associations d’affaires dont les membres seraient également touchés par les tarifs. Ils soulignent qu’environ 9 millions d’emplois américains dépendent du commerce avec le Canada.
« La nature intégrée de nos économies signifie que ces tarifs nuiraient aux travailleurs des deux côtés de la frontière », explique l’ancien ambassadeur canadien aux États-Unis, David MacNaughton, qui maintient des liens étroits avec les leaders d’affaires américains. « Nous nous assurons que ce message porte au-delà de Washington. »
En marchant le long du bord de l’eau de Windsor, où la silhouette de Détroit domine l’horizon, la proximité physique des deux pays souligne leur interdépendance économique. Le pont Ambassador visible depuis le centre-ville transporte environ 25% de tous les échanges commerciaux entre les nations – plus de 400 millions de dollars en marchandises chaque jour.
Pour les petites villes canadiennes prises dans le collimateur politique, l’outil de cartographie de l’U de T confirme ce qu’elles pressentaient déjà – elles ont le plus à perdre dans une nouvelle guerre commerciale, avec moins de ressources pour résister à l’impact. La question est maintenant de savoir si ces communautés peuvent s’adapter avant que les nuages d’orage économiques potentiels ne s’amoncellent à l’horizon.