À 100 JOURS DES JEUX, L’INCERTITUDE FINANCIÈRE PLANE SUR LES ESPOIRS OLYMPIQUES CANADIENS
Les pentes enneigées de Whistler semblaient bien loin alors qu’Emma Larocque s’entraînait dans la chaleur étouffante d’un gymnase improvisé dans le garage de ses parents à Calgary. La skieuse alpine de 26 ans vise à représenter le Canada aux Jeux olympiques d’hiver de 2026, mais comme beaucoup de ses collègues athlètes, elle s’entraîne sous un nuage d’incertitude financière.
« On apprend à se débrouiller, » m’a confié Larocque lors d’une récente entrevue, essuyant la sueur de son front. « La plupart des Canadiens ne réalisent pas que derrière chaque médaille olympique se cachent des années de galère, de petits boulots à temps partiel et d’inquiétudes pour financer le prochain camp d’entraînement. »
À seulement 100 jours avant que la flamme olympique ne soit allumée, les athlètes canadiens font face à un carrefour crucial en matière de financement. Le programme phare de financement sportif du gouvernement fédéral, qui offre un soutien financier direct aux espoirs olympiques, doit expirer en mars 2025 sans engagement clair pour son renouvellement.
Le moment ne pourrait être pire. Les organisations sportives canadiennes planifient déjà leurs budgets pour l’année olympique alors que l’inflation a fait grimper tous les coûts, de l’équipement aux voyages internationaux. De nombreux athlètes décrivent une tempête parfaite de pressions financières précisément au moment où leur concentration devrait être uniquement sur la performance.
« Nous demandons à nos athlètes de concurrencer des pays qui traitent la préparation olympique comme une priorité nationale, alors que nous débattons encore du financement de base, » explique Richard Montpetit, directeur de la haute performance chez Sports d’hiver Canada. « C’est comme demander à quelqu’un de gagner une course sans être sûr de pouvoir se payer des chaussures. »
Le cadre de financement actuel, établi après la performance décevante du Canada aux Jeux de 2010, fournit environ 18 000 $ par an aux athlètes de premier niveau par le biais du Programme d’aide aux athlètes. Ce montant est resté largement inchangé malgré l’inflation qui a érodé sa valeur réelle de près de 25 % au cours de la dernière décennie, selon les chiffres de Statistique Canada.
À Ottawa, la question du financement est devenue de plus en plus politique. La ministre des Sports, Catherine McKenna, a reconnu ces préoccupations lors de la période des questions la semaine dernière, mais s’est gardée de prendre des engagements concrets.
« Notre gouvernement comprend l’importance de soutenir nos athlètes canadiens qui nous représentent sur la scène mondiale, » a déclaré McKenna. « Nous examinons actuellement toutes les options pour assurer un soutien durable pour le prochain cycle olympique. »
En coulisses, des sources au sein de Sport Canada indiquent que le programme est pris dans des tensions budgétaires plus larges, le Conseil du Trésor demandant à tous les ministères d’identifier des économies potentielles dans un contexte de préoccupations croissantes liées à la dette nationale.
L’impact de cette incertitude se fait sentir plus fortement chez les athlètes des sports moins médiatisés. Contrairement aux stars du hockey ou du basketball qui bénéficient de ligues professionnelles et d’opportunités de commandites, de nombreux athlètes olympiques dépendent presque exclusivement du soutien fédéral.
Clara Johnston, qui espère représenter le Canada en cyclisme sur piste, travaille 30 heures par semaine dans un café entre ses séances d’entraînement. « Je fais constamment des calculs dans ma tête, » a-t-elle confié lors d’une pause d’entraînement au vélodrome de Milton. « Puis-je me permettre de participer à cette Coupe du monde? Devrais-je sauter une course de qualification pour économiser pour mon loyer? Ce ne sont pas des décisions que les athlètes d’autres pays doivent prendre. »
Ces contraintes de financement surviennent à un moment où les attentes olympiques canadiennes n’ont jamais été aussi élevées. Aux Jeux olympiques de Paris 2024, le Canada a remporté 24 médailles, terminant au 13e rang du classement général. Le plan stratégique de Sport Canada vise à placer le Canada constamment parmi les dix nations les plus médaillées – un objectif que de nombreux administrateurs sportifs jugent incompatible avec l’approche actuelle de financement.
« Nous demandons des résultats de classe mondiale tout en fournissant un soutien digne d’un pays en développement, » note Dr. Elaine Whittaker, chercheuse en politique sportive à l’Université Queen’s. « Les données sont claires: il existe une corrélation directe entre le financement national soutenu et le succès olympique. Des pays comme la Grande-Bretagne, l’Australie et le Japon l’ont démontré à maintes reprises. »
Le Comité olympique canadien a intensifié ses efforts de plaidoyer, lançant la campagne « Financez leur avenir » le mois dernier. L’initiative souligne comment le succès olympique génère des bénéfices en cascade, notamment la participation des jeunes aux sports, le développement des infrastructures communautaires et la fierté nationale.
« Lorsque nous investissons dans nos athlètes olympiques, nous investissons dans des modèles qui inspirent la prochaine génération, » a déclaré la présidente du COC, Patricia Lechner, lors du lancement de la campagne. « Mais ces athlètes ne peuvent pas inspirer depuis les lignes de touche parce qu’ils n’ont pas les moyens de se qualifier. »
Un récent sondage Angus Reid suggère que les Canadiens soutiennent largement l’augmentation du financement des athlètes olympiques, 72 % des répondants étant d’accord que le gouvernement fédéral devrait augmenter son soutien. Ce sentiment transcende les lignes politiques, avec un soutien majoritaire parmi les électeurs de tous les grands partis.
Pour des athlètes comme Larocque, la discussion sur le financement n’est pas académique – elle est existentielle. « J’ai déjà contracté des prêts pour continuer à m’entraîner, » a-t-elle expliqué, me montrant son calendrier d’entraînement épinglé à côté d’un tableau budgétaire sur le mur de son garage. « Je mise tout sur ce rêve olympique, mais parfois je me demande si mon pays mise aussi sur moi. »
Alors que le compte à rebours des 100 jours commence, la question demeure de savoir si le Canada s’assurera que ses athlètes olympiques puissent se concentrer sur la compétition à venir plutôt que sur les obstacles financiers qui les freinent. La réponse pourrait déterminer non seulement le nombre de médailles, mais aussi l’avenir du développement des sports olympiques à travers le pays.
De retour dans son garage-gymnase, Larocque reprend son entraînement, l’incertitude temporairement mise de côté par le rythme de la préparation. Pour l’instant, comme des centaines d’athlètes canadiens, elle continue de s’entraîner avec autant d’espoir que de financement – alors que le temps presse à la fois vers la gloire olympique et la réalité financière.